La fabrique de la loi : petits cailloux sur le chemin du droit

Qu’il est long le chemin …

… qui sépare
… (ou qui relie, c’est selon !) …
… le « message » du TIERS
– message fébrile, ardent, impatient  –
… de la « boîte à outils  » …
… ou de « l’arsenal législatif  » …

… qui enserre …
… qui enferme …
… le désir dans une norme impersonnelle, égalitaire et contraignante.

Il faut dire que les demandes du TIERS, une fois transmises à l’Assemblée des représentants (si elles le sont … il y en a tellement et toutes ne méritent pas cet honneur !) – vont subir un traitement très particulier, avant d’être – éventuellement – inscrites dans la loi.

Dans un premier temps, le « besoin » est transformé, érigé en « problème » car, pour avoir des chances d’être traité, le besoin doit entrer dans une catégorie de problèmes.
C’est ainsi qu’il est question, au fil des débats,
des  « problèmes d’emploi et de conditions de travail »
des « problèmes de délinquance des mineurs »des « problèmes de nuisances sonores »
des « problèmes de nutrition [et d’obésité] »
etc.

    Comme il y a beaucoup de problèmes … et que ces derniers ont la malencontreuse idée de se manifester de façon groupée … et urgente …
il convient donc de définir des « priorités »
« La priorité, c’est de savoir comment on répond au problème du logement des familles modestes, en particulier dans les villes, parce qu’il y a des gens qui ont beaucoup de difficultés. »
«[Il faut]  remettre au premier rang des priorités de la nation, l’éducation, la formation et donc l’emploi. »
« Les Français, pour qui la sécurité est devenue la première des priorités … »

Pour définir, articuler, lesdites priorités, on se réfère à des  « objectifs »
« Les objectifs de votre projet de loi, monsieur le ministre, s’articulent autour de trois priorités majeures :
restaurer le dialogue social
[ …]
corriger les effets négatifs de la réduction du temps de travail sur le pouvoir d’achat des salariés
[ …]
diminuer le coût du travail pour favoriser l’emploi. »
« La baisse des impôts doit demeurer un objectif permanent et irrévocable »

«L’objectif est  de favoriser la croissance et la production de richesses afin de mieux les redistribuer »
etc.

Car la loi n’est pas seulement « relative à » (réactive à). Elle a un but, une finalité (un objectif).

Légiférer, ce n’est pas seulement « porter la parole (du TIERS) » ;
c’est aussi – c’est avant tout – « porter la loi »,
produire du « droit »,
faire exister quelque chose qui n’existe pas,
et qui, quand on l’aura fait exister, deviendra réalité.
On dit que la loi « vise à » … « tend  à» …
Elle « tend » à « faire en sorte que » que la réalité d’après ne soit pas la même que la réalité d’avant.

une loi qui … une loi pour …
une loi « afin de »
« afin de mieux protéger notre jeunesse »
« afin de contrecarrer les effets négatifs des inégalités professionnelles »

etc.

Le plus souvent, il y a accord sur les objectifs (sauf – nous le verrons – quand il y a deux ou trois objectifs qui sont mis en avant en même temps) ;
alors le débat porte sur la question suivante :
qu’est-ce qui va « permettre de » … ?
qu’est-ce qui va « permettre  au monde rural de vivre et de se développer » ?
qu’est-ce qui va « permettre  de garantir la solidarité nationale » ?
qu’est-ce qui va « permettre  de redistribuer les richesses créées, de rétablir une certaine justice sociale » ?
etc.

Qu’est-ce qui va « permettre », donc, d’atteindre les objectifs que le législateur s’est fixés en réponse aux demandes du TIERS ?

En d’autres termes, il s’agit de mobiliser tout ce qui peut « contribuer à » la réalisation des objectifs …
tout ce qui peut « contribuer  » …
«  au maintien d’un lien social et humain pour des personnes seules et âgées »
«  à la libération des forces vives et des énergies de notre pays »
«  à la réduction des inégalités »
etc.
… tout ce qui peut « faciliter » …
« favoriser »
« aider »
« accompagner »
« stimuler »
etc.

Il faut « tout mettre en œuvre pour » …
Il faut « faire en sorte que » …
Il faut « tracer des perspectives à long terme »
« construire sur des bases solides »

Et cela « passe par » …
« Le redressement économique de la France passe par les petites et moyennes entreprises. »
« La réforme de l’État passe par la diminution du nombre des fonctionnaires
 »
« La santé publique et la prévention passent par la guerre contre le tabac. »
etc.

Le député est un passeur
qui fouille dans la « masse » – la « nasse » ? – du réel
pour trouver ce que,  dans ma Vendée natale, on appelait  la « musse » ;.
ce point quasi invisible,
tant il est noyé dans un fouillis, un taillis de demandes en tout genre, enchevêtrées les unes dans les autres ;
ce point nécessaire, incontournable (infaillible ?) ,
car il le seul point de passage en un moment et en un lieu donnés
(encore faut-il le trouver, ce point de passage … et c’est sans doute pour cela que les débats, parfois -souvent – traînent en longueur !)

