« Changer la vie » …
On peut « changer » les institutions, la règle de droit … mais … « changer LA vie » … « changer MA vie « … ?
MOI seul peut changer MA vie.
NOUS seuls – solidairement – pouvons changer NOTRE vie.
Mais ne voilà-t-il pas que – les élections approchant – l’expression connaît quelque chose comme un retour de flamme !
Et pourtant … pendant longtemps, la période 1981-1986 a été marquée du sceau du tabou. À qui bon revenir sur une période qui fut vécue par les uns – à droite – comme une infidélité de la nation, une expérience contre nature et, par les autres – à gauche – comme une erreur de jeunesse ou, au mieux, l’éblouissement d’un état de grâce inespéré, la tension d’un désir inassouvi ?
…1981 …
J’ai dit dans les rétro-débats l’histoire de ces députés socialistes porteurs d’un projet novateur et ambitieux – celui d’une « nouvelle politique agricole », et, plus globalement, d’une « nouvelle citoyenneté ». J’ai dit les « passages obligés » dans lesquels leur projet a perdu de sa cohérence, de sa vigueur : corporatisme et omniprésence de la FNSEA, contraintes de l’Europe, politique de rigueur, etc.
Même les mots « porteurs » se sont effondrés, sans tambour ni trompette, sans que cela soit dit et sans que l’on sache le pourquoi : « offices fonciers », « quantum » (prix différenciés en fonction du volume de production).
Alors, nos députés dépités se sont séparés en deux groupes : les impatients et les mutants ( sans parler de ceux qui ont tout bonnement disparus !).
Parmi les « mutants »,
il y a ceux qui ont succombé aux sirènes de la « rigueur » d’abord, puis de la « modernité »
et ceux qui ont tenté de redonner vie et souffle à la « nouvelle politique » en célébrant les vertus de la montagne … et de l’ «auto-développement ».
… 1986 …
Dernier débat sur l’agriculture. En fin de débat, le ministre, qui a remplacé Michel Rocard – Henri Nallet – prend la parole :
« Je n’ai rien entendu de très précis et de bien nouveau. [ Le discours de la droite ] pourrait se résumer à ceci : si nous revenons au pouvoir, nous ferons comme avant. Comme si le temps n’était qu’une parenthèse ! On peut alors rêver d’arrêter la pendule ou de décréter la dissolution de la réalité. »
Quant à André Lajoinie (PCF), il compare l’agriculture à une « vieille dame très riche ». « Elle trouve de tout à son chevet : des amis sincères qui l’ont toujours défendue et ceux-là mêmes qui ont versé le poison dans le bouillon. »
Insensiblement un univers magique – et sombre – s’est substitué aux printemps rieurs d’une Assemblée en émoi (« C’est la grande semaille des promesses folles ! ») : une fée maléfique y distille ses poisons et, pour mieux dissimuler ses méfaits, arrête le temps.
« Avec la répétition des moulins tibétains », des chevaliers errants soliloquent des « incantations » qui « relèvent du domaine de l’irrationnel ». ( les expressions en italique sont de G.GOUZES )
« Il faut – ne cessent-ils de répéter – » re-donner » confiance aux agriculteurs. »
« Il faut que l’agriculture » re-devienne » une priorité essentielle. »
« Il faut » re-donner » à l’agriculture la place qu’elle mérite. »
Et le grand imprécateur de leur répondre :
« La vérité ne consiste pas à considérer le monde agricole comme une réserve électorale pour notables en mal d’élection. Les agriculteurs ne doivent plus être les spectateurs du cirque dérisoire que vous leur présentez. « (G.GOUZES)
Ainsi à chaque veille d’alternance, s’exprime – avec force ( la « force tranquille » … ) et lyrisme l’ardente nécessité du renouveau.
(Ainsi, dans les campagnes, les catholiques célébraient, il n’y a pas très longtemps, l’arrivée du printemps par une procession qui parcourait les champs en demandant au Dieu tout-puissant de bénir et de protéger les moissons à venir. On y chantait – comme dans notre Assemblée « re-nouvelée » – de longues litanies.)
On peut voir dans ces rites une illusion de plus. Une façon de taire nos incertitudes. Et/ou de nous rassurer. On peut y voir aussi la marque de notre humaine nature, qui fait que la vie politique connaît des saisons tristes et des saisons plus gaies.
C’est tout de même bizarre qu’en France les élections aient toujours lieu au printemps … comme les grandes grèves et manifestations, qu’il s’agisse du Front populaire ou de mai 68 ! ) ! Ainsi, à chaque saison (électorale) qui commence, on veut y croire. On a besoin d’y croire. On voudrait qu’à ce coup, çà soit le bon … et que çà « change » vraiment.
Et tels les chevaliers égarés dans la prison du « Val sans retour », ceux à qui nous avons confié la difficile mission de tracer les chemins qui nous conduiront au Val du renouveau et de la citoyenneté retrouvée ne voient pas d’autre issue que de « re-faire » le même chemin sur lequel ils se sont – ils nous ont – égarés.
Quel est donc le chevalier fidèle – Lancelot des temps modernes – qui réussira à déjouer les pièges de la fée maléfique ?
D’aucuns nous disent
– et j’en reviens à notre grand imprécateur ( on pourrait aussi se reporter au « parler vrai » de Michel Rocard/ BARRE … ROCARD … et les autres ) – que ce chevalier fidèle n’a pas l’humaine apparence ( en ce sens qu’il s’est dépouillé des envies, des vouloirs, des rêves … qui font, pourtant, aussi partie de l’humaine nature ) … il a nom « vérité »
« Ce que veulent désormais les agriculteurs – et il en va ainsi de l’ensemble des citoyens -, c’est la vérité, la vérité toute crue, aussi difficile soit-elle. »
« C’est d’elle et d’elle seule que nous tirerons les solutions les plus aptes à définir la politique ( agricole ) que nous souhaitons. »
La prison du Val sans retour était une prison invisible « aux murs d’air infranchissables ». « Rien ne la distingue du reste de la forêt. »
Aussi l’observateur éprouve-t-il quelque difficulté à savoir si la vérité toute « crue » – encore faut-il y croire ?- a fait éclater les limites du jeu politique ou si le « parler vrai » n’est, en définitive, qu’une autre façon de vivre – de dire – l’aliénation ?