2009/ La réforme du travail parlementaire_bonjour l’ennui ?

    La réforme du travail parlementaire : bonjour l’ennui ?

CONTEXTE :

Mardi 20 janvier 2009 : séance houleuse à l’Assemblée.

 

Depuis plusieurs jours, les députés débattent d’une « loi organique » portant réforme du travail parlementaire. L’article 13, qui vient en débat ce soir-là, n’est pas un article comme les autres. Il est question de fixer des limites à la durée des débats, ce qui implique de limiter le temps consacré à la défense des amendements.
  Le président de séance, à la demande du rapporteur, demande à l’Assemblée d’arrêter la discussion sur l’article alors que cinq orateurs seulement se sont exprimés.
Les députés de l’opposition sont furieux. Il se dirigent vers la tribune présidentielle en criant : « Démocratie ! » « Démission ! ». Les députés socialistes, en fin de compte, quittent l’hémicycle.
Et, pour une fois,  les medias vont s’intéresser à ce qui se passe à l’Assemblée.

    Mais cet engouement ne va pas durer longtemps ! Peu de commentateurs se donneront la peine d’aller au fond du problème et de poser la question – la seule qui vaille : à quoi servent ces débats ?
En d’autres termes, est-ce que cela vaut vraiment le coup de se battre sur des questions de procédure parlementaire ? En quoi cela peut-il concerner –  je n’oserais dire intéresser – le citoyen ?

    Pour ma part, je considère que l’absence – ou l’insuffisance – de débat ne peut que générer un « ennui démocratique » et faire de nous des intermittents de la citoyenneté, des pourvoyeurs de voix, des plantes-supports sur lesquelles on grefferait des programmes tout faits. Bref, tout l’inverse de la démocratie !

   D’où le titre de cet article (non publié) qui va servir de point de départ – d’assise, de fondement –  du blog : « La réforme du travail parlementaire : bonjour l’ennui ? »

 

        À l’heure où le citoyen peine à savoir qui croire – il en est qui se présentent en champions d’une démocratie moderne, seuls capables de « moderniser », de « réformer », de « rationaliser » le débat parlementaire ; il en d’autres qui  disent être les victimes sacrificielles d’une énième attaque contre les droits de l’opposition érigés en pierre de touche de la démocratie ? -, je propose d’en revenir aux fondamentaux , c’est-à-dire de se demander – tout bêtement – à quoi servent les débats parlementaires ?
Une précision avant d’entrer dans le vif du sujet : je parlerai ici uniquement des débats de l’Assemblée nationale, (que je connais mieux et qui semblent davantage être au cœur des polémiques actuelles.) 

 1.Donner CORPS à la loi    

    Au commencement est le vote. Par son vote, le citoyen a dit ce qu’il pensait, ce qu’il souhaitait. Le député élu est arrivé au Palais-Bourbon avec sa musette pleine de nos desideratas, de nos peurs, de nos attentes, de nos revendications. Chacun d’eux – et ils sont 577 ! – est porteur d’une multitude de paroles segmentées, fractionnelles, contradictoires,  dont il se doit de faire écho. La multitude de « messages » dont il a été destinataire, il lui revient de les interpréter, de leur donner toute la publicité nécessaire et, si possible, de les traduire en termes de loi.
Mais tout ne pourra pas être inscrit dans la loi. Aussi, la première tâche de l’Assemblée consiste-t-elle à opérer un tri dans la masse des aspirations citoyennes. Au terme du débat, seules, celles qui auront été considérées « légitimes » – c’est-à-dire dignes d’être inscrites dans la loi – seront « incorporées » dans ladite loi. 

 2.Donner FORME à la loi

    Cette loi, chacun voudrait qu’elle soit claire, simple, lisible et le député se rêve volontiers en artisan (« Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage ! ») , voire en paysan-vigneron (« On fait une bonne  loi comme on fait du bon vin !»).Mais qu’il est long – et complexe – le chemin qui mène du désir à la loi !Une fois identifiés les « besoins », on en fera des « problèmes » – pour qu’il y ait des « solutions », il faut qu’il y ait des « problèmes » !
Et puis, on va tout mesurer à l’aune de l’« intérêt général », avec l’ambition de trouver ce « point d’équilibre » entre des intérêts divergents – tout aussi légitimes les uns que les autres -, entre des principes contradictoires – tout aussi nécessaires les uns que les autres. Cet équilibre va, tout prosaïquement, devoir  s’inscrire dans des normes, des seuils, des procédures. Cela fait un peu « boîte à outils », jeu de « meccano » ; mais c’est incontournable.
Et ce n’est pas tout ! Car il va falloir – puisque la loi est appelée à être écrite, « gravée dans le marbre» – mettre tout cela en « forme » et trouver les mots pour le dire. Or, quoi de plus capricieux, quoi de plus difficile à manier que les mots : s’il en est auxquels il ne faut toucher qu’avec précaution car sont des mots « porteurs », chargés de « symboles »,  il en est d’autres qui sont des mots que j’appellerai « doseurs », car ils servent à déterminer ce qui est « normal », « suffisant », « essentiel », « excessif », « dérogatoire » – et même, dans les cas les plus complexes de « déterminer ce qui est déterminant »
[1] ! Pas étonnant alors que, parfois, les débats s’éternisent ! 

