Le « Val sans retour » : un mythe fondateur du débat d’Assemblée

Le récit

   Il était un fois … des chevaliers  ( on dit qu’ils étaient  577 … mais il n’est pas sûr que tous participé de façon active au récit qui va suivre !)  … Ces chevaliers étaient investis d’une « mission d’honneur et de service » qui leur avait été « confiée » par  leurs « gens » – leurs mandants, leurs concitoyens .
C’était des « chevaliers-servants » : ils  se faisaient un « honneur » de « servir » cette « cause » que leurs mandants « portent dans leurs âmes et dans leurs cœurs ».  C’est avec le sentiment heureux d’accomplir [leur] devoir  qu’ils prenaient la parole dans le Val, qu’ils appelaient, entre eux », l’« Assemblée », ou encore  l’« hémicycle ».

    Ils disaient que leurs concitoyens n’étaient pas libres et que leur mission de chevaliers-servants était, précisément, de les « libérer » … de briser les « chaînes », les « boulets » qui « entravent  [leurs] pieds» …  de « faire sauter les verrous » qui les tiennent enfermés.  Ils s’étaient fixé comme « mission(s) » … de  « délivrer la personne privée d’emploi de cette prison qu’est l’assistance » … de «libérer l’agriculture du  carcan  dans lequel [elle est] enfermée  » …

Ils disaient que leurs concitoyens étaient au bord de l’asphyxie …  qu’ils  avaient «besoin d’air », plus que de toute autre chose  …  qu’il fallait, à tout prix, « ré-générer » le peu d’air qui filtrait dans cet enclos où ils étaient enfermés … qu’il fallait  apporter à ces prisonniers une «bouffée d’oxygène » …  leur donner un « nouveau souffle » (« le souffle de la liberté de choisir sa vie et d’entreprendre, le souffle d’une nouvelle égalité des chances ouverte à tous, le souffle de la croissance») .

     Mais, en même temps qu’ils disaient cela, ils se rendaient bien compte que leurs propos, à eux, manquaient souvent « de souffle et d’ambition», que les actions qu’ils menaient au service de leurs mandants n’étaient pas toujours (pas souvent ?) couronnées de succès. Ils avaient l’impression de se perdre dans un « maquis »  [de textes, d’organismes, de taxes]  « tel que nul ne s’y retrouve » … Ils avaient l’impression d’être tombés dans une « ornière », de s’enliser ; et ils se demandaient bien comment « sortir de » de cette ornière, de cet « enlisement ».

    C’est que, eux non plus, n’étaient pas libres de leurs mouvements. Et  pour cause ! Sans le savoir, ils  partageaient  la même condition que ceux qu’ils avaient pour mission de libérer. Eux aussi, ils étaient prisonniers. Eux aussi, ils n’avaient qu’une envie : voir s’« ouvrir la porte », « bondir vers la sortie » et pouvoir – enfin ! –  « respirer à l’air libre ».

    Il faut dire que cette prison était une prison très spéciale. Comme la prison du Val sans retour ou des Faux amants, c ‘était ce que l’on pourrait appeler une « prison dorée ».
« C’était en apparence une muraille épaisse et élevée ; en réalité, ce n’était que de l’air. »  C’était  la prison la pire qui soit : rien ne la distingue du reste de la forêt, aucune marque, aucun signe   : « on entrait sans trouver et sans supposer le moindre obstacle ; mais une fois entré, on ne songeait pas même qu’il y eût un moyen d’en sortir» . 

   Dans cette prison dorée, « les prisonniers confondent le jour et la nuit, les saisons ». Victimes  d’une « amnésie hémiplégique »,  « ils ont perdu la mémoire et le sens de la réalité ».  « à force d’être tellement tendus vers un soleil apparent », ils vont connaître le terrible destin d’ICARE lorsque, ayant voulu s’élever dans le ciel au moyen d’ailes dont les plumes avaient été fixées aux épaules avec de la cire,  ce héros des dieux monta si haut dans le ciel que le soleil fit fondre la cire  … et Icare de tomber dans la mer. 

