27 avril 2009. Les députés débattent de la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale. Des députés socialistes se lancent à l’assaut de la tribune pour protester contre qui tentait de faire passer en force « sa » réforme du Règlement.
15 septembre 2010. Les députés achèvent – il est neuf heures du matin ! – le débat sur les retraites. Les députés socialistes courent après le même B.ACCOYER qui, en violation dudit Règlement, venait de couper la parole à quelque cent députés inscrits pour ce qu’on appelle les « explications de vote ». En 2009, j’écrivais – dans un moment de révolte et de sursaut démocratique – un texte intitulé » la réforme du travail parlementaire : bonjour l’ennui ! «
Dans ce texte, je proposais d’en revenir aux fondamentaux , c’est-à-dire de se demander – tout bêtement ( !) – à quoi servent les débats parlementaires (plus particulièrement les débats de l’Assemblée ) ? Ce texte était dit « fondateur » pas seulement parce qu’il tentait de revenir aux fondamentaux, au fondement, aux fondations mais aussi parce qu’il allait marquer la création – et servir de trame du présent blog. En 2010, j’aurais pu me réjouir d’avoir eu raison – à un moment où beaucoup de commentateurs pensaient qu’il y avait quelque chose de bon à tirer de cette réforme. Mais, là encore, la révolte l’emporta. Et le sursaut. Et CE sursaut.
J’ai donc entrepris de revisiter – à chaud – la grille d’analyse que j’avais élaborée un an plus tôt. A la réflexion sur le POURQUOI (les débats, « à quoi çà sert ? ») , j’ai ajouté une réflexion sur le COMMENT ( les débats, « à quelles conditions ? »/ voir autre page )
D’où les articles qui vont suivre
Les débats de l’Assemblée nationale servent à …
– proposition 1 : donner CORPS à la loi [ page 2 ]
– proposition 2 : donner FORME à la loi [page 3 ]
– proposition 3 : donner FORCE à la loi [page 4 ]
– proposition 4 : donner SENS à la loi [ page 5 ]
– proposition 5 : donner CHAIR et VIE à la loi [page 6 ]- proposition 6 : faire du LIEN, faire de l’UN [page 7 ]
– proposition 7 : FAIRE EXISTER LA NATION [ page 8 ]
1) donner CORPS à la loi
Donner CORPS, c’est « inscrire » dans la loi. Une fois la loi votée, il y a ce qu’il y dedans … et ce qui n’y est pas.
Ce qui est inscrit dans la loi, ce sont les deux bornes ( 62 et 67 ans), c’est l’augmentation de la cotisation pour les fonctionnaires, etc …
Ce qui n’est pas dans la loi, mais renvoyé à une (éventuelle) loi de finances, ce sont, par exemple, les (maigres) prélèvements sur le capital. Ce report a permis de rejeter – après un débat à minimum – toutes les propositions de financement alternatif ( qui ne venaient pas que de la gauche). Mais, ce qu’il faut bien voir, c’est que la taxation de revenus autres que ceux directement issus du travail est maintenant inscrite dans la loi, alors qu’elle ne l’avait pas été dans la loi de 2003.
A contrario, la notion de « pénibilité » – qui avait fait une apparition en 2003 (avec renvoi à la négociation entre partenaires sociaux) et qui a occupé une part importante dans les discours de droite et de gauche – n’est inscrite dans la loi que sous la forme tronquée de l’invalidité et des « conditions de travail ».
Il y a des notions, des décisions qui ne sont pas inscrites dans CETTE loi, mais qui progressent et que, si le vent continuait à souffler en sa faveur, la droite inscrirait un jour dans la loi : par exemple, la suppression de la règle des six derniers mois pour les fonctionnaires. C’est ainsi que d’un débat à l’autre, des idées – qui ne sont pas forcément bonnes ! – cheminent, murissent … et finissent par être inscrites dans la loi.
Il est intéressant de noter que, sans parler explicitement de « capitalisation » ( vue la crise financière, c’était difficile d’avancer non masqué !) , les députés de droite ont pu faire évoluer dans leur sens un certain nombre de dispositifs d’épargne-retraite – alors que çà n’était pas prévu dans le texte du Gouvernement.
A noter enfin que des réformes importantes – telles que la mise en pièce de la médecine du travail – sont inscrites dans CETTE loi, alors qu’elle aurait du être discutée ( mais pas approuvée) dans un tout autre cadre.
