L’appel à consensus : un classique de l’Assemblée nationale

« – Le ministre. Ici, vous êtes d’abord des députés avant d’appartenir à tel ou tel parti. Vous êtes tous des représentants de la souveraineté nationale. […] Vous êtes les représentants de la souveraineté nationale, cette situation doit transcender tous les clivages. »

« – Le ministre.  Je pense que, quels que soient les bancs sur lesquels vous siégez dans cette maison, vous êtes tous attachés à l’efficacité de celle-ci.»

Les députés n’hésitent pas à reprendre à leur compte ces rappels qui émanent de membres du gouvernement.

« – Un député de l’opposition. Nous sommes tous ici des représentants du peuple français, quelles que soient notre conviction et notre religion»

« – Un député de la majorité. Une fois pour toutes, essayons de travailler ensemble. Nous serons jugés par les chasseurs, leurs familles, les commerçants qui vivent de la chasse, tous ceux qui en vivent d’ailleurs, sur notre capacité à travailler ensemble sur un sujet, et non pas sur notre capacité à nous diviser, parce que nous sommes assis ici ou là sur les bancs de l’Assemblée

Parce qu’ils sont des représentants du peuple, les députés sont tenus de rechercher les meilleures solutions aux problèmes que vivent leurs mandants, ceux qui les ont envoyé dans cette « maison » – le Tiers. A priori – et c’est ce que laisse entendre la dernière citation – la meilleure solution risque d’être celle qui résulte d’un travail mené « ensemble » , c’est-à-dire sans tenir compte des clivages partisans (droite/ gauche, opposition/majorité) et débouchant – si possible  – sur une décision consensuelle.

Au nom de ce principe, les appels à consensus se multiplient tout au long des débats ;

[ Débat  sur la sécurité.]
« – Un député de la majorité. Nous ne pouvons oublier, en effet, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, les résultats du 21 avril, et le fait qu’un million de Françaises et de Français ont mis un bulletin blanc ou nul dans l’urne tandis que d’autres, plus nombreux encore, ne sont pas allés voter. Dans ces conditions, nous avons tous intérêt, en matière de sécurité, à transcender les clivages politiques traditionnels, et à travailler sérieusement. Nous aurons le loisir, à l’occasion de l’examen d’autres textes, de retrouver ces bons vieux clivages, ce qui sera sans doute rassurant pour tout le monde. »

[ Débat  sur la  bioéthique.]
« – Le ministre. En tout état de cause, le consensus le plus large possible est évidemment souhaitable dans la mesure où c’est la philosophie même de notre société qui est en jeu.  »

Ces appels à consensus sont une pratique courante :  « Depuis deux mois, c’est au moins le cinquième sujet sur lequel on devrait   » transcender les clivages «  !» fait remarquer un député – de l’opposition – lors d’un débat sur la ville.

Récapitulatif :

[ Débat  sur  le droit d’asile.]
« – Un député de la majorité.  Je souhaite que ce texte nous apporte le moyen d’adopter une attitude responsable et, je l’espère, d’aboutir aux termes de nos débats à un large consensus.»

[ Débat  sur larchéologie préventive.]
« – Un député de la majorité. Le projet de loi que vous nous demandez d’adopter, monsieur le ministre, permet de parvenir à un consensus autour des principes et de la mise en application des fouilles.»

[ Débat  sur la réforme du Sénat.]
« – Un député de la majorité. Comme l’a rappelé [le président de la commission] , il faut trouver un consensus.»

A ces débats, il faut ajouter celui sur la chasse, qui présente un aspect particulier puisque, à l’appel d’un député de la majorité déjà entendu (« Une fois pour toutes, essayons de travailler ensemble. »)  fait un écho un appel lancé par un député communiste (pro-chasse) : «Cessons de faire de la chasse un enjeu de polémique électorale. »
En dehors de ce cas précis,ce sont toujours des députés de la majorité qui appellent au consensus. De plus, il faut noter qu’aucun des débats en question – pas même celui sur la chasse – n’a débouché sur un consensus en termes de vote.

