Deuxième débat sur la sécurité (2003)
http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2002-2003/20030118.asp#PG21
M. Manuel Valls. L’attente de nos concitoyens est immense, leur angoisse réelle. La demande de sécurité est légitime. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, économiser notre temps et notre énergie pour mieux faire vivre le droit à la sécurité.
L’équilibre à trouver entre prévention et répression, entre encadrement et liberté, mérite un débat approfondi, une réflexion associant davantage les parlementaires à la définition des évolutions de la politique de sécurité.
Légiférer, agir – c’est votre obsession, monsieur le ministre, on ne peut pas vous le reprocher -, donner des moyens à la sécurité, communiquer, pour convaincre sur le terrain – c’est donner une réponse politique à la crise révélée – et on sait avec quelle force ! – par le 21 avril 2002. C’est une réponse évidente – qui peut le nier ? – mais partielle. Pourtant, à entendre les partisans de la majorité, c’est « la » réponse à la fois suprême, ultime et unique, et donc suffisante.
Le problème du Gouvernement, d’une partie de la droite, et même de certains secteurs de la gauche, est, à mon sens – et je ne vous fais pas ce reproche, monsieur le ministre – de ne pas avoir vu le 21 avril tel qu’il est, c’est-à-dire comme un cataclysme, un avertissement terrible adressé aux politiques et, plus largement, aux élites de ce pays. Ce n’est pas un accident, qui a conduit à un heureux dénouement pour le candidat Jacques Chirac grâce aux effets conjugués de la division à gauche et de l’effort d’union à droite. Ce n’est pas l’aboutissement logique de l’alternance, phénomène habituel et cyclique dans tout pays démocratique, même si, chez nous – et c’est l’un des symptômes de cette crise – elle est à répétition.
Le mandat que le Président de la République a reçu des Français le 5 mai, grâce au sursaut républicain de nos concitoyens, devrait être un mandat pour sortir notre pays de la crise de confiance qu’il traverse.
Le message des électeurs, et plus largement de nos concitoyens, dont beaucoup ne sont pas allés voter, est complexe. Il porte des attentes contradictoires, des envies, des espoirs, des émotions, des dégoûts, des frustrations. Il exprime brutalement, le rejet des forces qui ont gouverné notre pays depuis vingt-cinq ans et de pratiques politiques et institutionnelles décalées.
Nous devons tenir compte de la composition hétérogène de ce vote. Nous ne pouvons pas la sous-estimer et croire qu’il est possible d’y répondre par un seul et unique biais. Or la sécurité semble être devenue l’unique thématique d’action forte de la droite, un précieux sacerdoce en ces temps de disette et de faiblesse de l’action politique gouvernementale.[…] Le Gouvernement tourne le dos aux priorités sociales constitutives de l’avenir des Français. Alors, il lui reste M. Nicolas Sarkozy et la lutte contre l’insécurité.
L’insécurité fut, à dire vrai, votre seul thème de campagne notamment depuis le 14 juillet 2001.
M. Pierre Cardo. C’est quand même un de vos gros échec !
M. Manuel Valls. Pourtant, je pense que nous sommes nombreux sur tous ces bancs à le comprendre, à l’entendre, le message que les électeurs nous ont adressé va plus loin que la seule lutte contre la délinquance quotidienne, si indispensable soit-elle.
M. Jean-Michel Ferrand. Et que vous n’avez pas réalisée !
M. Manuel Valls. Lionel Jospin avait reconnu, avec une modestie qui lui fait honneur, mais qui lui fut terriblement reprochée et encore par vous, monsieur le ministre, il y a quarante-huit heures, qu’il avait fait une erreur.
M. Pierre Cardo. Qui vous a laissé sans voix !
M. Jean-Michel Ferrand. C’est le cas de le dire ! (Sourires.)
M. Manuel Valls. Il avait cru que la seule baisse du chômage, qui depuis vingt-cinq ans laminait notre pacte social, pouvait résoudre une partie des problèmes de notre pays et apporter des réponses à la crise de confiance que nous traversons.
Cela ne l’a pourtant pas empêché de faire de la sécurité la deuxième priorité de son action dès 1997.
M. Jean-Michel Ferrand. On ne s’en est pas aperçu !
M. Manuel Valls. Vous, mesdames, messieurs de la majorité, présentez de façon péremptoire la sécurité comme remède social absolu, oubliant le reste.