2) donner FORME à la loi
Là, c’est tout le travail d’amendement. Or, on n’a jamais vu si peu d’amendements discutés et mis au vote que dans cette parodie de débat. Quand on se reporte au Compte rendu intégral de la dernière séance, cela donne le tournis de voir défiler une « palanquée » d’ amendements adoptés sans aucun débat, avec la mention « Les auteurs de l’amendement n’ont plus de temps pour le défendre ». sans compter les amendements dont les députés n’ont pas pu discuter ne séance plénière … parce qu’ils avaient été adoptés en commission et que maintenant c’est le texte de la commission qui vient en débat en séance plénière.
Et que dire de ces amendements bricolés en dernière minute par le Gouvernement ( par exemple, ceux qui concernent un sujet complexe comme celui des « polypensionnés » – il faut dire que la seule chose qui a été inscrite dans la loi, c’est la production d’un rapport !).
Nul doute qu’avec de telles méthodes – indépendamment du caractère injuste et nocif de beaucoup des mesures prises – leur application va donner lieu à de nombreuses difficultés d’interprétation et/ ou d’application.
En tout cas, ce n’est pas ainsi que l’on fera les lois « claires, simples et lisibles » dont tout le monde – députés et citoyens – rêvent.
Donner FORME à la loi, c’est aussi trouver les bons équilibres, arrêter la pendule des chiffres et des nombres en un point que la majorité estime être le point d’équilibre. Cette bataille sur les chiffres fait souvent ressembler l’Assemblée à un gigantesque champ de foire où s‘agitent maquignons et autres spécialistes du négoce (d’autres parleraient de « marchands de tapis » !)
On peut s’en indigner … ou en sourire ! – mais le débat qui vient de se dérouler me fait regretter ces empoignades. Ici, on a jonglé avec le calendrier ( 2012 … 2018 … 2025 …) mais les chiffres – les fameuses bornes (62 ans, 67 ans) ne pouvaient pas être discutés. C’étaient les seuls possibles, les seuls nécessaires. Le seul moment où il y eut un débat de ce type, c’est quand BAYROU a réussi à enflammer l’Assemblée et à faire bouger les lignes à propos des 67 ans (il voulait en rester à 65 ans).
3) donner FORCE à la loi
Une fois voté, le texte qui sortira des débats aura « force » de loi. « Dura lex, sed lex » : « la loi est dure … mais c’est la loi ! » … et, peu ou prou, nous y obéissons … même si nous ne l’approuvons pas, même si nous n’avons pas voté pour ceux qui – parce qu’ils ont/ parce qu’ils sont la majorité – ont « fait » la loi
Tel est le lot de la démocratie : la loi du nombre, le règne souverain de la majorité. Alors, pour que celui qui n’a pas souhaité la loi accepte quand même de s’y soumettre, il faut que cette loi soit discutée, mise en pièce ; il faut que l’on pèse le pour et le contre, que l’on se demande s’il n’y a pas d’autres solutions, d’autres « alternatives ».
L’opposition est là pour faire entendre la « voix » de ceux qui avaient choisi une autre « voie », une autre loi. La violence qui se manifeste dans certains débats – entre autres, sous forme d’« obstruction » – répond à cette violence fondatrice du contrat citoyen.
Or, ce que l’on peut dire, c’est qu’en dehors de la dernière séance – où le couvercle de la marmite a sauté – l’opposition a fait preuve de beaucoup de sagesse. Elle a le plus souvent privilégié les déclarations générales à la bataille – virgule par virgule – autour des amendements. Elles sont loin les gesticulations d’un GREMETZ ou les boutades incendiaires de BRARD ! (voir rétro-journal des débats de 2003).
Mais tant pis pour le folklore (encore que ! …). Dans l’ensemble, l’opposition a su faire son travail envers et contre tout. Elle a mené des opérations de dévoilement, de déchiffrement des positions de la droite. Elle a fait écho aux revendications des manifestants. Elle a fait ses propositions – et là, il est clairement apparu qu’il y avait bien – au moins deux projets alternatifs ). Les idées portées par le collectif « Exigences citoyennes » ont été portées au débat (en particulier par Martine BILLARD, mais aussi par les députés communistes).
