Je terminerai ma série commémorative (21 avril/ 10 mai 1981 ) par une évocation un tantinet iconoclaste de mai 68.
Où on entendra parler de « l’ère du « Familles, je vous hais !« » … d’une société « devenue de plus en plus inéquitable pour les jeunes femmes conçues sur les barricades » …
Où l’on découvrira que la « permissivité soixante-huitarde » ( l’expression serait de Mme Alliot-Marie et c’est Arnaud Montebourg qui y fait référence) est la source de tous les maux de ladite société : les pompiers qui se font insulter, les nomades qui font ce qu’ils veulent dans des terrains qui ne leur appartiennent pas, etc.
Je commencerai – à tout seigneur, tout honneur ! – par Luc Ferry, grand penseur de (sur) mai 68 et, à pour l’heure, ministre de l’éducation …
« La vérité, c’est que la droite s’occupe de la jeunesse tout aussi bien que vous, sinon beaucoup mieux, et qu’elle ne recourt pas à ce « jeunisme » démagogique dans lequel on a sombré depuis des décennies, notamment avec l’héritage de mai 68 ! « (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)… et j’illustrerai les méfaits du « jeunisme » soixante-huitard par une intervention de Guy Geffroy – un ancien proviseur – qui, à propos des retraites, fustige les « dérives irresponsables de ceux qui ont cru que l’avenir se paierait à crédit » …
« M. Guy Geoffroy. Cinquante-trois ans, c’était l’âge moyen des membres de notre assemblée lorsque, il y a presque un an, elle a été installée dans ses fonctions. Cinquante-trois ans, c’est aussi l’âge moyen des enfants du baby-boom. [ …]
La génération du baby-boom, qui est aujourd’hui celle du papy-boom,…
Mme Martine Billard. Du mamy-boom aussi ! (Sourires.)
M. Guy Geoffroy. … se souvient. Elle se souvient [ de ce que disait Michel Debré], à la fin des années 60. […]
Il nous disait, à cette époque, qu’il fallait regarder l’avenir au fond des yeux et ne pas oublier que les enfants qui ne naîtraient pas manqueraient à jamais, le jour venu, et créeraient, par leur absence, des difficultés inéluctables au moment de payer l’addition. (Applaudissement sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
Mais il est vrai qu’à cette époque on disait beaucoup plus volontiers que la vie pouvait devenir futile, facile, qu’il était « interdit d’interdire », que l’on pouvait par la même occasion [ …] considérer que les jeunes pouvaient s’affranchir de la contrainte naturelle de l’autorité de leurs aînés et, sous prétexte d’une autodiscipline qui leur viendrait naturellement à l’esprit, se préparer à leur avenir.
Malheureusement, l’avenir a montré qu’il n’en était rien. Le combat solitaire, difficile, qu’il nous faut saluer, des enseignants aujourd’hui est bien là pour témoigner des dégâts qui ont résulté pendant de nombreuses années des dérives irresponsables de ceux qui ont cru que l’avenir se paierait à crédit. […]
Mme Nadine Morano. Très bien ! »
… au passage, je saluerai « l’ensemble des détenteurs, ne fût-ce que d’une parcelle, de l’autorité publique » qui – toujours à cause de la « permissivité soixante-huitarde » ont bien du ma à défendre leur autorité … et leur uniforme ! …
« M. Marc Le Fur. Avec cet article [ il est question de sanctionner sévèrement toute agression physique ou verbale contre un détenteur de l’autorité ] , nous soldons un peu mai 68.
Rappelez-vous le slogan : « Il est interdit d’interdire », rappelez-vous la dénonciation de toute forme d’autorité. Eh bien, les résultats sont là : des pompiers insultés, des policiers menacés, des contrôleurs de transports publics systématiquement humiliés !
Tous ces personnels doivent se sentir soutenus. Non à la banalisation de l’agressivité verbale dont ils sont trop souvent l’objet ! Pourquoi faut-il protéger les titulaires de l’autorité publique ? Non pas parce qu’ils jouiraient d’un quelconque privilège, mais parce que le fait qu’ils portent un uniforme les expose à l’agressivité de certains. »
« M. Jacques Myard. Regardons les choses en face : il y a toujours eu des nomades dans notre pays. Tout le monde a en tête cette image d’Épinal de la caravane qui chemine le long de nos routes. Il n’y avait pas de problème autrefois mais, depuis une dizaine d’années, par esprit de système, on a créé un appel d’air. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) On a voulu que tout le monde vive comme il l’entend dans notre société. Mais nous ne sommes pas dans les steppes de l’Asie centrale : nous sommes une société sédentarisée dans laquelle on vit selon certains us et coutumes, et l’on ne saurait revenir en arrière.
