2002_SARKOZY et la sécurité (« Le temps de la chape de plomb est révolu. »)

premier débat sur la sécurité
(juillet 2002)
http://www.assemblee-nationale.fr/12/
cri/2001-2002-extra/20021006.asp#PG1

 

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Les Français nous l’ont dit tout au long des grandes échéances politiques de ces derniers mois : la sécurité est bel et bien leur première préoccupation. Le 16 juin, ils ont voulu, en donnant une nouvelle majorité à votre assemblée, un gouvernement qui applique une nouvelle politique. Ils ont voulu une majorité et un gouvernement qui prennent en compte la réalité de leur vie, et non plus qui essaient d’adapter cette réalité à la conception théorique qu’en ont parfois certains observateurs ou acteurs de la vie politique.
Au premier rang de ces réalités figure l’insécurité.
[…]
    M. le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Face à cette délinquance, notre devoir est d’être lucides, d’écarter, bien sûr, toutes formes de naïveté mais de se garder de réactions excessives : ni surréaction, ni immobilisme, tout simplement l’action cohérente, générale, et surtout immédiate. Tel est le coeur de notre politique.
Nous avons pris la mesure du phénomène de la délinquance qui, aujourd’hui – il convient de le noter – n’épargne plus une seule catégorie de la population, ni même une seule région. On ne peut plus parler seulement des violences urbaines : ici, on redoute de laisser ses enfants voyager, là, on hésite à s’arrêter sur une aire d’autoroute. C’est la confiance même des Français dans la vie de tous les jours, dans la capacité des institutions à répondre à leurs inquiétudes, dans les valeurs de leur pays, qui est entamée. Ce que nous voulons, c’est redonner confiance aux Français.
Vivre avec, au quotidien, la peur pour soi-même ou ceux qui vous sont chers, ce n’est pas vivre libre.
    M. Alain Marsaud et M. François Sauvadet. Très bien !
    M. le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Nous ne voulons ni stabiliser la progression de la délinquance, ni l’accompagner, mais bien casser cette progression et faire reculer la délinquance durablement.
[..]
J’ai la conviction que les Français ne comprendraient pas – et nous pardonneraient encore moins – que nous laissions tranquillement passer les vacances d’été avant d’agir. Les Français ne peuvent plus se contenter d’une parole publique sans lendemain, d’une action publique dénuée du moindre souci du résultat. Voilà pourquoi nous vous proposons d’agir sans tarder. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
Avant de vous présenter le contenu du texte, je reviendrai en quelques mots sur la méthode qui a été la nôtre depuis deux mois.
Nous avons voulu donner une nouvelle impulsion, montrer que les choses avaient changé, marquer notre volonté d’en finir avec le sentiment d’impunité qui faisait des ravages dans notre pays et manifester notre volonté d’inscrire notre action en profondeur.
C’est pourquoi j’ai proposé aux forces de l’ordre de faire leur la culture du résultat, fondée sur des indicateurs précis. Les moyens importants que nous mobilisons pour elles doivent avoir pour contrepartie l’engagement sans faille de chaque militaire et de chaque fonctionnaire au service de sa mission. Dans cet esprit, nous allons publier mensuellement les chiffres de la délinquance. Les résultats nationaux seront fournis par département afin que chaque élu sache ce qu’il en est chez lui. Ainsi, les résultats de notre action seront connus et suivis par tous. Toutes ces mesures signent une véritable révolution des mentalités que les policiers et les gendarmes ont parfaitement intégrée.
Nous sommes au service des Français ; nous leur rendons des comptes et nous serons jugés sur nos performances. Telle me paraît être la définition même du service public parce qu’il est justement au service du public, on l’a trop oublié dans le passé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
[…]
J’ai voulu aborder, sans a priori, sans préjugé, toutes les questions liées à la sécurité. Depuis trop longtemps, dans notre pays, nombre de ces sujets ont été considérés – et par qui ! – comme des tabous qu’il était interdit ne serait-ce que d’évoquer. Et pendant que les républicains, sur tous les bancs de cette assemblée, fuyaient les sujets brûlants, d’autres, avec des idées qui n’étaient pas les nôtres, s’en emparaient.
    M. Pierre Lellouche. Très bien !
    M. le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Le débat a régressé dans notre pays simplement parce que nous l’avons déserté. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Et nous, la droite républicaine et modérée, prenons nous-mêmes notre part de responsabilité sur le sujet.
C’est ainsi qu’il serait impossible d’évoquer l’immigration clandestine alors même qu’il s’agit d’une préoccupation essentielle de nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle.)
C’est ainsi que nous ne pourrions pas davantage parler des gens du voyage alors même que, dans certaines régions, l’exaspération est à son comble. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Nous ne pourrions pas décrire certains fléaux pourtant avérés tels que la drogue, la prostitution ou la mendicité agressive, sans être caricaturés !
    M. Pierre Lellouche. Très bien !
    M. le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mais de tels phénomènes existent, mesdames et messieurs les députés, les Français les côtoient tous les jours, ils les subissent, en souffrent, et ne comprennent pas pourquoi leurs responsables politiques ferment les yeux sur ce qui est devenu leur vie quotidienne. Une vie qu’ils supportent de plus en plus mal ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle.) Et c’est bien parce que, depuis trop longtemps, nous nous inclinons avant même d’avoir parlé, que ces problèmes n’ont trouvé aucune solution.
Je vous le dis simplement : le temps de la chape de plomb est révolu. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Sans rien céder aux thèses de l’extrémisme, nous devons démontrer que l’action républicaine est possible et surtout efficace. Puisque notre parole est redevenue libre, il nous sera aisé de refuser, de rejeter, de condamner tous les amalgames honteux.
Les problèmes des Français ne disparaîtront pas si nous nous dérobons devant eux.