La droite, quant à elle, s’est arc-boutée sur les idées de « justice sociale », d’« équité » et n’a eu de cesse de proclamer que tout ce qu’elle faisait, c’était pour défendre le système de « répartition ». On peut voir là de la démagogie ; mais aussi la traduction – la prise en compte (au niveau du discours) de cette vérité selon laquelle un texte ne peut avoir FORCE de loi que s’il est juste, équitable.
Le malheur, c’est qu’il ne suffit pas de le dire pour que cela soit. Et, justement, le débat est là pour dire ce qui est juste, équitable, pour trouver ce point d’équilibre où les intérêts particuliers se fondent dans l’intérêt général.
4) donner SENS à la loi …
… mais qu’il y faut du temps … ce qui n’a pas été le cas dans le débat de ces jours-ci …
… On n’est pas allé au fond. On n’est pas allé au bout. Alors, nous sommes en manque. En manque de sens …
Une loi, à elle seule, ne peut pas tout faire. La loi ne produira d’effet que si le citoyen la fait sienne. Et il ne la fera sienne que si cette loi est porteuse de sens, que s’il en comprend le sens.
Le débat parlementaire apparaît ainsi comme le temps – le lieu – où ce sens prend naissance (Ne parle-t-on pas de l’« esprit » d’un texte ?).
Si l’on écoute la droite dans le débat 2010 sur les retraites ( et dans bien d’autres débats, d’ailleurs !), ce serait le réel lui-même qui fait sens car il dit la « nécessité » : la réforme est incontournable, sinon c’est la faillite, la fin du système de répartition, la mise sous tutelle des agences de notation … et du FMI (bonjour, M.Strauss-Kahn !). Les chiffres sont censés faire sens. Imparables.
Mais comme on ne peut espérer faire adhérer le citoyen – faire qu’il considère la loi comme étant la sienne … même si ce n’est pas CETTE loi qu’il aurait voulu – les chiffres ne sauraient suffire ( comme dit Jean-Pierre BRARD : « On n’est pas des épiciers » !). Alors, on célèbre le « bon sens » … celui qui fait que la loi est bonne puisqu’elle a du sens. On pourrait dire aussi qu’elle a du sens puisqu’elle est bonne. Bref, on tourne en rond … comme dans l’histoire du « sens giratoire » de Raymond Devos.
Exemples de discours fondés sur le « bon sens » : puisqu’il y a allongement de l’espérance de vie, il est de « bon sens » que l’on travaille plus ! Ou : puisque nos petites filles (texto !) vont vivre plus que centenaires, il faut bien qu’on se serre la ceinture pour qu’elles puissent bénéficier d’une retraite … etc. …
Mais comme le « bon » sens n’est pas le même pour tous – et que c’est justement l’un des objets du débat parlementaire de dire quel sens est le « bon » à un moment donné de notre histoire, on va changer de registre et avoir recours aux « principes », aux « valeurs », aux « idéaux » – mais, malheur à celui qui prononcera le nom d’« idéologie » ! – bref, à tout ce qui devrait permettre de faire sens et de mobiliser le citoyen.
Là, les choses se compliquent car, les députés ne cessent de le répéter, « nous n’avons pas les mêmes valeurs ». Prenons l’exemple de la « valeur travail » chère aux députés de droite. « Le travail, c’est la santé ! » ironisera Martine BILLARD … mais rien ne dit qu’il doive être le tout de notre de vie ( il y a tant de choses à faire !) … sans parler qu’il faut aussi parler des conditions de travail qui, pour beaucoup, aliènent le corps et l’esprit, plus qu’elles ne font sens ( et que dire de celles et ceux qui courent après le boulot !) .
On pourrait aussi parler de la « liberté » : chacun – je parle ici des politiques, des politiques de droite et de gauche(s) – s’y réfère … mais se considère libre de lui donner le sens ( la direction, la valeur, la portée) qui lui convient. Et cela donne lieu à d’interminables parties de yo-yo qui viennent rythmer des débats parfois lancinants !
Et l’« égalité » ? Non, c’est l’« équité » qui compte, diront les autres !
Alors débattre ne sert à rien ? On tourne en rond comme ces chevaliers infidèles enfermés dans le « Val sans retour » [voir : à la manière de/ une légende celtique : le Val sans retour ].