M. Pierre Cardo. Cela n’a jamais été le cas, il faut lire les textes !
M. Manuel Valls. Mais essayons de nous mettre d’accord. Avec la croissance, les progrès de la justice sociale, la baisse du chômage, l’insécurité ne baisse pas, en tout cas pas automatiquement.
M. Pierre Cardo. C’est bien évident !
M. Manuel Valls. Mais sans le progrès social, l’insécurité progresse fatalement. Toute action qui n’en tiendrait pas compte, aussi forte soit-elle, est à moyen et long terme stérile. C’est une vérité empirique.
M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !
M. Manuel Valls. Aussi, prenez garde à l’effet boomerang.
M. Jean-Paul Garraud. Vous en savez quelque chose !
M. Manuel Valls. Vous avez attisé les peurs en 2001 et en 2002, année de parution du sinistre Tolérance zéro de M. Fenech, alors magistrat, et qui a, depuis, intégré nos bancs. Les zélateurs du mythe de la sécurité absolue, les moralisateurs qui blâmaient le précédent gouvernement et qui, dans leur grande modestie, clamaient « nous avons la solution », se retrouvent aujourd’hui face à leur responsabilité.
M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Mais oui !
M. Manuel Valls. Ils la prennent de bien mauvaise manière.
M. Pierre Cardo. Ils essaient de faire mieux que les précédents !
[…]
M. Manuel Valls. Je suis particulièrement attentif dans ma ville à la sécurité. Ma présence sur le terrain forge mes convictions, comme vous tous, et influe fortement sur mon expression en tant que membre de la représentation nationale.
Comme vous, je vis dans ma circonscription. Comme vous, j’ai des enfants qui fréquentent l’école publique et parfois des collèges difficiles. Comme vous, j’ai une femme qui travaille dans un quartier difficile, dans une école où il n’est pas tous les jours facile d’exercer son travail. Comme vous, je reçois tous les jours dans ma permanence des gens qui souffrent. Ici, il n’y a pas les députés qui auraient tout compris et ceux qui n’auraient rien compris. Nous sommes tous des élus de la représentation nationale. Très souvent, les élus de gauche sont les représentants de ces quartiers populaires, ils en connaissent les difficultés. […]
C’est justement cette expérience de terrain, tout aussi valable que la vôtre, qui m’amène à m’opposer à la politique du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.
Je crois que cette politique est dangereuse pour notre pays.
[…]
M. Manuel Valls. S’il veut que la situation change, le Gouvernement doit être offensif et avoir une volonté d’action forte, une volonté d’action globale.
M. Pierre Cardo. Il l’a !
M. Manuel Valls. Il en est jusqu’à présent dépourvu.
M. Pierre Cardo. Mais non !
M. Manuel Valls. Il faut agir sur les causes de la crise de notre modèle et non se contenter de poser des sparadraps comme on le fait depuis trente ans, monsieur Cardo !
M. Pierre Cardo. Depuis quand faites-vous cette analyse, monsieur Valls ?
M. Manuel Valls. Permettez-moi d’avoir des analyses, y compris au vu de ce qui s’est passé le 21 avril, et ne m’interdisez pas de changer d’avis.
M. Christian Vanneste. Le 21 avril, c’est la sanction de votre politique.
M. Manuel Valls. Vous aussi, un jour, vous changerez peut-être d’avis et sortirez de vos certitudes.
M. Pierre Cardo. Bien sûr, cela m’arrive de changer d’avis, mais ce sont les citoyens qui me font changer d’avis, pas les politiques !
M. Manuel Valls. Personne ne peut se targuer d’avoir vraiment perçu le séisme qui s’annonçait le 21 avril.
M. André Gerin. Eh oui !
M. Manuel Valls. Cette crise, nul ne l’a sentie venir. Ni à gauche, ni à droite. Pas de texte annonciateur, pas de « La France s’ennuie ».
Pour répondre à cette crise, il nous faut partager une ambition pour la France, redonner du sens à notre pacte républicain.
Redonner du sens à notre pacte républicain, c’est agir d’abord pour l’habitat en cassant les ghettos sociaux, en cassant la terrible ségrégation sociale, territoriale, ethnique qui déstructure notre société.