Seul pourra apercevoir cette « musse » celui qui gardera les yeux fixés sur les « principes » …
« principe d’égal accès aux services publics »
« principe de la personnalisation des peines »« principe selon lequel nul n’est censé ignorer la loi »
« principe de non-brevetabilité du vivant »
etc.
…  et qui saura mettre de l’ordre dans ces principes … les « hiérarchiser » …
dire lequel de ces principes il convient de mettre en première ligne pour résoudre le « problème » posé (en essayant de poser le moins de « problèmes »  possible au regard d’autres « principes » ..
… car ces « principes » ont la malencontreuse idée de pointer le nez tous en mêmes temps (un principe peut en cacher un autre !)

Le « principe », c’est l’alpha et l’oméga de la politique ;
ce qui est « à l’origine de »
ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est  ..
… ou qu’elle le devient …
car, au terme du processus de transformation de la demande du TIERS en loi
– s’il s’est avéré dans la discussion que la demande est « conforme », « fidèle » aux « principes » –
la « demande » deviendra un « droit »
« droit de grève » ( « Et le droit des usagers ? » )
« droit de vivre et de travailler dans un environnement sûr »
( « et de participer à la gestion de celui-ci »)
… « droit de » …
… « droit à »  …
« droit à un toit digne de ce nom » ( « Nous voulons que cela devienne un droit inscrit dans la loi. »
)
« droit à l’information »
 « Les jeunes ont droit à un travail, ils ont droit à la dignité, ils ont droit à l’égalité des chances. »
Les femmes ont acquis  le « droit à interrompre leur grossesse »

Pour dire ce qui est « le droit »,
pour dire ce à quoi nous avons droit,
pour dire quel est notre droit
quels sont nos droits,
le député pèse – soupèse – notre demande à l’aune d’un principe qui résume, qui dépasse, tous les autres :
« l’intérêt général ».

     Et tout le travail du député – on devrait dire tout « l’art »  du député consiste à montrer que les problèmes des uns et des autres – qui sont, le plus souvent, des problèmes particuliers (locaux et/ou catégoriels) – s’inscrivent dans une logique plus globale …

« Il est temps de refaire de l’agriculture en milieu rural. Si la paysannerie va, la France ira ! »
« Une France sans chasseurs, ce serait comme un ciel sans étoiles. »
« Les spécificités de la Réunion doivent être des atouts pour elle et pour la France ! »
« Quand l’OM va mal, Marseille va mal, la région va mal. Quand l’OM va bien, c’est la ville de Marseille qui va bien, c’est la région qui va bien et c’est même la France qui va bien. »
etc.

… et, qu’à ce titre, il convient de leur donner suite ;
« N’oubliez pas les intérêts de la jeunesse ! »
N’oubliez pas non plus …
« les intérêts des contribuables »
N’oubliez pas
 « l’intérêt des victimes »
 « l’intérêt général de notre économie »
… lequel n’est qu’un sous-ensemble de l’«intérêt commun »
… qui est l’«intérêt de tous » …
… « l’intérêt du pays » …
… « l’intérêt général » !
« Je crois que le sujet est d’intérêt général et qu’il concerne tout notre pays. »

Tout est dit dans cette phrase (à condition que le député ait su convaincre ses collègues … et le gouvernement !)

Mais il est une formule plus courte, une formule quasi subliminale, une formule magique en tout cas :
« il y va de »
 « Il y va de l’avenir du dialogue social dans notre pays. »
«  Il y va de la qualité des soins de notre pays. »
« Il y va de l’égalité d’accès au service public
« Il y va de notre responsabilité vis-à-vis de nos enfants. »

Et quand le député peut dire – et faire reconnaître – que
« en l’espèce, il y va de l’intérêt général. »
alors, c’est que nous sommes en face de « vraies »questions …
(«  La loi se fait pas à pas, et on arrive à faire des progrès, ici, au Parlement, quand on pose de vraies questions. »)
… de
 « vrais »  problèmes …
« [Il faut répondre aux]  souhaits exprimés par nos concitoyens sur les vrais problèmes, qui sont des problèmes de rupture sociale – je pense notamment aux laissés-pour-compte – ainsi que des problèmes d’emploi et de conditions de travail ».

alors, c’est que les « besoins » exprimés sont de « vrais besoins » ( les «vrais besoins des jeunes » ) 

C’est qu’il s’agit …
… d’un  besoin « légitime »
« Ce besoin légitime de sécurité …)
…  d’une aspiration  légitime » …
 (« l’aspiration légitime au surcroît de libertés » )
 … d’une  revendication « légitime » …
(il est dit, par exemple, que le privilège des bouilleurs de cru est « une revendication tout à fait légitime du monde rural »)

… d’une « demande sociale légitime » …
« – député 1. Partir à la retraite avant soixante ans, dès lors que l’on a cotisé le nombre de trimestres nécessaire pour obtenir le taux plein, est un souhait parfaitement compréhensible dans une période où les incertitudes du marché de l’emploi sont nombreuses. C’est incontestablement une demande sociale légitime.
– député 2. C’est un droit ! »

Il apparaît alors que,
parce qu’elle est « légitime »,
la demande
peut
doit
être « inscrite dans la loi »

Ce faisant, la demande a changé de nature.

Ce qui n’était, au départ, qu’un « souhait » (« un souhait parfaitement compréhensible »),
souhait que le député a « transmis » à  l’Assemblée des représentants
souhait qui a été « traduit » par ladite Assemblée (dont la mission est de « faire traduire les aspirations et les attentes » des citoyens)
ce souhait est donc est devenu
« un droit »
« du droit »
« le »  droit !