Ce n’est pas ainsi que je vois les choses. Dans nos discussions en famille ou entre amis, dans nos blogs, nous ne cessons de parler des mêmes choses, de dire et de répéter sans fin nos espoirs, nos illusions … et nos désillusions. Car telle est l’humaine nature, l’humaine condition. Ainsi en est-il de l’humaine société qui a besoin de ces détours, de ces élans, de ces échecs pour trouver le « sens » : les débats de l’Assemblée servent aussi à çà … à condition qu’on laisse de l’espace, du temps pour que cette « co-errance » (cela ressemble bien à l’Assemblée !) puisse déboucher sur une certaine « co-hérence », bref sur une adhésion des uns et des autres !
5) donner CHAIR et VIE à la loi …
… et je dirai ma déception profonde par rapport au débat de ces derniers jours …
… « Si la parole s’affadit, avec quoi la parlera-t-on ? » …
La loi est une œuvre humaine, faite par des hommes, pour des hommes. Elle a besoin, certes, de rigueur, de précision ; mais il lui faut aussi de la couleur, de la chaleur, du cœur, de l’émotion, de la passion, de la « vie », de la « chair ».
Et l’on trouve cela dans les débats. C’est ce qui les rend vivants, beaucoup plus proches de la « vie des gens » que l’on pourrait l’imaginer a priori.
L’Assemblée n’est pas d’abord un lieu où s’exerce la raison « raisonnante ». Elle est chambre d’écho, caisse de « résonance ». Elle est le « parloir » de la nation. Le trivial y côtoie le sublime, et le mesquin les grandes émotions. Telle un « Janus » à deux têtes (une devant, une derrière … une à droite, une à gauche ) – l’Assemblée manie avec la même aisance, le sceptre, le balai … et la serpillière ! (« A chacun de balayer devant sa porte ! …/ Vous, vous avez une porte cochère ! Il vous faut un grand balai ! »).
Maître(sse) du feu et de la loi … servante au grand cœur et à la grande gueule … porteuse, faiseuse, diseuse de vie … femme de mauvaise vie, de mauvaise réputation … objet de vénération et de mépris – Dieu et guenon ? – ainsi nous apparaît l’Assemblée !
Parce qu’elle est une œuvre humaine, la loi est nécessairement imparfaite … et perfectible. On peut l’encadrer, la rationaliser … il restera toujours ce « je-ne-sais-quoi » d’imprévu – d’attachant – qui fait que , certains jours, les débats nous plongent en pleine épopée. Quelque chose comme un récit mythique, comme une chanson de geste . Le grand « pow-pow » !. Alors là … pour quelqu’un qui, depuis près de 25 ans, s’intéresse aux débats de l’Assemblé … les débats de ces derniers jours, c’est l’« ENNUI » absolu (ou presque !)
Bien sûr, les députés ont fait référence au(x) « message(s)» que leur avaient transmis leurs électeurs lors de leur voyage sur le « sacro-saint terrain ».
Bien sûr les députés de l’opposition se sont fait l’écho des manifestations.
Bien sûr, quand il fut question de la pénibilité, les députés (pas seulement de gauche) ont donné des exemples pris dans leurs circonscriptions ; mais rien à voir avec les débats de 2003, avec ce que j’ai appelé – en référence à la légende australienne du « walk about » rapportée par Bruce Chatwin dans « Le chant des pistes »- le « talk-about » de la pénibilité.
Ce n’est pas çà qui va changer le contenu de la loi, me direz-vous !
Pas sûr, pas sûr. Une bonne loi est une loi « incarnée » – pas au sens d’un « ongle incarné » qui fait mal, mais au sens de « qui a pris chair » « qui a pris racine » « qui est ancrée » dans l’humaine condition.
Or, le principe de la « représentation » fait que, bien que parties prenants à la loi, nous ne sommes pas présents dans l’hémicycle au moment où se dit, où se fait la loi.
Alors, il revient à ceux que nous avons élus – à ceux à qui nous avons fait don (eh oui ! nous l’avons perdu, nous ne l’avons plus !) de notre « voix » de dire qui nous sommes, ce que nous faisons, ce que nous vivons, ce que nous disons.
Quand je dis que l’Assemblée est le « parloir » de la nation, je ne dis pas seulement qu’elle est le lieu « où l’on parle » (de nous) – « Gloire au pays où l’on parle » disait Clémenceau.
