Il était une fois un jeune énarque qui, las de hanter les cabinets des grands, voulut découvrir les vastes horizons de la politique.
Il se fit donc nommer ministre et obtint l’assurance qu’il aurait – toute autre affaire cessante ( mais c’était sans compter sur les attentats de janvier ! ) – une LOI qui, non seulement, porterait son nom, mais qui serait présentée en première page du grand Livre du gouvernement, car ce serait un texte « marqueur » de la législature, qui montrerait à tous – et à Bruxelles en particulier – que la France était capable de mener à bien de nombreuses et profondes réformes.
Lors donc il sortit du placard un projet de loi initié par son prédécesseur, y rajouta quelques idées de son cru et retira celles qui sentaient trop le soufre.
Fier comme Artaban, il se présente à l’Assemblée devant la commission mise en place spécialement pour étudier son texte. On allait voir ce qu’on allait voir ! Notre jeune premier allait montrer à ces ringards de parlementaires comment l’on pouvait aller vite et bien en matière de réformes.
Il est surpris de se trouver face à des gens sérieux, conscients de leur pouvoir – puisque ce ne serait pas « son » texte qui serait mis en débat ( et au vote ) dans l’hémicycle – mais néanmoins des gens avec qui il y avait moyen de discuter, même s’ils sont dans l’opposition.
Il y avait juste ce petit carré d’irréductibles – pourtant issus des rangs de la majorité – ; mais qu’à cela ne tienne : en manœuvrant bien, il est possible de récupérer quelques voix du côté de l’opposition pour compenser d’éventuels désistements dans la majorité.
Alors, on discute : « Je prends votre amendement si vous votez l’article » … etc. De fil en aiguille, le texte grossit, grossit … et notre énarque est plus que fier de l’intérêt que tous ces gens portent à son affaire. Il est même convaincu que, puisque ces gens sont des « représentants de la nation », que tous les Français soutiennent les réformes envisagées. Sans voir que ce qui est donné à l’un est enlevé à l’autre … ce qui fait un heureux et un mécontent!
Puis vient le jour de la consécration. Face à la représentation nationale – et aux caméras !- , il va pouvoir défendre le projet. Il ne devrait pas y avoir trop de problèmes : comme c’est le texte de la commission qui vient au débat, les députés ne vont pas aller contre leurs collègues qui ont si bien travaillé.
S’il y a encore des récalcitrants, c’est qu’ils n’ont pas bien compris les enjeux et les subtilités de l’économie moderne. Alors, notre énarque se fait grand pédagogue. Il parle, il parle, il explique. Il a le sentiment que tout se passe bien et que le vote est quasiment acquis. Avec mille amendements acceptés ( en commission et en séance plénière ), il faudrait être mauvais joueur pour ne pas suivre.
Mais notre ministre débutant n’avait pas mesuré l’importance du facteur temps dans le processus de fabrication de la loi.
On avait choisi la formule du temps programmé, qui a l’avantage ( ! ) d’obliger les groupes à faire eux-mêmes la police car, une fois dépassé le temps de parole autorisé, les députés ne peuvent plus défendre leurs amendements. C’est ce qui s’est effectivement passé pour plusieurs groupes, tant et si bien que des sujets éminemment sensibles comme les licenciements collectifs, les prud’hommes, sont arrivés en fin de débat et ont été exécutés à toute vitesse.
Trop, c’est trop ! Et nos frondeurs ont fait savoir qu’ils ne voteraient pas le texte. Les grands chefs font leurs comptes … çà risque de ne pas passer. Ils considèrent que « la France » ne peut pas prendre ce risque. Alors, ils décident d’utiliser la grosse artillerie : il n’y aura pas de vote … ce sera le 49-3.
Et notre ministre hyper-réformateur de pester contre ces minorités qui jouent la réforme « aux dés » et qui sont plus préoccupés par congrès du PS de juin que par attentes des Français !