 3.Donner FORCE à la loi

    Une fois voté, le texte qui sortira des débats aura « force » de loi. « Dura lex, sed lex » : « la loi est dure … mais c’est la loi ! » … et, peu ou prou, nous y obéissons. Nous y obéissons parce que nous sommes parties prenantes à la loi : nous sommes demandeurs de loi ; nous désignons ceux qui ont la charge de la « faire » – « en notre nom » –  et, au terme de la législature, nous sanctionnerons ceux que nous avons mandatés à cet effet.
Mais, si nous sommes parties prenantes à la loi, nous ne sommes pas directement parties prenantes au débat : nous avons donné notre « voix » à quelqu’un ; nous en avons fait notre « porte-parole » … en conséquence de quoi, nous n’avons pas droit au chapitre dans l’hémicycle.
Et il en est qui ont encore moins droit au chapitre que les autres : je veux parler de ceux qui, ayant voté, ne sont pas représentés par celui à qui ils ont donné leur voix.  Ces derniers devront se faire violence : la loi s’appliquera à eux aussi.
Tel est le lot de la démocratie : la loi du nombre, le règne souverain de la majorité. Alors, pour que celui qui n’a pas souhaité la loi accepte quand même de s’y soumettre, il faut  que cette loi soit  discutée, mise en pièce ; il faut  que l’on pèse le pour et le contre,  que l’on se demande s’il n’y a pas d’autres solutions, d’autres « alternatives ». L’opposition est là pour faire entendre la « voix » de ceux qui avaient choisi une autre « voie », une autre loi. La violence qui se manifeste dans certains débats – entre autres, sous forme d’« obstruction » – répond à cette violence fondatrice du contrat citoyen. 

   4.Donner SENS à la loi

    Une loi, à elle seule, ne peut pas tout faire. La loi ne produira d’effet que si le citoyen la fait sienne. Et il ne la fera sienne que si cette loi est porteuse de sens, que s’il en comprend le sens.
Le débat parlementaire apparaît ainsi comme le temps – le lieu – où ce sens prend naissance (Ne parle-t-on pas de l’« esprit » d’un texte ?). Pour certains, c’est le réel lui-même qui fait sens car il dit la « nécessité » ; il indique le « bon sens » (qui, comme chacun sait est toujours un sens unique !) et fonde une politique rationnelle. Pour d’autres, c’est le recours aux « principes », aux « valeurs », aux « idéaux » – mais, malheur à celui qui prononcera le nom d’« idéologie » ! – qui permet de faire sens et de mobiliser le citoyen.
La politique, c’est tout cela ; mais ce n’est pas que cela.  C’est aussi est un lieu de projection tous azimuts d’humeurs, de vouloirs, de rêves. C’est, par définition, la quête d’un ailleurs, d’un autrement. Et c’est dans cette tension entre le désir et le réel, entre l’idée et le fait que réside l’essence-même de la démocratie. On pourrait imaginer – vouloir ? – un électeur rationnel qui, au moment de son vote,  aurait pesé le pour et le contre, qui connaîtrait bien les idées de son député, le choisirait en toute connaissance de cause et lui demanderait des comptes.