Je fais là référence à l’image du « saloir » dont il est fait mention dans les Évangiles : « Vous êtes le sel de la terre ; si le sel s’affadit, avec quoi le salera-t-on ? ». Et je dis : « Députés, vous êtes le parloir de la nation ; si la parole s’affadit, avec quoi la parlera-t-on ? »
… et le moins que l’on puiise dire, c’est qu’avec ce débat tronqué sur les retraites, il y a eu un sérieux affadissement de la parole !
6) faire du LIEN, faire de l’UN
que cet objectif est au cœur du débat sur les retraites (puisqu’il est question de « répartition », de « pacte social », de « solidarité »),
mais que , là encore, les conditions dans lesquelles s’est déroulé le débat ont empêché d’aller au fond du problème (qui est, justement, l’articulation entre « répartition » et « solidarité »).
Au commencement est le vote. Un vote singulier, individuel, individualiste. Un vote qui exprime des intérêts privés, lesquels ne manquent pas d’entrer en conflit avec d’autres intérêts privés.
Partant de là, il revient à l’Assemblée de faire en sorte que le « sectoriel » se transforme en « global », le « spécifique » en « général », le « corporatiste » en « solidaire », le « divers » en « unique », le « local » en « national ».
Faire de l’un avec du multiple, assurer la victoire des forces centripètes sur les forces centrifuges, venir à bout de l’émiettement -de l’anarchie ? – des désirs, telle est la « grande œuvre » à laquelle doivent s’attacher les députés.
Les débats ne sont pas que des lieux – des temps – d’affrontement. Ce sont aussi des lieux, des temps où s’opère la fusion des intérêts, la réconciliation de volontés atomisées, juxtaposées, instables : le député est celui qui dit la nécessité du lien, il est celui qui assure le lien, celui qui tient reliés les fils … pour que le courant puisse passer. Les débats sont des lieux, des temps où le « corps social » – multiple et hétérogène – se fait « nation » unie et solidaire.
Alors, s’il est vrai que la question des retraites concerne tous les citoyens, il n’en est pas moins vrai qu’il est peu de domaines où les intérêts sont aussi éclatés, sectorisés – voire opposés.
Il y a les retraités actuels et ceux à venir,
les jeunes et les « vieux »,
les hommes et les femmes,
ceux qui ont un (vrai) boulot et ceux qui galèrent,
les salariés et les non-salariés,
les fonctionnaires et les travailleurs du privé,
ceux qui ont les moyens de se payer des compléments de retraite et ceux/celles qui vivotent avec des retraites de misère,
etc. …
Comment tenir compte de tout cela, de tous ceux-là ? Comment faire pour que tout cela, que tous ceux-là « tiennent » ensemble.?
La rue ne saurait suffire : si, à certains moments, comme le dit le slogan, « la rue est à nous », les autres aussi peuvent occuper/ être « la rue ».
Il n’y a qu’à l’Assemblée que tout cela, que tous ceux-là peuvent « s’assembler ». Et çà demande forcément débat.
Pas un débat saucissonné, étriqué, truqué – comme celui que nous venons de vivre – (par exemple, quand on inscrit au chapitre de la solidarité ce qui – ceux qui – relève(nt) de la simple « équité » : les femmes, les seniors, les travailleurs soumis à des conditions de travail plus pénibles que les autres )
Bien sûr la droite n’a eu de cesse au cours de ce débat – tout en opposant les gens les uns aux autres (et pas seulement les fonctionnaires aux non-fonctionnaires) – d’invoquer …
(oui « invoquer » comme on invoque des « esprits » qui nous dépassent … et qui, de toute façon, doivent se plier aux dures « nécessités » de l’heure / voir 5-faire du SENS !)
… et la « solidarité » … et l’« équité » … et l’ « intérêt général … et le « pacte social » … et de répéter en boucle que le seul objet de ce texte est, était – sera ? – de « sauver » la « répartition » ( en 2003, FILLON avait eu cette phrase « sublime » – subliminale ? – : « La répartition, c’est la République ! ») …
… au point que nous avons assisté à une inversion des discours :
« C’est effectivement projet contre projet : un projet socialiste fiscal ; un projet de solidarité entre les générations pour la majorité. »« Nous [UMP], nous avons un projet de répartition, dans le cadre de la solidarité entre les générations . […] Vous [gauche] avez, au final, recours à un système purement capitalistique. »]
Il faut dire qu’il y a un point qui pose problème, du point de vue du sens (et de la façon de faire lien/ unité) :
La situation créée par la crise économique – et la politique de Sarkozy – fait que, même en récupérant ( là, c’est la démarche inverse du « rabotage » très à la mode ces temps-ci !) toutes les cotisations liées au travail et perdues en exonérations et niches de toutes sortes, il n’est pas possible d’assurer à tous un niveau digne de pension sans faire appel à d’autres sources de financement, en d’autres termes de taxer le capital.
