la fable du représentant amoureux

Il était une fois … un « représentant » … c’est-à-dire quelqu’un qui est payé pour vendre une marchandise qui ne lui appartient pas. Il agit « pour le compte » d’une société de commerce. C’est pour cela qu’on l’appelle un « représentant ».  Il a – il  se fait – une clientèle.
Sa « clientèle » est constituée de l’ensemble des personnes à qui il rend visite – ou qu’il rencontre – et à qui il propose les services de la maison pour laquelle il travaille. Pour convaincre ses clients que sa maison est la meilleure et qu’ils ont tout intérêt à acheter sa marchandise – en d’autres termes, pour  « fidéliser » sa clientèle –  le représentant  multiplie les promesses et les cadeaux.

Seulement, les cadeaux que font les uns ne sont pas du goût des autres : forcément,  la concurrence est rude ! (« J’en ai assez de voir des parlementaires essayer de ramasser des voix en utilisant des procédés indécents sans que personne ne dise rien. »)

   Aussi le représentant dont je te parle – celui que l’on appelle « député » – n’aime-t-il pas qu’on lui dise que ses électeurs sont des « clients ». Quand le député-représentant d’une autre maison veut lui faire du tort, il n’a qu’à lui lancer à la figure le vilain mot de « clientélisme. »(« Ceux qui cultivent l’insécurité à des fins clientélistes  sont des cyniques ou des irresponsables, voire les deux à la fois !/ Ce n’est pas nous ! »)

    Il faut dire que globalement, notre représentant n’a pas bonne presse. Je ne sais s’il gagne bien sa vie – d’ailleurs, le sujet est quasiment tabou («Nous voulons savoir si, oui ou non, nous pouvons continuer à travailler, à faire ce pour quoi nous sommes payés par les contribuables / « Oh ! » sur les bancs de l’autre côté de l’hémicycle …  « Quelle honte de dire cela ! »)  … mais ce qui est sûr, c’est  que notre représentant  collectionne les quolibets … tous plus flatteurs les uns que les autres ! ( « Bonimenteur ! » … « Baratineur » … « Camelot ! » …)

  Mais, au fait … que lui reproche-t-on à notre député-représentant ?

    De tenir des « discours faciles » (« Demain, on rase gratis ! »), d’être un « marchand d’illusion » … mais aussi de ne pas hésiter – pour conserver sa « clientèle » – à « brader » une marchandise qui a de la valeur et qui ne lui appartient pas. (« C’est le grand bradage ! / Soldes à tous les rayons ! » … « C’est le supermarché ! / La grande braderie / C’est le bazar de l’Hôtel-Matignon ! »).

D’ailleurs,  à qui appartient-elle  cette marchandise ? Après enquête – et c’est là que l’affaire se complique – il s’avère que le « client » est aussi … le commanditaire ! Quand un député (de la majorité) dit : « Nous roulons pour les Français. ! », cela veut dire que tous ces discours qui vont et viennent dans l’hémicycle ont pour fonction d’apporter à l’électeur-client les biens, les lois, les services dont il a besoin ; mais cela veut dire aussi que ces discours sont prononcés « pour » … « pour le compte de » … « à la place de » … « au nom de » … ce même électeur-client … ( [Lorsque nous parlons, c’est ] « au nom de tous les absents », que « nous sommes chargés de  « représenter ».)

    Aurait donc droit au titre – et aux charges – de « représentant », celui auquel les électeurs ont « donné »  un « mandat ».  (« Nous avons tous conscience des responsabilités et du mandat qui nous ont été confiés. ») 

    Le « mandat » … serait-ce ce morceau de papier tant attendu par la personne âgée qui vit seule chez elle et qui va enfin pouvoir toucher les sous auxquels le mandat lui donne droit ? Mais, voilà, cette personne ne peut se déplacer ; alors, elle demande à une personne de confiance d’aller toucher le mandat. En d’autres termes, elle donne « mandat » à ladite personne pour qu’elle aille toucher le « mandat » afin qu’elle puisse elle-même récupérer ce qui lui est du.

    Le mandat, si l’on retient cette dernière acception, apparaît comme une sorte de « contrat » – les députés parlent aussi de  « pacte » – qu’une personne passe avec une autre  pour que cette dernière puisse intervenir « en son nom ». Le « mandat » repose sur la « confiance ». Celui qui a « reçu » mandat  n’est pas libre d’utiliser n’importe comment ce mandat. Il a pris des « engagements », qu’il se doit de les respecter   ( « Une promesse, çà se tient ! » …  « [Il faut] respecter la parole donnée »).