Il existe une variante des appels à consensus que l’on pourrait qualifier de « posthume » : « on aurait pu avoir le consensus, mais …

… ce sont les autres qui ne veulent pas …
« – Un député de la majorité. Mes chers collègues, si j’avais un vœu à formuler,  ce serait de voir se dégager un large consensus autour de ce projet – amendé, bien sûr, autant qu’il convient. Mais après avoir écouté les orateurs des procédures préalables, je m’aperçois que ce n’était qu’un rêve. »

… c’est la faute au gouvernement qui n’a pas suffisamment donné de temps pour le débat …
« – Un député de l’opposition. Nous aurions pu bâtir un consensus sur des bases juridiques solides au lieu de procéder de cette façon expéditive que je regrette profondément. (Applaudissements PS.) »

… ce n’est pas le moment …
« – Un député communiste.  [défendant une proposition de loi visant à l’obtention d’une retraite à taux plein avant l’âge de 60 ans   pour les salariés qui ont commencé à travailler très jeunes] C’est une nécessité reconnue, au-delà des clivages traditionnels de notre assemblée, par beaucoup d’entre nous. […] On nous oppose toujours que ce n’est pas le moment : hier, au nom des travaux du Conseil d’orientation des retraites ; aujourd’hui, au nom du débat engagé sur les retraites. Quand arrivera donc le bon moment alors que les victimes sont toujours les mêmes et que leurs situations s’additionnent ? »

… mais il n’y a pas d’argent …
« – Le rapporteur.. Qu’il y ait un consensus général pour dire qu’il serait bon d’augmenter la DSU [dotation de solidarité urbaine] de 200 millions, j’en conviens bien volontiers. Le seul problème, c’est que ces 200 millions, on ne les a pas. La commission a donc donné un avis défavorable. »

Il ne suffit donc pas de vouloir – ou de dire vouloir – le consensus pour que celui-ci se réalise … d’autant plus que les députés qui proposent le consensus souhaitent – en fait, le plus souvent – que les autres se rangent derrière leur opinion.

 «– Un député de l’opposition.  Monsieur le président, je veux bien qu’on nous appelle au débat ; j’accepte même que l’on se revendique du consensus. Mais passer ce débat à entendre à longueur de temps, sitôt que l’on émet une opinion susceptible d’entamer les convictions de la majorité, des remises en cause de notre rôle ou des renvois à ce que « nous n’aurions pas fait .
« – Un député de la majorité.. Mais ce n’est que la triste réalité !
« – Le député de l’opposition.    … quand il ne s’agit pas de critiques sur la façon dont chaque membre de notre groupe fait son travail de député, nous ne saurions l’admettre. Ce n’est pas acceptable. »

Il y a, dans ces appels à consensus, plus de considérations stratégiques que de volonté d’enrichir le débat. J’en veux pour preuve cette réaction d’un ministre : «Je suis très heureux que l’opposition trouve le texte du Gouvernement si convenable qu’il veuille l’enrichir !  ». Ce n’est pas avec de tels arguments que l’on va amener l’opposition à jouer un rôle constructif dans les débats. Et que dire de cette remarque de cette autre remarque –fort gentille – émanant d’un député de la majorité : « Cet amendement va dans le sens de celui que j’avais déposé tout à l’heure. Je regrette que ce soit le parti socialiste qui en ait eu l’initiative. » ? Ce à quoi un député de l’opposition rétorque :« On n’a pas de maladies contagieuses ! »

Faut-il dire – a contrario –  que tout  consensus est  impossible … ou inutile …, que les débats se résument à des joutes partisanes quasiment sans rapport avec les problèmes soulevés ? Cela reviendrait à dire qu’il n’est pas besoin de débattre … ou, si besoin il y a, qu’il n’y a pas moyen de débattre … Bref, autant dire que l’Assemblée nationale ne sert à rien et qu’il n’y a pas grand chose d’intéressant et de substantiel à attendre de la lecture des Comptes rendus intégraux..

La question est d’importance et, avant de se prononcer,  cela vaut peut-être le coup de s’aventurer plus avant dans le contenu des débats, de tendre l’oreille  pour savoir ce qui se dit dans le « parloir de la nation » et surtout comment cela est dit.