2010/Non, M.Balladur, nous n’avons pas élu un corps de contrôleurs !

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2 juin 2010

 

Non, M.Balladur, nous n’avons pas élu un corps de contrôleurs !

par Denis Mériau, un citoyen ordinaire02.06.10

Monsieur Balladur.

Le 17 mai dernier, vous avez publié  un rapport d’étape intitulé « La réforme institutionnelle deux ans après » et portant la signature émérite de feu votre Comité ad hoc.Même si ce n’est pas convenable sur le plan de l’exposé, je commencerai par votre conclusion :
« 
L’opposition sait qu’elle n’est pas la majorité et que, dès lors, ses propositions de loi, par exemple, peuvent ne pas être adoptées.
Peut-être serait-il d’ailleurs plus opérantque l’opposition oriente son action vers les activités de contrôle, qui constituent sa vocation première dans la plupart des démocraties parlementaires. »
Non, M. Balladur, nous n’avons pas élu un corps de contrôleurs de la nation ! Nous avons élu des gens pour nous représenter, pour parler « en notre nom », pour parler de nos affaires, de ce qui nous intéresse, de ce qui détermine nos conditions d’existence, de ce qui fait que la nation n’est pas un champ de foire où chacun défend ses intérêts — et seulement ses intérêts ! Nous avons élu des gens pour que la loi que nous allons faire nôtre porte en elle quelque chose de nous, quelque chose qui nous ressemble, quelque chose qui nous rassemble !

Vous dites :
« 
Il appartient à la majorité comme à l’opposition de s’accorder durablement sur leurs règles de conduite, car chacun sait que leurs rapports respectifs sont naturellement marqués au sceau de la précarité, l’alternance étant la condition même de la démocratie. »
Mais, avec une telle conception de la démocratie, il n’y a pas que les députés qui vont être «
marqués au sceau de la précarité », mais — comme je l’écrivais dans une chronique du 24 mars 2009 intitulée La réforme du travail parlementaire : bonjour l’ennui ?, vous allez faire de tous les électeurs « des intermittents de la citoyenneté, des pourvoyeurs de voix, des plantes-supports sur lesquelles on grefferait des programmes tout faits ». Bref, tout l’inverse de la démocratie ! Vous dites, à propos du fameux « temps programmé » :
« [Ce dernier]
apparaît comme un moyen pour le Gouvernement et l’Assemblée de construire un agenda qui offre une certaine prévisibilité et de permettre à la majorité de faire adopter ses projets dans des délais raisonnables, ce qui constitue la règle minimale de la démocratie. »
Non, M. Balladur, la « 
règle minimale » de la démocratie, c’est celle que Jean-Louis Debré rappelait aux collègues-députés qui venaient juste de l’élire président de l’Assemblée en 2002 :
« 
Quelle que soit notre préférence politique, quels que soient nos choix partisans, nous détenons ensemble une part de la souveraineté nationale. […] Il ne s’agit pas seulement, mes chers collègues, de respecter les droits de l’opposition ; il s’agit aussi d’écouter sa voix.
Elle est celle de millions d’hommes et de femmes dont les préoccupations ou les attentes doivent pouvoir être prises en compte dans le cours du processus législatif. »Vous ajoutez :
« 
Raison de plus pour trouver un rythme parlementairequi laisse le temps d’examiner les textes dans de bonnes conditions pour en assurer la meilleure qualité possible et d’offrir à l’opposition la possibilité d’exprimer son point de vue dans des conditions satisfaisantes. »
Décidément, vous êtres trop bon, Monsieur not’ maître : des « 
conditions satisfaisantes »… … Quand, comme vous le dites dans votre rapport, les bancs de la majorité sont déserts les jours où l’opposition met en œuvre le droit que vous lui avez généreusement octroyé de défendre jusqu’à trois propositions de loi (vous vous rendez compte, trois propositions de loi… qu’est-ce qu’ils veulent de plus ? … Ils veulent « faire la loi » ?) …
… Quand comme vous le dites dans votre rapport, la majorité dénature complètement la nature des commissions d’enquête (du type « dépenses d’études d’opinion » ou « santé des salariés ») que l’opposition souhaite mettre en œuvre en application d’un autre droit que vous lui avez aussi octroyé…
Mais, tout compte fait, je ne vous sens pas si convaincu, pas si optimiste que vous le dites dans votre introduction (« Si le renforcement des pouvoirs du Parlement est une réalité… ») quand — faisant allusion au fait que les députés de la majorité n’ont pas besoin d’assister aux séances où sont discutées les propositions de loi de l’opposition (puisqu’il y aura « réserve de vote » et « vote bloqué » et qu’il suffira de se présenter le mardi suivant pour actionner le bouton de (non) vote !) — vous semblez faire comme un rêve éveillé, un cauchemar même !
« 
C’est un nouvel usage de ces procédures qui, s’il était poussé à l’absurde, pourraient conduire à ce que tous les textes soient traités de la sorte. On imagine ce qu’il adviendrait du débat parlementaire. »Mais — fort heureusement (pour vous… et pour nous !) — vous allez vite retrouver vos esprits et les mots qui rassurent :
« 
Aucune procédure ne peut se substituer à la liberté des parlementaires. »  (Ouf ! ils l’ont échappé belle !)
« Le jeu politique est ce qu’il est et il serait illusoire, voire contraire à l’idée même de démocratie, de prôner ou d’espérer un quelconque unanimisme. »« Le jeu politique est ce qu’il est »… c’est sans aucun doute avec de telles formules que vous allez donner envie au citoyen de se rendre aux urnes.Mais, là aussi, je vous sens pris d’un doute : « La réforme, dites-vous, parlementaire ne peut réussir que si elle parvient à capter l’attention des citoyens et leur redonne confiance en la démocratie représentative
. »
Eh bien, franchement ! Ce n’est pas avec de tels propos, ce n’est pas avec une telle conception du rôle de l’opposition (non ! je vous le répète, nous n’avons pas élu un corps de « contrôleurs » !) que vous dissiperez ce que j’appelle l’« ennui démocratique ».