    On pourrait imaginer – vouloir ? – un député rationnel …  une Assemblée rationnelle … qui délibérerait au fond – et uniquement au fond . Il n’en est rien. Ou plutôt …cela est … mais cela n’est pas le tout de l’Assemblée.
Il y a dans le débat quelque chose qui dépasse le débat, quelque chose de mystique, de mythique, quelque chose comme la quête éternellement recommencée d’un ailleurs, d’un au-delà , de cette « inaccessible étoile » rêvée par Jacques Brel. Et cette quête n’est que la traduction de notre condition – de notre limite – d’homme. Le jour où nous avons arrêté de nous en remettre à un Dieu, à un Roi, pour gérer nos affaires, nous sommes entrés dans un univers d’incertitude(s) – l’ « univers démocratique » – où rien n’est écrit d’avance, où le chemin fait débat. Ainsi, l’orgueil fondateur du Citoyen nous oblige au débat, car il n’est pas d’arbitre, de juge qui soit au-dessus du citoyen.
La démocratie se vit, se débat « sans filet ». Au lieu de récriminer sans fin contre les députés, nous devrions dire : « Salut, les artistes ! » ou, comme Clémenceau :  « Gloire au pays où l’on parle ! Honte aux pays où l’on se tait  !»  

   5.Donner CHAIR et VIE à la loi

    La loi est une oeuvre humaine, faite par des hommes, pour des hommes. Elle a besoin, certes, de rigueur, de précision ; mais il lui  faut aussi de la couleur, de la chaleur, du cœur, de l’émotion, de la passion, de la « vie », de la « chair ». Et l’on trouve cela dans les débats. C’est ce qui les rend vivants, beaucoup plus proches de la « vie des gens » que l’on pourrait l’imaginer a priori.
L’Assemblée n’est pas d’abord un lieu où s’exerce la raison « raisonnante ». Elle est   chambre d’écho, caisse de « résonance ». Elle est le « parloir » de la nation. Le trivial y côtoie le sublime, et le mesquin les grandes émotions.  Telle un « Janus » à deux têtes (une devant, une derrière  … une à droite, une à gauche ) – l’Assemblée manie avec la même aisance, le sceptre, le balai … et la serpillière ! (« A chacun de balayer devant sa porte ! …/ Vous, vous avez une porte cochère ! Il vous faut un grand balai ! »). Maître(sse) du feu et de la loi … servante au grand cœur et à la grande gueule … porteuse, faiseuse, diseuse de vie … femme de mauvaise vie, de mauvaise réputation … objet de vénération et de mépris – Dieu et guenon ? – ainsi nous apparaît l’Assemblée !Parce qu’elle est une oeuvre humaine, la loi est nécessairement imparfaite … et perfectible. On peut l’encadrer, la rationaliser … il restera toujours ce « je-ne-sais-quoi » d’imprévu – d’attachant – qui fait que , certains jours,  les débats nous plongent en pleine épopée. Quelque chose comme un récit mythique, comme une chanson de geste . Le grand « pow-pow » !.  

   6.Faire du LIEN, faire de l’UN

    Au commencement, ai-je dit, était le vote. Un vote singulier, individuel, individualiste. Un vote qui exprime des intérêts privés, lesquels ne manquent pas d’entrer en conflit avec d’autres intérêts privés.
Partant de là, il revient à l’Assemblée de faire en sorte que le « sectoriel » se transforme en « global », le « spécifique » en « général », le « corporatiste » en « solidaire », le « divers » en « unique », le « local » en « national ». Faire de l’un avec du multiple,  assurer la victoire des forces centripètes sur les forces centrifuges, venir à bout de l’émiettement -de l’anarchie ? – des désirs, telle est la « grande oeuvre » à laquelle doivent s’attacher les députés. Un peu à la manière des alchimistes,  enfermés dans des caves secrètes, maniant cornues et alambics, sels et substances diaboliques, tentant obstinément  de « transformer », de « convertir », de « transfigurer »  toute chose – même futile, même nuisible – en or.
Les débats ne sont pas que des lieux – des temps – d’affrontement. Ce sont aussi des lieux, des temps où s’opère la fusion des intérêts,  la réconciliation de volontés atomisées, juxtaposées, instables : le député est celui qui dit la nécessité du lien, il est celui qui assure le lien, celui qui tient reliés les fils … pour que le courant puisse passer. Les débats sont des lieux, des temps où le « corps social » – multiple et hétérogène – se fait « nation » unie et solidaire.  