L’esprit de 1968 est passé par là et les lobbies se sont mis à l’œuvre. Chacun devait pouvoir vivre comme il l’entendait en ignorant les autres. Et une proposition d’origine parlementaire visant à créer des aires d’accueil a été introduite dans la loi Besson de 1990. On n’a fait que créer un appel d’air !
Le problème existait, j’en conviens, mais il a été démultiplié par une démagogie facile.
… et, puisque les « soldes » sont ouvertes, je m’intéresserai un temps aux « gens du voyage » – qui sont, chacun le sait, des soldeurs permanents … mais qui ne restent jamais en place. ..
Vous allez me dire : que vient faire mai 68 dans cette affaire ? … Mais si, mais si … Patience ! nous y voilà !
… Je m’en vais terminer par un « appel d’air » phénoménal … Accrochez vos ceintures, çà va déménager ! …
« M. Jean-Michel Dubernard,
président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Depuis près de dix ans, des sociologues, des anthropologues et des juristes de gauche produisent des réflexions inattendues sur la question de la famille, on l’a entendu en vous écoutant. Pour ces observateurs, l’ère du « Familles, je vous hais ! » est bel et bien révolue.
M. Bernard Accoyer. Enfin !
M. Jean-Michel Dubernard. Dans les années soixante, il y avait, certes, une volonté justifiée de sortir d’un siècle de morale répressive et pesante. Les revendications d’autonomie, de liberté, le souci de dénoncer un certain conformisme participaient incontestablement d’un discours de progrès. L’autonomie fut érigée en valeur opposée à la servitude des liens familiaux. Dès lors, il ne fut plus question de parler de famille au risque d’être traité de réactionnaire.
[…]
[ Mais] à l’heure du « chômage des fils » , on a moins envie de parler de la « mort du père », que proclamaient les jeunes de 1968, la bouche pleine. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Bernard Accoyer. Eh oui, ça s’est passé comme ça !
[…]
M. Jean-Michel Dubernard. La gauche institutionnelle, usée par le pouvoir, a pris un temps de retard et n’a pas su adapter son discours familial aux exigences de notre temps. Résultat, notre société est devenue de plus en plus inéquitable pour les jeunes femmes conçues sur les barricades. (Rires et exclamations.)
M. Jean Le Garrec. Allons !
M. Jean-Michel Dubernard. C’est la vérité, monsieur Le Garrec ! Où étiez-vous en 1968 ? (Rires et exclamations sur de nombreux bancs.)
M. Denis Jacquat, rapporteur pour l’assurance vieillesse. Sur les barricades !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Que faisiez-vous en 1968, monsieur Le Garrec ?
M. Denis Jacquat. Il était CRS ! (Rires.)
M. Jean-Miche Dubernard. Le plus d’égalité péniblement obtenu dans leur vie publique, elles l’ont payée d’un gros moins dans leur vie privée,…
M. François Goulard, rapporteur pour avis. Oui !
M. Jean-Michel Dubernard. … au cri de « La femme oui, la famille non ! » Oubliant que les enfants étaient l’un des habituels sous-produits de la sexualité, la gauche a tardé à prendre en compte les difficultés des mères au travail.
Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure . C’est incroyable ce que l’on entend ce matin !
[…]
M. Jean-Michel Dubernard. La gauche reste imprégnée de réflexes qui ne correspondent plus à la réalité. Mais la moindre critique vaut à son auteur l’insulte suprême de « vichyste ». (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour la famille [PS]. Qu’est-ce que cela vient faire là ?
M. Jean-Michel Dubernard. A vous entendre, nous sommes vichystes. Pourtant, quoi que vous puissiez penser de nous, nous ne sommes assurément pas des Pétain, des Salazar ou des Franco. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Mme Marie-Françoise Clergeau. Mais je n’ai rien dit !
[…]
M. Jean-Michel Dubernard. Ces discours de « vieux galopins nostalgiques » étouffent la voix des vrais déshérités.
M. Jean Le Garrec. Suis-je un vieux galopin nostalgique ? Cela m’arrangerait bien ! (Sourires.) »
Ce dernier texte est un morceau d’anthologie !
Pas seulement parce qu’il dit de façon imagée l’air du temps,
mais – tout simplement – parce que nos deux « galopins nostalgiques » – Dubernard/RPR et Le Garrec/PS ont cessé d’user leur culotte sur les bancs de l’Assemblée … ils ne pourront donc plus se livrer à de telles joutes.
Mais, que diable ! – Pourquoi faudrait-il que l’Assemblée fût triste !