Mais c’est vrai qu’en fiscalisant une partie des ressources affectées aux retraites, on modifie les principes et les modalités de la répartition. Il faut le reconnaître et inclure cela dans une réforme globale de la fiscalité et de la protection sociale ( si, par des prélèvements sur le capital, on augmente les ressources disponibles, il n’est pas évident que tout le surplus de recettes doive être affecté aux retraites ! cela demande débat … rendez-vous en 2012 !)
Certains vont penser que – avec ces réflexions – j’ai perdu le fil de mon discours. Pas du tout.
Les débats ont eu au moins le mérite de faire émerger ce débat ( en 2003, toute idée de financement alternatif était rejetée systématiquement par la droite/ voir rétro-journal : j7_17 juin 2003_ quand Martine BILLARD propose des financements alternatifs ).
Et ce débat est fondamental dans la perspective des élections de 2012 – mais pas seulement. Il y va du LIEN, de l’UNITE. Il y va de l’existence d’une nation solidaire
7) FAIRE EXISTER LA NATION
Pas seulement en « assemblant », en faisant du LIEN, en faisant de l’UN ( voir proposition 6).
Mais parce que les députés – en tant que « groupe-Assemblée » – mettent en scène et – par là- même – font exister la Nation.
Et c’est là la dérive la plus forte du dernier débat : le « groupe-Assemblée » n’a pas pu fonctionner comme il aurait du pouvoir le faire et nous sommes orphelins d’Assemblée, orphelins de Nation.
La nation n’est pas un fourre-tout. Elle n’est pas un grand tout, donné une fois pour toutes, que l’on devrait seulement célébrer, de temps en temps, avec le plus de solennité possible. Elle est addition, assemblage. Elle est construction permanente. Elle est ce lieu, ce temps où une multitude d’hommes devient une seule personne, où une multitude de territoires se font pays, nation.
Et c’est pour dire – pour faire – cela qu’ils sont 577 députés, venant d’horizons divers (pas assez sans doute !) Chacun d’eux, par ses origines, par son expérience, s’est fait une certaine idée, une certaine image de la France. Et c’est cette idée, cette image qu’il apporte au débat.
« La France est ici et non ailleurs ! » disait Paul Reynaud.
C’est ainsi que les débats font exister la nation en tant que sujet parlant. Les députés sont dépositaires d’une Parole irréductible qui, dans un indispensable – un indissociable – va-et-vient entre diversité et unité, fait exister la nation, lui donne corps, la « re-présente », la rend « actuelle », « présente ». Pour que la nation existe, pour qu’elle soit « vivable », il faut qu’elle devienne « disable ». Nos députés sont là pour çà ! Non seulement, ils mettent en scène la diversité des attentes de leurs mandants.
Non seulement ils cherchent à interpréter la pluralité de sens de leurs paroles.
Non seulement ils donnent forme à cette « volonté générale » sans laquelle il ne saurait y avoir de « vivre ensemble ».
Mais ils font eux-mêmes l’expérience du « vivre ensemble » … et ce n’est pas là – même en temps ordinaire – chose facile ! Tout le monde a en tête les
affrontements, les disputes, les interminables parties de yoyos qui rythment la vie de l’Assemblée [ voir le rétro- journal des débats de 2003 ]
Mais si l’Assemblée n’était que cela, comment tiendrait-elle ? Comme tout groupe, le « groupe-Assemblée » ne peut pas exister uniquement sur le mode du conflit ; il a besoin d’espaces communs, de convivialité, de solidarités partagées.
