Séance du jeudi 30 janvier 2003
http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2002-2003/20030131.asp#PG0
débat sur la reconnaissance du vote blanc (discussion générale )
M. le président. La parole est à M. Albertini
M. Pierre Albertini. Si nous considérons cette proposition comme une invitation à réfléchir sur le socle de nos institutions et la manière dont les Français se reconnaissent, ou ne se reconnaissent pas, en elles et en ceux qui les incarnent, c’est-à-dire nous-mêmes, nous aurons déjà ouvert une discussion féconde.
[…]
Quel est cet intérêt général auquel nous voulons tous concourir ? Il est de faire reposer sur l’assise populaire la plus large possible le fonctionnement de notre système électoral et de notre système politique et, à travers eux, celui des institutions, notamment de l’institution parlementaire,…
M. Bernard Roman. Tout à fait !
M. Pierre Albertini. … puisque c’est elle qui a marqué le début de l’exercice de la démocratie, bien avant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct qui n’est qu’un phénomène très récent dans l’histoire des gouvernements représentatifs. Or il y a une différence entre le choix des représentants – la désignation des députés, par exemple – et la légitimité de leur action, celle du pouvoir politique en général.
Depuis quelques années, de nombreux philosophes et sociologues travaillent sur ce sujet. Je pense aux travaux de Paul Ricoeur ou aux réflexions d’Alain Touraine qui, lui aussi, s’est interrogé de manière très féconde et pertinente sur la démocratie. Que nous disent-ils, l’un et l’autre, à leur manière ?
Que la démocratie n’est pas seulement un Meccano institutionnel, un assemblage d’institutions, un procédé de répartition des pouvoirs dans les sociétés modernes.
Que la démocratie est une valeur à cultiver tous les jours, parce que c’est un combat de tous les instants pour que nos concitoyens se sentent acteurs de notre destinée collective et non pas spectateurs passifs de nos débats.
Le constat est inquiétant.
Les signes les plus visibles de l’affaiblissement du socle de nos institutions sont non seulement la montée de l’abstention – cela a été dit tout à l’heure -, mais aussi l’accroissement du nombre des votes protestataires, des votes extrémistes, qui sont souvent difficiles à interpréter. Dans les grandes élections, y compris lors de l’élection présidentielle, ces derniers atteignent des niveaux insoupçonnables il y a seulement quinze ou vingt ans.
Un autre signe est le fait de ne pas s’inscrire sur les listes électorales ou de ne pas signaler son changement d’adresse, comme si la politique devait filer devant nous comme un long fleuve tranquille. Nombre de nos concitoyens ne sont plus volontaires pour participer à cet acte civique qu’est le vote.
La conséquence, vous la connaissez : l’alternance politique est de plus en plus fréquente et les cycles d’alternance ont une durée de trois à cinq ans. Depuis 1978, aucune majorité sortante n’a été reconduite, ce qui montre l’affaiblissement du socle de nos institutions et du degré de confiance que leur accordent les Français.
La vraie question est celle de la manière dont les citoyens adhèrent aux grandes valeurs politiques qui sont incarnées par les élus que nous sommes, entre autres. Nous connaissons les causes profondes de la démobilisation de l’électorat, mais je tiens à en souligner deux, qui me paraissent les plus significatives.
La première tient incontestablement au sentiment qu’ont nos concitoyens d’une relative impuissance du pouvoir politique à agir sur le cours des choses, sur le gouvernement des hommes, c’est-à-dire à changer la société et, à travers elle, leur vie quotidienne. Je n’y reviens pas, ce phénomène a été analysé. Nous devons agir pour montrer la voie, le chemin du renouveau.
Quant à la seconde cause, il ne faut pas se la cacher, elle tient au caractère généralement assez démagogique des positions prises depuis ces vingt ou trente dernières années par certains élus qui ont laissé entendre que l’on pouvait changer la vie, le monde, passer de l’ombre à la lumière, alors qu’ils savaient pertinemment qu’ils n’auraient pas les moyens d’agir sur le cours des choses et sur le gouvernement des hommes. Cette démagogie ambiante n’a fait qu’entretenir la relative méfiance, le scepticisme de nos concitoyens.
Certes, monsieur le secrétaire d’Etat, notre proposition de loi n’est qu’une réponse parmi d’autres. Nous n’avons jamais pensé que la reconnaissance du vote blanc serait la panacée, mais nous croyons que cela pourrait être un levier pour revaloriser une forme d’engagement civique.
Deux questions clefs se posent.
Le vote blanc a-t-il un sens, peut-il être interprété de manière différente de l’abstention ou du vote nul ? Renforce-t-il la démocratie ou la menace-t-il ?
Le vote blanc peut-il être interprété ?
