2002_BRARD_défense et illustration de l’impôt

2ème séance du 18 juillet 2002
http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2001-2002-extra/20021011.asp#PG2

Nous sommes tout au début de la XIIème législature (2002-2007), peu de temps donc après le « 21 avril ». Les députés débattent d’une loi de finances rectificatives visant à mettre en place les premières mesures de la droite en matière de fiscalité  (en particulier, la baisse de 5% de l’impôt sur le revenu).
Jean-Pierre BRARD (groupe communiste) défend une motion de procédure dite de « renvoi en commission »

Jean-Pierre Brard.    Le débat que nous engageons aujourd’hui à l’occasion du projet de loi de finances rectificative est un débat central, non seulement pour les finances publiques, mais plus encore sur les orientations fondamentales qu’il convient de donner à notre société dans une période où elle est soumise à de fortes tensions.
Ce qui est en question, en effet, c’est la justice fiscale avec son poids très fort dans notre contrat social, en particulier depuis que les auteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ont ainsi rédigé son article 13 que votre manière de baisser l’impôt revient à nier : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » C’est précisément ce que vous ne voulez pas faire.
Ce dernier membre de phrase a une importance toute particulière, car la justice fiscale est une des conditions majeures de la cohésion de notre société. Elle est indispensable pour donner du contenu et du sens à l’égalité et à la fraternité. Améliorer la justice fiscale, c’est renforcer cette cohésion, aujourd’hui fragilisée par nombre de facteurs déstabilisants pour nos concitoyens. S’attaquer à la justice fiscale, c’est jouer contre la cohésion et, en dernière analyse, renforcer les comportements protestataires, individualistes, égoïstes, qui contribuent au délitement du corps social.
L’injustice fiscale que vous allez accentuer avec ce projet brouille jusqu’à les annihiler les notions de légitimité et d’utilité sociale de l’impôt, qu’il faut, au contraire, défendre et réaffirmer comme des principes républicains fondamentaux.

Aujourd’hui, l’impôt est de plus en plus souvent présenté comme confiscatoire, comme un abus, voire une spoliation, une ingérence de la puissance publique dans la sphère privée.
La propagande démagogique de la droite sur ce sujet, comme le harcèlement des associations anti-impôt dont l’une est dirigée par un escroc qui a le front de se présenter devant les électeurs, a un rôle des plus négatifs dans le débat sur la place de l’impôt dans notre société.
L’impôt permet à l’Etat non seulement d’assurer ses fonctions régaliennes, mais aussi de garantir la solidarité nationale au moyen des services publics et de la protection sociale et, plus généralement, d’agir à chaque fois que cela est nécessaire dans le sens de l’intérêt général.
L’objectif de réduire de 30 % en cinq ans l’impôt sur le revenu va en réalité constituer un véritable poison pour notre démocratie qui tout au contraire a besoin d’un effort général de solidarité et de cohésion.
Baisser de 30 % l’impôt sur le revenu, c’est donc faire, sans le dire bien sûr, le choix délibéré de transférer la charge de l’impôt de ceux qui peuvent payer grâce à des revenus confortables vers la grande masse de ceux qui ont des fins de mois difficiles, surtout les trente derniers jours, comme le disait si bien Coluche. (Sourires.)
[…]
Un des premiers devoirs de la nation, disais-je, est de défendre la notion de justice fiscale et de rappeler la raison de l’impôt.
Dans un grand nombre de pays étrangers, la santé et l’école sont directement financées par les familles en fonction de leur fortune. Historiquement, dans notre pays, ces dépenses sont payées par l’impôt ou les cotisations sociales. Vous parlez de prélèvements qui seraient plus lourds ici qu’ailleurs, mais, ailleurs, ces prélèvements sont privatisés, sans pour autant que cela garantisse la qualité que chacun reconnaît aux services de santé et d’éducation de notre pays. En contrepartie, notre système éducatif ou notre système de protection sociale, sans être exempts de défauts, permettent à chacun d’accéder à l’éducation ou à la santé.
La mise en place récente de la couverture maladie universelle vient renforcer cette conception d’une société solidaire.
    M. Pierre Lellouche.C’est ça ! Vous connaissez les dérives de ce système !
    M. Jean-Pierre Brard. Pour vous, monsieur Lellouche, soigner tout le monde, c’est une dérive. C’est une façon de voir les choses, mais je pense qu’un pays comme le nôtre s’honore de reconnaître à chacun le droit d’être soigné, de même qu’il reconnaît à chacun le droit à l’éducation. Oser parler de dérive sur de tels sujets revient à afficher des sentiments qui ne sont guère conformes aux valeurs républicaines traditionnelles de notre pays. […]
L’impôt dans notre pays est l’expression de nos valeurs identitaires. Pour se convaincre de leur pertinence et de leur légitimité, il suffit de comparer avec la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis.