« élections, piège à cons » : une autre lecture de l’article de SARTRE

page 2 : extraits de l’article de SARTRE

page 3 : COMMENTAIRES perso

« Élections, piège à cons »
SARTRE, in « Les temps modernes », n°318, janvier 1973
[EXTRAITS]

Lire texte intégral de l’article :
http://www.philo-par-tous.org/Cafe-philo-special-Elections-piege-a-cons-2-mai

 » En votant demain, nous allons, une fois de plus, substituer le pouvoir légal au pouvoir légitime.

 » Le premier, précis, d’une clarté en apparence parfaite, atomise les votants au nom du suffrage universel.

 » L’autre est encore embryonnaire, diffus, obscur à lui-même : il ne fait qu’un, pour l’instant, avec le vaste mouvement antihiérarchique et libertaire qu’on rencontre partout mais qui n’est point encore organisé.

 » Tous  les électeurs font partie des groupements les plus divers. Mais ce n’est pas en tant que membre d’un groupe mais comme citoyens que l’urne les attend.

 » L’isoloir planté dans une salle d’école ou de mairie, est le symbole de toutes les trahisons que l’individu peut commettre envers les groupes dont il fait partie. Il dit à chacun :  » Personne ne te voit, tu ne dépends que de toi-même ; tu vas décider dans l’isolement et, par la suite, tu pourras cacher ta décision ou mentir. « 

 » Il n’en faut pas plus pour transformer tous les électeurs qui entrent dans la salle en traîtres en puissance les uns pour les autres.

 » La méfiance accroît la distance qui les sépare. Si nous voulons lutter contre l’atomisation, encore faut-il essayer de la comprendre. « 

COMMENTAIRES PERSO

Pendant longtemps, j’ai cru – sans avoir été lire le contexte que cela voulait dire :
élections dans un pays dominé par la bourgeoisie = élections de la faction de ladite bourgeoisie qui sera amenée à nous dicter ce qu’il convient de faire => « piège à cons ».

Mais, une fois que je me suis référé au texte même de Sartre, j’ai compris que ce que nous dit Sartre – et que je reprends à mon compte – c’est que le vote est un acte singulier, individuel, individualiste. Individualisant. Qui nous réduit à l’état d’ « atomes ».

Au commencement, donc est le vote. Ce type de vote que nous connaissons aujourd’hui. Un vote singulier, individuel, individualiste. Un vote qui exprime des intérêts privés, lesquels ne manquent pas d’entrer en conflit avec d’autres intérêts privés.

Si l’on admet que l’acte fondateur de la démocratie est un acte d’ individuation civique, alors, il ne faut pas s’étonner que cet acte engendre – ou plutôt révèle – une segmentation, une fragmentation de l’espace public.

C’est en partant de ce constat  – et non en le niant  ou en le noyant sous des propos iréniques, idéalistes, démagogiques et, en fin de compte, mystificateurs – que l’on peut envisager de construire l’édifice civique collectif. Le « corps social », le « corps civique » n’est pas une donnée de départ. Il est à construire. Et il se construit à partir de – en se différenciant de – ces unités individuelles et de ces groupes partiels que les débats mettent en évidence.

[ Voir AU FIL DU BLOG/ 6.Faire du LIEN, faire de l’UN ]

Comment faire du « collectif » avec de l’ « individuel » ?

du « global »,  du « solidaire » avec du « singulier », du « particulier », du « spécifique » ?

Faire de l’un avec du multiple,  
assurer la victoire des forces centripètes sur les forces centrifuges,
venir à bout de l’émiettement -de l’anarchie ? – des désirs,

telle est la « grande oeuvre » à laquelle doivent s’attacher les députés.

Un peu à la manière des alchimistes,  enfermés dans des caves secrètes, maniant cornues et alambics, sels et substances diaboliques, tentant obstinément  de « transformer », de « convertir », de « transfigurer »  toute chose – même futile, même nuisible – en or.
Lire sur ce thème
[ Le député, c’est comme (10) : un ALCHIMISTE ! ]

Et chacun de nous, entre deux élections, récrimine, agit (s’agite) en se disant que, la prochaine fois, on ne se laissera pas prendre au piège (« élections, pièges à cons ! ») .

Puis, quand l’heure est venue, beaucoup d’entre nous vont, dans le secret de l’isoloir, choisir celui des candidats qui nous représentera le moins mal possible.
Comme ceci n’est pas très mobilisateur, nous entourons ce geste – somme toute banal (compte tenu du nombre de fois où nous l’accomplissons au cours de notre existence de citoyen) – de tout un tas de considérations stratégiques.
Je suis toujours frappé, quand je discute avec un ami ou une relation du pourquoi de son vote, de la complexité des analyses qui sont censées rendre compte du choix en question … on se demande comment sondeurs et politologues arrivent à tirer des enseignements généraux – et péremptoires – de cet amas de considérants tous plus contradictoires les uns que les autres !)
et de sublimations en tous genres ( « Si, si, tu verras, à ce coup, il – mon candidat – a changé … et puis on est derrière, on va le pousser … c’est le moment ou jamais … »)

Il y a là un paradoxe de l’homo democraticus. L’homo democraticus est paradoxe. Les élections sont paradoxe.
Il n’y a pas là de quoi se lamenter, se décourager. La démocratie ne se développe pas malgré ces paradoxes (et il y en a beaucoup d’autres )  , mais grâce à ces paradoxes.