M. Pierre Cardo. Eh oui !
M. Manuel Valls. La mixité sociale, l’équilibre des territoires doivent revenir au premier plan et être une préoccupation centrale et permanente du Gouvernement.
[…]
Redonner du sens à notre pacte républicain, c’est redonner la priorité à l’éducation. L’école devrait être le premier producteur d’égalité sociale. Elle doit, elle aussi, reprendre sa place d’objectif central de l’action publique.
Redonner du sens à notre pacte républicain, c’est, et vous avez eu là-dessus des mots forts, monsieur le ministre, réussir le défi de l’intégration.
M. Pierre Cardo. Heureusement que nous sommes là pour le faire !
M. Manuel Valls. Notre modèle n’assimile plus, il n’intègre pas. Fixer les droits et les devoirs de chacun apparaît donc indispensable pour faire aimer l’idée France de ceux qui la découvrent et qui veulent y adhérer.
Le respect de notre hymne national, de notre drapeau, de nos symboles, pour le naturalisé, pour le fils d’immigré que je suis, est également important. Il n’y a pas ceux qui, de ce côté, aimeraient la France et ceux qui n’auraient rien compris. Là aussi, mesdames et messieurs de la droite, nous n’avons pas de leçon à recevoir de votre part. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
M. Christian Vanneste. Et nous, nous n’avons pas à en recevoir de vous !
M. Pierre Cardo. Quelle véhémence !
M. le président. S’il vous plaît ! La parole est à M. Manuel Valls.
M. Manuel Valls. Redonner du sens à notre pacte républicain, c’est garantir l’exercice des solidarités, lutter en faveur de la justice sociale, agir contre le chômage, qui brise le pacte social. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle.)
M. André Gerin. Excellent !
M. Christian Vanneste. Quel aveu !
M. Pierre Cardo. C’est le résultat de votre action !
M. Manuel Valls. Redonner du sens à notre pacte républicain, c’est défendre les services publics.
Redonner du sens à notre pacte républicain, c’est donner aussi une cohérence à la voix de la France à l’étranger. [ …]
Le rôle de l’Etat est de fixer les règles, de créer des repères, de transformer en actes les ambitions collectives d’un peuple ! L’urgence est justement à la création de nouveaux repères.
M. Christian Vanneste. Tout ce que vous n’avez pas fait !
M. Manuel Valls. Tout ce qui n’a pas été fait depuis vingt-cinq ou trente ans !
M. Christian Vanneste. C’est un acte de contrition, votre intervention !
M. le président. Monsieur Vanneste, …
M. Christian Vanneste. Merci de nous rendre hommage !
M. Manuel Valls. Et si vous êtes fiers du score de Jacques Chirac au premier tour, c’est que vous n’avez rien compris à ce qui s’est passé le 21 avril.
M. Pierre Hellier. Et le score de Jospin ?
M. Manuel Valls. Mais je n’en suis pas fier !
M. Pierre Hellier. Ah !
M. Manuel Valls. Evidemment ! Mais c’est bien là le cœur de la crise !
M. Christian Vanneste. Cessez de battre votre coulpe sur la poitrine des autres !
M. Manuel Valls. Et si nous continuons à nous renvoyer les responsabilités, c’est que nous n’avons rien compris à ce qui s’est passé voici quelques mois dans notre pays.
Notre pays a précisément besoin d’un volontarisme politique, d’un élan nouveau et puissant pour redonner du sens à notre pacte républicain, au « vivre ensemble ».
La lutte contre l’insécurité, monsieur le ministre, contribue bien sûr à créer ces nouveaux repères. Pour autant, en faire l’unique levier d’action publique n’a pas de sens. La lutte contre l’insécurité s’intègre dans un projet global. Or, malheureusement, ce projet est inexistant.
M. Christian Vanneste. Il faut bien commencer par un projet global. Alors votez ce texte !
M. Manuel Valls. Comme un projet nous a manqué, à nous aussi, avant le 21 avril 2002, soyons lucides. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle.)
M. Christian Vanneste. Je vous retournerai le compliment !
[…]
M. Manuel Valls. Nous ne pourrons pas sortir de la crise de notre pacte républicain, nous ne pourrons pas retisser un lien social fort, nous ne pourrons pas « réenchanter » le lien des Français avec la politique et l’action publique, sans travailler à la définition d’un nouveau contrat social, d’une nouvelle alliance avec les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)