Chronique d’abonnés ( lemonde.fr )
par DENIS MERIAU, un citoyen ordinaire
06.05.09
Pour que l’Assemblée nationale joue pleinement son rôle – qui est de débattre et de voter la loi – il faut qu’il y ait :
1) Matière à débat
A priori tout est matière à débat. Mais il est de nombreux arguments qui permettent de limiter la matière des débats : il y aurait des affaires privées qui ne relèveraient pas de la loi, donc pas du débat. Il faut laisser aux acteurs économiques et sociaux le soin de régler les questions qui les concernent. Si ce sont les principes qui viennent en débat, on dira que c’est de la littérature … et qu’il n’y a pas lieu d’en débattre. A l’opposé, si le débat porte sur des cas concrets, problèmes, on dira que cela ne relève pas du domaine de la loi. Et puis il est un raisonnement qui a toutes les apparences du bon sens, mais qui, poussé à l’extrême, amène à contester l’utilité même du débat : je veux parler du respect des engagements pris lors de l’élection.
2) Un ESPACE pour débattre
Un espace-lieu, d’abord. Et cet espace, c’est l’hémicycle ! Pas la salle des pas perdus, là où se pressent micros et caméras ! Ni même la salle des commissions.
Un espace-temps aussi. Car il faut du temps pour débattre ! Mettre de l’ordre dans les procédures ne saurait aboutir en aucun cas à diminuer l’espace de parole des uns et des autres, car chaque député est porteur d’une part de la souveraineté nationale.
3) Une éthique du débat
Si le député de l’opposition est vu d’abord comme un ennemi, et non pas comme le représentant, le porte-parole d’une partie de la souveraineté nationale… si ceux qui ont acquis, grâce au vote des citoyens, la possibilité de mettre en œuvre leur programme, n’ont de cesse de proclamer que l’opposition n’a pas d’alternative, alors même qu’ils refusent de mettre au débat les propositions de ladite opposition… Si les accusations de mensonge, les procès d’intention – et autres procès en sorcellerie – tiennent lieu d’arguments, alors il ne saurait y avoir de débat digne de ce nom !
4) Des gens pour débattre
On aura beau supprimer certaines des contraintes qui pèsent sur l’Assemblée et donner à celle-ci de nouveaux pouvoirs, cela sera de peu d’effet si la soumission au parti l’emporte sur l’initiative individuelle et prive le député de sa liberté de parole. Si la logique tendant à structurer le débat autour de deux grands partis réduit à la peau de chagrin le pluralisme, si les députés, une fois élus, préfèrent se replier sur le sacro-saint terrain, préoccupés qu’ils sont de leurs – trop – nombreux mandats, si la composition de l’Assemblée ne reflète pas mieux celle de la société…
5) Une réelle publicité des débats
Bien sûr, tout citoyen peut, en théorie, assister aux séances de l’Assemblée ou les visionner sur son écran d’ordinateur ; mais comment peut-il s’y retrouver dans cette masse de discours s’il n’est pas des médiateurs (journalistes, militants politiques ou associatifs, forums Internet…) qui attirent son attention sur l’essentiel (Voir un exemple de ce travail de médiation : http://karlcivis.blog.lemonde.fr/ )
6) Une mémoire des débats
Survienne une alternance et les chantres de la rupture – dans le cas de la présente législature, il n’y a même pas eu besoin d’alternance pour cela ! – n’ont d’autre ambition que d’effacer à jamais, définitivement, les marques du passé.
Et pourtant, d’une Assemblée à l’autre, ce sont les mêmes sujets qui viennent en débat, ce sont les mêmes idées qui s’affrontent… au point que certains ne voient dans les débats parlementaires qu’un éternel recommencement !
Les débats parlementaires sont, en quelque sorte, un récit des origines. Un récit qui, par certains côtés, ressemble au précédent. Mais un récit renouvelé, actualisé. Un récit qui nous permet, envers et contre tout, de continuer à exister en tant que nation Assemblée.
7) Des citoyens qui en veuillent vraiment
C’est pour cela que les débats de l’Assemblée nous concernent, nous impliquent, nous interpellent. Si le citoyen ne juge ladite Assemblée qu’à l’aune de ses intérêts égoïstes et de ses vérités toutes faites, alors il ne faut pas s’étonner que ceux que nous avons élus se laissent aller sur la pente facile du clientélisme et de la démagogie .
Par contre, on ne peut que s’étonner que, cinq ans plus tard, ce même citoyen qui n’a pas cessé de dire que l’Assemblée, les députés, les débats, tout cela ne sert à rien, ce même citoyen qui s’est complètement désintéressé de ce qui se disait, de ce qui se faisait dans l’hémicycle (sauf lorsque ses intérêts particuliers étaient en jeu !), eh bien ! Ce citoyen va quand même se donner la peine d’aller mettre son bulletin dans l’urne.
Il n’y a pas que les députés qui soient des intermittents de l’hémicycle ; nous aussi, nous acceptons trop volontiers de n’être que des intermittents de la citoyenneté !
En d’autres termes, on a l’Assemblée qu’on mérite !