   7.Faire exister la NATION

    La nation n’est pas, pour autant, un fourre-tout. Elle n’est pas un grand tout, donné une fois pour toutes, que l’on devrait seulement célébrer, de temps en temps, avec le plus de solennité possible. Elle est addition, assemblage. Elle est construction permanente. Elle est ce lieu, ce temps où une multitude d’hommes devient une seule personne, où une multitude de territoires se font pays, nation.
Au départ, ils sont 577 députés, venant d’horizons divers (pas assez sans doute !) Chacun d’eux, par ses origines, par son expérience,   s’est fait une certaine idée, une certaine image de la France. Et c’est cette idée, cette image qu’il apporte au débat. Certes, par moments, cela tient plus du stéréotype que de l’analyse, plus du « puzzle », du « patchwork » que d’une construction permettant de mieux comprendre le réel et d’agir avec efficacité sur ce réel.
Pourtant, l’une des principales tâches des députés consiste bien à assembler des éléments disparates qui, pris de façon isolée, ne seraient pas porteurs de sens : « La France est ici et non ailleurs ! » disait Paul Reynaud. C’est ainsi que les débats font exister la nation en tant que sujet parlant. Les députés sont dépositaires d’une Parole irréductible qui, dans un indispensable – un indissociable – va-et-vient entre diversité et unité,  fait exister la nation, lui donne corps, la « re-présente », la rend « actuelle », « présente ». Pour que la nation existe, pour qu’elle soit « vivable », il faut qu’elle devienne « disable ». Nos députés sont là pour çà !

    Non seulement, ils mettent  en scène la diversité des attentes de leurs mandants. Non seulement ils cherchent à interpréter la pluralité de sens de leurs paroles. Non seulement ils donnent forme à cette « volonté générale » sans laquelle il ne saurait y avoir de « vivre ensemble ». Mais ils font eux-mêmes l’expérience du « vivre ensemble » … et ce n’est pas là chose facile !
Tout  le monde a en tête les affrontements, les disputes, les interminables parties de yoyos qui rythment la vie de l’Assemblée. Mais si l’Assemblée n’était que cela, comment tiendrait-elle ? Comme tout groupe, le « groupe-Assemblée » ne peut pas exister uniquement sur le mode du conflit ; il a besoin d’espaces communs, de convivialité, de solidarités partagées.
Le « dire ensemble » – et même,  le « rire ensemble » (pourquoi faudrait-il que l’Assemblée fût triste !) – font qu’au-delà des moments de tension et de paroxysme, l’Assemblée connaît aussi des moments de décrues, des moments d’«état de grâce » Le « groupe-Assemblée » est à l’image du Peuple souverain – vous, moi, peuple en chair et en os, prompt à s’enflammer, à attiser la controverse, à s’affirmer aux dépens de l’autre. Alors, il ne faut pas s’étonner que, lorsque les « représentants » dudit Peuple – « nos » représentants – sont appelés à débattre de  « nos »  affaires, de « nos » inquiétudes, de « nos » émois , il y ait, dans ce genre de discussion,  « un peu  (voire beaucoup !) d écume » .  

    Les députés sont des gens comme vous et moi, avec leur tempérament, leurs humeurs, leurs envies, leurs rancœurs. La « Nation assemblée » n’existe qu’au travers de cette assemblée faite de chair et d’os, qui épouse toutes les formes du parler humain. Et sans doute, est-ce, précisément, parce qu’elle épouse toutes les formes du parler humain qu’elle peut édicter une loi à laquelle nous obéirons, parce que, quelque part, nous nous y reconnaîtrons.
    A contrario, on peut se demander ce que deviendrait la loi si elle ne passait pas par ce tamis, par cet essorage, par cette tempête verbale, si elle était concoctée dans les arcanes du pouvoir – ou le secret des commissions – sans l’épreuve du débat.  La loi, c’est ce qui nous permet d’exister ensemble, dans la reconnaissance de nos diversités, dans la continuité et la durée.

  EN GUISE DE CONCLUSION (PROVISOIRE)

    Alors, il faut se donner du temps pour la faire – et pour la faire le mieux possible. il faut  libérer un maximum d’espace  pour le débat et  arrêter de considérer que,  parce qu’un jour les citoyens ont voté – majoritairement – pour un homme, pour un programme, tout est dit, tout est   fait. Si l’on devait accepter ce raisonnement, il n’y aurait plus matière à débat.  Et, bonjour l’ennui !
Pas seulement, l’ennui résultant de l’absence de débat  et se traduisant par un  manque d’intérêt du citoyen. Mais un ennui bien plus profond – un « ennui démocratique » – qui ferait de nous des intermittents de la citoyenneté, des pourvoyeurs de voix, des plantes-supports sur lesquelles on grefferait des programmes tout faits. Bref, tout l’inverse de la démocratie !


[1] Allusion aux débats de 2002 sur la décentralisation : il était  écrit, dans le projet de révision constitutionnelle, que les recettes fiscales et les  ressources propres des collectivités locales devaient représenter « une part  déterminante» de leurs ressources. La question n’est pas si futile qu’il n’y paraît  … car  le montant des impôts locaux que nous allons payer dépend  de la réponse apportée à cette question.