A la fin de la période pour laquelle le député-représentant a obtenu un tel « mandat »,  ce dernier devra « rendre des comptes » devant son commanditaire – l’électeur – qui, à son tour, va juger l’action de son  représentant et décider s’il continue ou non à lui faire confiance. Et la concurrence est rude !

   En ce pays – et en ce temps – c’était tous les cinq ans que l’électeur était amené à se prononcer. Cinq ans, c’est long ! Comment être sûr que le représentant prend bien « en compte » les demandes de celui qui l’a choisi ?

    D’abord,  le député ne se contente pas des « campagnes » électorales pour nouer une relation avec l’électeur. Chaque week-end – et, pour certains, c’est tous les jours week-end ! – il revient sur le lieu de son élection, ce lieu magique qu’il « fréquente », qu’il « arpente »,  dans lequel il « s’immerge » et qui « ancre » son propos dans « les réalités » … du « terrain » … du « sacro-saint  terrain ».

Si le député-représentant passe  un certain temps  sur le « terrain », en principe, il se doit d’être le plus souvent possible présent à la « maison-mère » – l’Assemblée. Là, il est censé utiliser son temps pour « interpréter » les « messages » qu’il a reçus « sur le terrain » et trouver les solutions pour « résoudre par la loi » les « préoccupations quotidiennes » qui s’expriment au travers de ces « messages ».

Mais lesdits messages continuent à de lui parvenir, même lorsqu’il « siège » à l’Assemblée, et lui-même – ainsi que ses collègues – ne cesse d’en envoyer « en retour » (« Je souhaite que vous puissiez tous ici entendre le  message  clair et sans ambiguïté délivré par la population.» / « Aujourd’hui, nous devons envoyer un message … »). Il n’est pas de débat où il ne soit question de « message », de « signe », de « signal »…  tant et si bien que les J.O.Débats finissent par ressembler à une gigantesque « messagerie » !

    Ce qui compte avant tout, pour le député-représentant, c’est ce quelque chose d’indéfinissable qui le relie à l’électeur – et réciproquement ! La politique est une affaire de « lien »

    Mais ce lien est fragile …  Sans relâche, il faut  … « res-taurer des liens de confiance  » … « re-tisser les fils de la confiance » … « re-donner confiance » …  … « -habiliter » … telle ou telle catégorie de citoyens (« Il est temps de réhabiliter  les paysans de France ! ») … « se -conci-lier  avec » – c’est-à-dire remettre du lien où il y en avait et  où il n’y en a plus …  (« Il faut nous réconcilier avec les chasseurs comme avec les pêcheurs, qui se sentent tout autant brimés. »)

Chasseurs, pêcheurs, agriculteurs …   il y a toujours une catégorie de citoyens – d’électeurs – qui a « besoin  de considération, de reconnaissance et de soutien » ( « Tout le monde, il est  malheureux ! », dirait le chanteur québecquois Gilles Vignault).

    Effectivement,  le député  a tendance à mettre en évidence ce qui ne va pas … (si tout allait pour le mieux, aurait-on encore besoin de lui ?) . Il dit, par exemple, à propos du « 21 avril » [ le « 21 avril » (2002) ] qu’il existe un « décrochage », un « fossé » entre les citoyens et la représentation nationale. Il dit que les Français se sont sentis « coupés » de la politique.

    Mais en même temps,  il arrive souvent à notre député-représentant de dire, de vivre son métier comme une histoire d’amour !
« Nous aimons  beaucoup les électeurs, et c’est réciproque. »
« Au-delà de ses obligations et de ses devoirs, l’outremer a besoin d’être aimé, de  se sentir aimé. »
« Le parallèle peut sembler audacieux, mais je crois qu’ il en est de la volonté politique comme de l’amour : seules valent les preuves
! »
« « La démocratie est une bonne fille – le député cite une phrase d’Edouard Herriot –  mais, pour qu’elle soit fidèle, il faut faire l’amour tous les jours avec elle. « »

Ainsi les jours où,

au-delà des temps et des espaces agités,

au-delà des querelles boutiquières et des  surenchères clientélistes,

souffle  sur l’Assemblée l’esprit du poète    …  alors … 

… c’est d’amour qu’il est question !