Deuxième débat sur la sécurité
(janvier 2003)
http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2002-2003/20030114.asp#PG14

 

    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.  Le deuxième débat que je veux aborder est celui de la répression. On utilise souvent ce mot pour faire peur, pour caricaturer, pour empêcher, pour immobiliser l’État. Une petite camarilla de spécialistes s’en est fait une petite spécialité, je veux dire un fonds de commerce. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
Il y a des victimes, il y a des agressions, mais, lorsque l’on parle de répression, le débat se porte non pas sur les victimes mais sur la répression, sur l’idée que l’on s’en fait et sur les conséquences que l’on en tire. Trop longtemps tétanisés par ce véritable terrorisme intellectuel, un grand nombre de responsables politiques n’ont pas osé aller de l’avant. Sur le thème « les élites parlent aux élites », ils ont réussi, pendant des années, à endormir ceux qui se sont condamnés à l’inaction. Pendant ce temps, les Français les plus modestes, les plus humbles, les moins favorisés, ont été abandonnés, délaissés, parce qu’ils n’intéressaient plus personne, ne faisant pas partie des élites. Celles-ci refusaient de penser aux Français et d’apporter une réponse à leurs problèmes. Voilà ce qui s’est passé dans notre pays depuis trop d’années. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
Même si cela gêne, est venu maintenant le temps d’abattre les tabous et de dire clairement devant le tribunal de l’opinion publique ce que les uns et les autres nous sommes prêts à faire, quelles sont nos convictions et les réponses que nous allons apporter.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Très bien !
    M. le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mesdames, messieurs les députés, la sanction, la répression, la punition ne sont pas des mots qui doivent faire peur. Il est du devoir de l’État d’en faire usage chaque fois que cela est nécessaire. Si la reprise en main est si difficile, je le répète, c’est parce que, depuis trop d’années, on n’a pas eu le courage d’employer ces mots et, par-dessus tout, de mettre au service de ces mots la volonté d’agir.
Eh bien, je n’ai pas peur de ces idées. La façon dont je conçois mon devoir, c’est de les mettre au service des plus faibles, des plus petits, des plus fragiles, de tous ceux qui ne peuvent compter que sur l’État pour les défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
Mesdames, messieurs les députés, si vous et nous nous avons peur, nous faillissons et nous n’exerçons pas nos responsabilités, pensez que, à l’autre bout de la chaîne, ceux qui sont sur le terrain et qui vivent tous les jours l’inacceptable n’auront plus personne pour les défendre. Et ce ne sera pas la peine de verser des larmes de crocodile en se demandant, à force d’études sociologiques et intellectuelles, pourquoi ils votent pour les extrêmes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Ils votent pour les extrêmes parce que nous les avons abandonnés. Voilà la réalité qu’il convenait de souligner aujourd’hui. (Mêmes mouvements.)
[…]
Il est un autre débat récurrent qu’il va bien falloir purger un jour ou l’autre : celui des racines du mal. J’entends à nouveau parler d’absence de prise en compte des causes de la délinquance.
    M. André Gerin. Tout à fait !
    M. le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. On nous dit qu’on ne s’attaquerait pas aux racines du phénomène, mais quelles sont-elles, ces racines ? Personne n’ose le dire ; on préfère invoquer la précarité, la société de consommation, la démission des parents, les erreurs de l’urbanisme, la violence à la télévision, ce qui est le moyen le plus commode d’expliquer que, décidément, on ne peut rien faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle.)
    Cela nous renvoie encore à un faux débat, celui de l’amalgame. On nous parle de guerre contre la pauvreté, lorsque nous voulons lutter contre la mendicité agressive, celle qui s’exerce par la menace. Veut-on insinuer que la pauvreté est synonyme de mendicité agressive ? Veut-on signifier par là, sans oser le dire, que c’est la pauvreté qui explique la délinquance ? Oublie-t-on que la délinquance est le fait des riches comme des pauvres ? Sous-entend-on que la pauvreté justifie la délinquance ? Eh bien, je vous le dis : c’est une injure faite à l’immense majorité des gens modestes qui vivent honnêtement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)     Oublie-t-on que les victimes sont en majorité des personnes qui ne sont pas favorisées ?