Le « dire ensemble » – et même, le « rire ensemble » [ Pourquoi faudrait-il que l’Assemblée fût triste !] – font qu’au-delà des moments de tension et de paroxysme, l’Assemblée connaît aussi des moments de décrues – et même des moments d’«état de grâce » . Or, dans le débat de 2010, ce fut rarement le cas. Les parenthèses du Compte rendu intégral font plus souvent état d’« exclamations », de « protestations », de « murmures », voire de « huées » que de « rires » ou de « sourires ».(Vous me direz : on ne les paie pas, les députés, pour qu’ils se « fendent la gueule ». On ne les paie pas, non plus, pour qu’ils se « fassent la gueule » à longueur de temps !) Le « groupe-Assemblée » est à l’image du Peuple souverain – vous, moi, peuple en chair et en os, prompt à s’enflammer, à attiser la controverse, à s’affirmer aux dépens de l’autre. Alors, il ne faut pas s’étonner que, lorsque les « représentants » dudit Peuple – « nos » représentants – sont appelés à débattre de « nos » affaires, de « nos » inquiétudes, de « nos » émois , il y ait, dans ce genre de discussion, « un peu (voire beaucoup !) d écume » (l’expression a été employée en 2003 par Alain BOCQUET/PC) . Les députés sont des gens comme vous et moi, avec leur tempérament, leurs humeurs, leurs envies, leurs rancœurs.
La « Nation assemblée » n’existe qu’au travers de cette assemblée faite de chair et d’os, qui épouse toutes les formes du parler humain. Et sans doute, est-ce, précisément, parce qu’elle épouse toutes les formes du parler humain qu’elle peut édicter une loi à laquelle nous obéirons, parce que, quelque part, nous nous y reconnaîtrons.
Mais çà, c’est le schéma idéal. Et là, en 2010, çà n’a pas du tout fonctionné comme çà !
(Attention, je ne dis pas qu’en 2003, le débat était un modèle du genre; je dis qu’il y a eu débat – et, par là-même, matière à commentaire et approfondissement ).
Quand – au cours d’une réunion de compte-rendu du débat ( tiens, çà serait quelque chose à développer … et à imposer à nos élus !) – j’ai posé à Martine BILLAD – qui fut très active dans le débat, comme elle le fut en 2003 ([voir rétro-journal/ rubrique « et Martine B. ?» ] la question : entre 2003 et 2010 – à chaud – qu’est-ce qui a changé ? , elle n’a pas répondu : la procédure (temps programmé), mais : « C’est la tension. Une tension qui régnait en permanence dans l’hémicycle ».
Alors qu’en 2003, il y a eu des moments de tension, mais aussi des temps de convivialité. De consensus effectif, assez peu.
Tant et si bien que, dans les interventions finales – même celle de FILLON – c’était le caractère constructif du débat qui était souligné. A tel point que je m’interrogeais à l’époque sur le caractère réel ou factice de ce consensus retrouvé. Pour conclure, finalement, que l’Assemblée, c’était Dieu et la guenon.
D’un côté, La volonté d’être, de dire, de faire ensemble.
Et, de l’autre côté, l’affrontement, comme mode d’expression des conflits d’intérêt et d’idées qui sont le lot des citoyens. Et avec lesquels il faut faire exister la nation.
C’est, si l’on peut dire, la «nation quand même » et – point de passage obligé – « L’«Assemblée-quand-même » ! En 2010, le débat s’est terminé par une course poursuite entre les députés de l’opposition et le président de ladite Assemblée.
Images qui faisaient écho à celle de 2009 quand les mêmes députés s’étaient regroupés au pied de la tribune en scandant « Accoyer, démission !». Avant de quitter l’hémicycle. Et d’entreprendre – pour les socialistes seulement – un boycott des séances publiques. Tiens, comme aujourd’hui ! Alors la boucle est bouclée ? Non, « une » boucle est bouclée.
Car il reste l’action de tous.
Et l’idée qui avance qu’il va falloir faire de cette question du débat parlementaire un élément-clé des débats électoraux à venir.
« Ne désespérons pas l’Assemblée ! »
Sinon « bonjour l’ennui ! ».
» Pas seulement – comme je l’écrivais en 2009 dans TEXTE FONDATEUR : La réforme du travail parlementaire_bonjour l’ennui ? , l’ennui résultant de l’absence de débat et se traduisant par un manque d’intérêt du citoyen.
Mais un ennui bien plus profond – un « ennui démocratique » – qui ferait de nous des intermittents de la citoyenneté, des pourvoyeurs de voix, des plantes-supports sur lesquelles on grefferait des programmes tout faits.
Bref, tout l’inverse de la démocratie ! »