    « A l’entrée de la clôture était la chapelle où les prisonniers pouvaient tous les jours entendre la sainte messe » : c’était  un temps et un lieu de réconfort et de consensus. Et les chevaliers en avaient bien besoin car, tout le reste du temps, « ils pouvaient  se voir et s’entendre, mais ne pouvaient esquisser le moindre geste vers l’autre ».
Ils étaient comme « aveugles » … « sourds » ( « Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ! ») … « muets » … « autistes » …   Ils n’arrêtaient pas de se dire  les uns aux autres : « Sortez de votre autisme et de votre aveuglement ! » ; mais, plus ils le disaient, plus  leur Assemblée ressemblait à une « tour de Babel » car chacun apostrophait son voisin dans une langue que celui-ci ne semblait pas connaître … ou faisait semblant de ne pas connaître !

    Que voilà donc nos preux chevaliers empêtrés dans des joutes  oratoires –  parties de yo-yo et autres jeux de rôle –  qui sont loin d’être aussi glorieuses que les combats dont ils ont rêvé quand ils ont quitté leur « pays ».  «Vous stigmatisez certains comportements –  leur dit un jour celui des leurs qui était chargé de mettre un peu d’ordre dans ce qu’il faut quand même appeler des débats –  mais vous êtes incapables de vous écouter les uns les autres ! »

    Chacun de se justifier : «  Nous voulions [vous] remettre sur le droit chemin ! » …  mais, comme dans le Val sans retour aucun chemin n’est « droit » ! Il n’est même pas de chemin qui mène quelque part ! Alors, que faire ?    Si nous voulons, disent-ils, « voir le bout du tunnel » … et « ne pas sombrer dans la désespérance » … il nous faut – à tout prix – « sortir de ce dédale » …  « retrouver des carrefours et une sorte d’aiguilleur, [qui nous permettent de nous y retrouver au milieu de ces] nombreuses voies parallèles, qui ne se recoupent jamais. »

    Tel était – tel est – le « Val sans retour ». Il faut vraiment avoir épuisé toutes les ressources de la raison pour en venir à penser que des « voies parallèles » puissent – un jour – « se recouper », se rencontrer ! Les géomètres peuvent remiser leurs outils : ils ne parviendront pas à isoler des formes pures.   Ici, tout est emmêlé :… « cycles » …
(« Aujourd’hui, nous sommes dans le bas du cycle, et il va falloir une nouvelle fois que l’actuelle majorité essaie de remonter la pente. ») .

…  « cercles » …
(« cercle vertueux », si  on l’attaque dans le bon sens – mais alors, ce serait que « la coutume établie par Morgain est abattue » !
« cercle vicieux », dans le cas contraire,
ou encore « cercle générateur » (générateur, pour l’un, « de violence »  , pour l’autre, d’ « irresponsabilité » !)

… « spirales » …
(« spirale de l’adhésion et du vote extrémistes » …  « spirale de la territorialisation de la pauvreté ») .

… n’en finissent pas de se répéter, de se chevaucher, de s’enrayer, sans que l’on puisse se faire une idée d’où cela commence et, encore moins, où cela nous mènera …

… « spirale » …  « cercle » …  « cycle » … qu’il faut « casser » … si l’on veut « trouver la sortie » du « dédale » , du « labyrinthe » dans lequel sont se sont eux-mêmes égarés nos chevaliers-servants en voulant délivrer les prisonniers que nous sommes .

    La suite de l’histoire pourrait être plus encourageante.    Il se trouvera, en effet, un chevalier qui, n’ayant « jamais senti l’aiguillon des désirs » et n’ayant « à se reprocher la moindre infidélité amoureuse »,  aura le pouvoir de « détruire l’enchantement » et de briser le maléfice : Lancelot.  Mais, par la suite, tout Lancelot qu’il fut, l’amour passionné qu’il portait à Genièvre vint à entacher l’image – et, selon les versions du récit, pas que l’image ! – de la vertu et de la fidélité.