« Rue des Peupliers », « Murs-à-Pêches », « barre du Luth » ou « Mercantour », « Tinchebray » ou « Neuilly », « colline de Verduron et de la Nerthe », rivages de Guadeloupe ou grands espaces du Mont-Saint-Michel … c’est « la France » qui se révèle à nous au fil du Compte rendu … « France des métropoles » et « France des campagnes » … « France hexagonale » et « France des rivages ultramarins » … une France bigarrée, pittoresque, une France multiple et variée – « France, ton nom est diversité » ! – … une France contrastée – à éclipse -, qui oscille entre une « France plus » (une « France entreprenante»… « la France qui gagne » … la « France riche de ses talents » « la France, berceau des droits de l’homme » … « terre d’asile » …) … et une « France moins » … (la France « comme une entreprise en difficulté » …« la France du déclin » … la France qui « va dans le mur » … « la France des oubliés » … et du « mal-vivre » …) …
« France(s) » alternée(s) … « France(s) » d’alternance … « France(s) » croisée(s) …. (« [Cette situation] correspond à la France que nous a léguée l’opposition, une France alanguie, une France à la recherche d’elle-même ». / [Mais] « le budget [que présente la nouvelle majorité] met en lumière d’autres ambitions, appelle à davantage d’efforts, à davantage de responsabilités. Il lance une France d’initiative, une France de croissance, une France d’emploi. ») … La France est tout à la fois le sujet qui débat (à l’Assemblée, c’est le « peuple de France » qui parle, par l’intermédiaire de ses représentants) et l’objet dont on débat (l’Assemblée est le lieu où la France se parle, où elle se dit, où elle s’invente, se réinvente.)
La France est l’enjeu même du débat. (« Je crois que nous ne fréquentons pas les mêmes Français, chers collègues de l’opposition. »/ « Nous ne vivons pas dans le même monde ! ») … « Pas les mêmes » entreprises (« Ce n’est pas la réalité des entreprises ! / On ne connaît pas les mêmes, apparemment ! ») … « pas les mêmes » espaces ruraux (« Dans les zones rurales très peu peuplées, nous n’avons plus qu’une population âgée. / Mais il y a aussi des jeunes ! / Nous ne vivons pas dans les mêmes espaces ruraux ! » ) … . Il y aurait donc des entreprises de droite et des entreprises de gauche, des espaces ruraux de droite et des espaces ruraux de gauche ? Il y aurait donc une « France de droite » … et une « France de gauche » … un « peuple de droite » … et un « peuple de gauche » ? Les députés ne le disent pas aussi crûment, mais certains échanges tendent à montrer qu’ils le pensent (« Il faut écouter le peuple ! dit un député de gauche / « Vous n’avez rien compris au peuple ! », lui répond un député de droite.).
Le fond du problème, c’est que droite et gauche n’ont pas les mêmes électeurs (« Nos électeurs, tout comme les vôtres d’ailleurs, …/ Nous n’avons pas les mêmes ! » … et que le principe même de la compétition – et de l’alternance – implique qu’il n’y ait pas de « monopole » (« Vous n’avez pas le monopole de la sensibilité aux personnes âgées ! »/ « Il n’y a pas que les élus de gauche qui parlent avec les associations et avec les habitants ») … et donc que tout soit discuté – disputé.
Et – puisqu’ainsi se dit, ainsi se fait, ainsi s’invente la France -, au fur et à mesure que l’on entre dans le vif, dans le(s) détail(s) des débats, l’image de la France devient de plus en plus brouillée, brouillonne, compliquée. Et cela me fait penser à cette fameuse séquence (finale) du film d’Orson Welles, « La dame de Shanghai ». La séquence se déroule dans un palais des glaces : les images des deux protagonistes sont démultipliées à l’infini, sans que l’on sache qui est qui, qui est où … Ainsi, l’image de la France qui ressort des débats de l’Assemblée est, elle aussi, une image démultipliée, éclatée, fragmentée. Aucun des éclats, aucun des fragments ne peut, à lui seul, nous donner à voir ce qu’est réellement la France. Mais, si l’on prend du recul et si l’on évite de tourner son regard d’un seul côté (à droite, pour les uns ; à gauche, pour les autres), l’ensemble de ces éclats, de ces fragments peut prendre FORME et SENS.