Oui, M. le secrétaire d’Etat l’a démontré tout à l’heure en évoquant un sondage très précis faisant état des motivations diverses qui expliquent le vote blanc : le refus de se reconnaître dans les candidats qui se présentent, la non-adhésion à la politique telle qu’elle est pratiquée, le refus de choisir. Et de telles motivations se situent loin devant le manque d’information, par exemple. Les Français qui votent blanc aujourd’hui le font pour des raisons qui méritent d’être étudiées, analysées et prises en compte. A l’évidence, elles sont différentes de celles qui expliquent le vote nul, avec lequel le vote blanc est, hélas ! comptabilisé depuis de nombreuses années. Elles sont différentes également de la pure et simple abstention qui, elle, est ininterprétable. Pourquoi les Français ne se déplacent-ils pas ? On peut évidemment mentionner plusieurs causes, mais on ne sait pas laquelle est la plus déterminante. Le silence n’est jamais interprétable. L’abstention ne l’est pas non plus.
Le vote blanc renforce-t-il ou menace-t-il la démocratie ?
Je crois qu’il la renforce, car il concourt à une plus grande diversité de l’expression politique. C’est un acte de confiance dans la démocratie vivante, participative, qu’il est donc susceptible de renforcer, même si, nous en sommes tout à fait d’accord, ce n’est qu’un moyen parmi beaucoup d’autres. Il vaudrait certes mieux agir sur les causes que sur les manifestations des phénomènes. Le raisonnement vaut aussi pour le mode de scrutin. Nous militons pour le pluralisme et la diversité politique, donc pour que les modes de scrutin n’enferment pas dans des carcans la volonté des Français de s’exprimer librement. On ne confisque pas la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
M. François Sauvadet. Tout à fait !
M. Pierre Albertini. La reconnaissance du vote blanc présenterait deux avantages.
D’abord, cela permettrait de distinguer le vote blanc de l’expression de mouvements d’humeur qui caractérisent, par exemple, le vote nul.
Ensuite, cela diminuerait probablement, dans une proportion non négligeable, l’abstention et les votes protestataires, les votes extrémistes. On ne construit pas une démocratie en regardant grandir, aux deux pôles extrêmes de l’échiquier politique, les manifestations d’humeur, d’ailleurs très souvent plus intuitives que raisonnées, faisant appel à la peur plus qu’à la raison. La démocratie, c’est le choix de la raison.
Je terminerai par quelques observations.
D’abord, pour les élus que nous sommes, la politique de l’autruche, c’est-à-dire le refus de voir la gravité des problèmes, est évidemment la plus malsaine des politiques.
M. Jean-Pierre Abelin. C’est vrai !
M. Pierre Albertini. Ce n’est pas en nous enfouissant la tête dans le sable que nous guérirons la démocratie des maux qui la taraudent.
M. Hervé Morin. Tout à fait !
M. Pierre Albertini. Nous avons tout intérêt à regarder la réalité en face. D’ailleurs, un élu ne peut pas avoir peur du suffrage universel : s’il s’engage devant ses concitoyens, c’est qu’il en accepte à l’avance le verdict. Cela me paraît une première évidence.
Ensuite, et c’est ma deuxième observation, cette initiative parlementaire de l’UDF concourt à ouvrir un débat public. C’est tout à fait à l’honneur du Parlement, dont plusieurs orateurs ont dit qu’il méritait d’être revalorisé. Si celui-ci a une raison d’être, ceux qui composent la représentation nationale peuvent légitimement user de cette faculté. Nous le faisons sans complexe.
M. François Sauvadet. Très bien !
M. Pierre Albertini. Enfin, je rappellerai ce qu’a dit en substance le Premier ministre à cette tribune, dans son discours précédant l’investiture qui lui a été accordée : les résultats électoraux n’effacent pas les problèmes ; ce n’est pas parce qu’au second tour de l’élection présidentielle, du fait du caractère aberrant des résultats du premier tour, le président a été élu à une majorité insoupçonnée et que l’harmonie politique entre les institutions a été rétablie, que les problèmes de la société française ont été pour autant résolus.
Même si notre proposition n’avait pour but que de décompter de manière distincte les votes blancs des votes nuls, elle aurait un mérite. Pour autant, ce serait insuffisant. Etant l’auteur de propositions très anciennes sur le sujet, je pense qu’il faudrait aller plus loin.
Certains ont parlé du risque qu’il en résulterait pour l’élection du Président de la République. Certes, la Constitution est rédigée de telle manière que la proposition pourrait buter sur la rédaction actuelle de l’article 7. Mais le risque n’est que virtuel.
Quoi qu’il en soit, mes chers collègues, il est bon de dialoguer avec nos concitoyens et de faire preuve tous les jours de confiance, cette valeur élémentaire de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)