À propos du droit de vote : lettre à mon ami(e) étranger(ère)
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par DENIS MERIAU, un citoyen ordinaire 14.01.10
Che(è)r(e) ami(e) étrange(è)r(e)
On reparle de te « donner », de t’ »accorder », de t’« octroyer ».le droit de vote aux élections dites locales.
On dit, on répète à l’envi (et justement pour que nous n’ayons plus envie d’en discuter pour de bon !)- que c’est là … « l’Arlésienne » , la « tarte à la crème », le « serpent de mer », le « monstre du Loch Ness » (je sens que tu prends peur !) de la vie politique française.
On dit que tu n’es pas demandeur. La preuve : « Quand cette occasion leur est offerte dans le cadre de l’élection des conseils de quartiers, leur nombre à participer à ce type de consultation est infime. » ! C’est peut-être vrai ; mais, à ce compte-là, il faudrait « supprimer le droit de vote » à beaucoup de Français ! .
On dit que ce que tu attends de nous, « ce n’est pas le droit de vote, c’est le respect et l’assurance de vivre dans une société libre et harmonieuse où la dignité sociale [t’] est reconnue » ; on dit que ce n’est pas la « reconnaissance juridique », mais « la reconnaissance humaine », à savoir « un travail, un logement, une école pour [tes] enfants ».
« Avant le bulletin de vote, il y a le bulletin de salaire ! ». C’est ce que l’on te fait dire. Mais alors, faudra-t-il dire à la grande masse des indigents, des déshérités, des mal-intégrés : « du pain, oui ! du pain d’abord ! et le vote après ! » ?
À ceux qui disent : il est normal qu’ils aient le droit de vote, les étrangers, puisqu’ils « acquittent de l’impôt », il en est qui ripostent – avec une mauvaise foi évidente – : « Lier les deux – le droit de vote et l’impôt -, c’est réintroduire le suffrage censitaire ! C’est revenir à l’Ancien Régime ! »
À ceux qui disent : il est normal qu’ils aient le droit de vote, les étrangers qui résident depuis longtemps en France puisqu’ils « sont actifs dans les associations, participent à la vie économique de nos cités et de notre pays par leur travail »,il en est qui répliquent :
« S’inscrire sur les listes électorales, ce serait comme s’inscrire à la bibliothèque ou à un club sportif. Cela est inadmissible ! » …
… ou, plus doctement :« L’exercice des droits civiques ne peut évidemment pas se confondre avec la contribution que chacun apporte à la vie économique et sociale. » …
… ou, encore plus doctement ( et là tu vas commencer à comprendre qui sont ces doctes docteurs !) : « Ce serait instituer une citoyenneté de résidence, par opposition à la citoyenneté de nationalité. »
Une « citoyenneté de résidence » … d’autres diront : une « citoyenneté itinérante », une « citoyenneté de passage ». Ou encore : une « citoyenneté à la carte », une « citoyenneté au rabais », une « espèce de sous-citoyenneté ».
Une « espèce de sous-citoyenneté » ! Oui, tu as bien compris : faire en sorte que tu aies le droit de voter lors des élections locales, ce serait faire de toi un « sous-citoyen ». Au diable, la mauvaise foi ! Parlez clair, messieurs les députés (puisque ce sont vos propos qui sont ici retransmis). Que serait pour vous un « citoyen à part entière » ? Quel prix, quel « octroi » devra acquitter l’« émigré » – ce citoyen venu d’ailleurs – pour pouvoir entrer dans notre communauté et être considéré comme un « citoyen à part entière » ?
Sur les bancs de la droite, la réponse est claire, cinglante, définitive :
« Pourquoi ne demandent-ils pas la nationalité française ? Elle leur sera accordée ! »
« Pourquoi avoir honte, quand on est installé en France, pays des droits de l’homme, d’en acquérir la nationalité qui seule donne la véritable égalité des droits et des devoirs ?
Pourquoi vouloir rester le national d’un pays qui n’est plus le sien, avec lequel les liens se sont peu à peu relâchés, et refuser de devenir le national du pays qui est vraiment le sien ? »
« Nous comprenons (merci, messieurs, vous êtres trop bons ! ) que des étrangers, qui vivent légalement en France, veuillent s’intégrer et appartenir à notre communauté de vie et de destin. Mais rien ne les en empêche aujourd’hui : cela s’appelle tout simplement la naturalisation. »
« Pour nous, la citoyenneté et la nationalité sont liées. Jamais, nous n’ouvrirons la porte du droit de vote aux étrangers pour leur fermer celle de la nationalité. »
À bon entendeur, salut !
Et, à gauche, me diras-tu ?
Un député, faisant référence à son histoire familiale, explique qu’il ya d’autres voies – qu’il y a plusieurs voies – pour entrer dans la communauté nationale :
« L’attribution de la nationalité française est une des conditions qui favorisent l’intégration – c’est le choix que j’ai fait -, mais en accordant le droit de vote à tous les résidents, nous élargirions le champ de la citoyenneté à ceux qui restent attachés à leurs anciennes racines – c’est le choix de mes parents.
Ainsi, pour la gauche, faire en sorte que les étrangers en situation régulière et durablement installés en France puissent voter aux élections locales …
… c’est « une main tendue à tous ceux qui veulent que la France de demain soit une France solidaire »…
… c’est « refuser d’enfermer le résident étranger dans son appartenance ethnique »
… c’est « montrer la reconnaissance de notre pays » : « Reconnaître leur histoire, c’est reconnaître à ces jeunes leur avenir, leur dire qu’avec leur propre histoire ils ont toute leur place chez nous.» …
Bref, c’est « le signe le plus fort pour l’intégration dans la République ».
Et c’est justement ce dont la droite ne veut pas :
« Tout le monde souhaite améliorer l’intégration, mais les moyens, c’est clair, diffèrent fortement. Pour nous, il n’y a qu’un vrai moyen : faire naître le désir de devenir français chez tout étranger qui veut durablement rester sur notre sol. Telle est notre ambition, qui devrait être celle de chacun dans cet hémicycle ».
Le droit de vote : un moyen d’intégration ? un préalable ? un aboutissement ?
Et toi, ami(e) étranger(ère) – puisque c’est de toi qu’il s’agit – que dis-tu de tout cela ?
[Toutes les citations qui émaillent cette lettre sont extraites d’un débat qui s’est déroulé à l’Assemblée nationale le 26 novembre 2002 à partir d’une proposition de loi socialiste (qui – évidemment ? – fut rejeté.)