Cela revient à considérer que les victimes sont soumises à la fatalité et que c’est en quelque sorte tant pis pour elles. N’auraient-elles pas mieux fait d’être des délinquants ? Sans doute, puisqu’alors elles auraient eu le soutien moral de tous ceux qui crient de manière scandaleuse à la guerre contre la pauvreté, alors que nous voulons protéger, justement, les plus modestes de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Vous caricaturez !
    M. le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mesdames, messieurs les députés, il est temps de dire à notre pays qu’on ne devient pas délinquant parce que l’on habite dans une HLM,…
    M. Noël Mamère. Et la politique de la ville ?
    M. le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. … ou que l’on est au chômage. Là encore, c’est une insulte faite à tous ceux qui souffrent de situations sociales extrêmement précaires et qui vivent dans l’honnêteté et le courage le plus scrupuleux.
En revanche, on peut être incité à devenir délinquant lorsqu’on a la conviction qu’on a toutes les chances de ne pas être pris, et que l’on vit dans une société où l’on peut gagner davantage en vendant de la drogue qu’en se levant tôt le matin pour aller au travail ; voilà ce qui explique une grande partie de la délinquance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Il est temps, mesdames, messieurs les députés, de nous réapproprier ces idées justes et fortes, celles de l’immense majorité de nos concitoyens, qui travaillent dur et ne demandent rien d’autre que de pouvoir vivre dans la paix. Le Gouvernement assume résolument une politique volontariste en matière de sécurité, et ce volontarisme est l’ennemi de tous les extrêmes : la naïveté comme la brutalité.
Le gouvernement précédent s’en remettait à la croissance économique pour faire reculer la délinquance, ce qui est, de mon point de vue, une bien curieuse profession de foi ultra-libérale ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce n’est pas notre cas. Nous considérons quant à nous que la croissance ne résoudra pas à elle seule le drame de la violence et de l’insécurité, dont les causes sont multiples et vont bien au-delà du chômage, pour toucher à l’identité même de l’être humain.
Ce n’est pas au marché que nous faisons confiance pour résoudre cette question de la sécurité, qui est profondément sociale. A cet égard, il me plaît de donner ces leçons à ceux qui ont oublié depuis si longtemps que l’État avait un rôle et une responsabilité en ce domaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
[…]
    M. le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce qu’attendent nos concitoyens, c’est de ne plus avoir peur, parce que la peur, ça vous bouffe la vie…
    Mme Sylvia Bassot. Tout à fait !
    M. le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. … et qu’il n’y a aucune raison de se dire dans un État de droit lorsqu’on a peur de prendre le métro, d’aller à son travail, ou quand ses enfants vont à l’école. Ce que nos concitoyens attendent, c’est de vivre tranquillement, c’est un véritable retournement des valeurs, un retour au réalisme.
Le jour où les délinquants comprendront que leurs agissements seront punis, parce que l’Etat aura la volonté et les moyens de le faire, ce sera un immense soulagement dans notre pays. Ce sera un engagement tenu vis-à-vis de nos concitoyens. Et ce sera par-dessus tout le triomphe des valeurs républicaines, qui auront permis de lutter contre la peur et contre l’extrémisme, dans le strict et exigeant respect des droits de l’homme, de tous les droits de l’homme.
Oui, mesdames, messieurs les députés, nous aurons réussi lorsque, enfin, régnera en France un sentiment de sécurité. Tel est mon objectif. Je vous demande de lui apporter votre soutien car ce soutien sera déterminant. (Mmes et MM. les députés du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française se lèvent et applaudissent longuement.)