J’ai mis en évidence, à plusieurs reprises que le point d’équilibre ( le « point DELTA » ) n’est jamais donné une fois pour toutes.
Mais, en la matière, il n’est pas de meilleur exemple que celui des débats sur la bioéthique [ici : le débat de décembre 2003].
Au cours du débat, il est continuellement question de rechercher un « équilibre », de trouver un « compromis », de construire un « consensus ».
Or, ce point d’équilibre – ce « point Delta » – évolue avec le temps, avec les avancées de la science, les demandes des citoyens; etc. Avec les alternances aussi. Mais toujours autour d’un socle de valeurs qui définit l’humaine nature.
Les questionnements
« Posons à notre société les bonnes questions et espérons que nous recevrons les bonnes réponses. »
« Comment concilier …
… le devoir du responsable politique de mettre au service de ses concitoyens les moyens les plus avancés et prometteurs que propose la science …
… et l’impérieuse nécessité de sauvegarder une vision éthique du respect de l’homme pris en tant que personne, dans toute la dimension du terme ?Comment concilier …
… nouvelles connaissances, toujours plus intimes, des mécanismes de fonctionnement de l’humain …
… avec respect de la personne et libertés fondamentales ? …
Comment encadrer, pour éviter les dérives …
… sans gêner la poursuite des recherches au service de l’humanité ? »
Où il est souvent question de « conciliation » … de « compromis » …
« Reprocher à la loi bioéthique de suivre une démarche de conciliation est une erreur.
[…]
La démarche de conciliation vise à proportionner les moyens et les fins, les garanties et les risques. Le législateur doit tirer les conséquences concrètes de plusieurs principes. Le premier est la liberté de pensée, c’est-à-dire la liberté du chercheur, qui doit savoir quelles limites la société entend fixer à son activité.
Il y a ensuite le droit des malades et des personnes handicapées à voir atténuer leurs souffrances et accroître leurs espoirs de guérison, ce qui passe par la recherche et l’expérimentation. N’oublions pas le respect de la personne, y compris la question du respect dû à la personne humaine potentielle, et le respect du corps humain ainsi que les droits du couple et les droits de l’enfant.
Cette conciliation, mes chers collègues, doit s’appliquer dans différents domaines, comme l’aide médicale à la procréation, les pratiques médicales utilisant des éléments du corps humain, la recherche mettant en cause la personne ou des éléments du corps humain.Dans un tel domaine, il y a toujours deux abîmes et deux excès, et les réflexions sur l’homme et sur la bioéthique ne sont jamais de type binaire. C’est la confrontation de la morale et de la science, de la conscience humaine et de la science, et, à un moment donné, il faut un compromis pour poursuivre la recherche et garantir le respect de la personne humaine. »
… et donc, en fin de compte, d’« équilibre » …
« La commission a cherché l’équilibre entre la protection des droits individuels et la satisfaction des intérêts collectifs . Ce projet de loi a trouvé un équilibre entre valeurs éthiques et progrès de la science. »
… lequel « équilibre » ne peut exister
( on ne peut pas dire « tenir », car, tant en ce qui concerne l’homme que la société, il n’est pas d’équilibre « durable »)
que par les « déséquilibres » engendrés, entre autres, par l’alternance.
« La précédente assemblée [ 1997-2002/ sous le gouvernement Jospin] a constamment essayé de concilier la possibilité d’accéder à de nouveaux champs de connaissance avec le respect des principes éthiques fondamentaux qui sont les nôtres. »
« En janvier 2002, un grand nombre d’entre-nous, sur tous les bancs, ont voté, ou du moins ne se sont pas opposés à l’adoption en première lecture d’un texte cohérent, prudent, respectueux des chercheurs, et qui tenait compte aussi des interrogations éthiques des uns et des autres. Pour ma part, j’avais voté ce texte de compromis, même si je pensais qu’il n’accordait pas suffisamment de liberté aux chercheurs, mais j’avais mis de côté mes convictions personnelles. »
» Aujourd’hui [ décembre 2003/ sous le gouvernement Raffarin/ c’est un député de l’opposition qui parle] le texte qui revient du Sénat ferme l’avenir ; il est crispé, témoigne d’une certaine défiance et même d’une certaine haine à l’égard du savoir. […]
Il dessert la science et, sans aller jusqu’à invoquer les petits malades, je pense qu’il va à l’encontre du progrès médical et de la recherche française. »
« Il est vrai – c’est le président ( de droite) de la commission spéciale chargée de préparer le débat parlementaire qui parle –que les lois de bioéthique ont toujours concerné deux majorités successives, le peuple français ayant la malice – à moins que nous ne soyons trop lents – de toujours faire délibérer en deux temps, avec des majorités différentes, sur les lois de ce type.
Peut-être est-ce volontaire, pour bien montrer qu’un tel débat n’est en réalité ni de droite ni de gauche, mais pose des problèmes qui vont bien au-delà, surtout avec l’évolution des techniques et de la science.Le président de la commission sait de quoi il parle : le texte en débat a été discuté et voté, en première lecture, sous le gouvernement Jospin et qu’il revient en seconde lecture – sous le gouvernement Raffarin – profondément modifié par les sénateurs. »
En d’autres termes, le Sénat a « déplacé le centre de gravité » dira un député de gauche …
» Quel est le sens général du projet de loi tel qu’il ressort des travaux du Sénat ?
La majorité sénatoriale a voulu répondre à ce qu’elle a considéré comme la propension de l’Assemblée nationale à céder sur l’essentiel. C’est une erreur complète d’analyse.
En outre, en faisant sienne une telle vision, le Sénat a déplacé le centre de gravité de la révision des lois de 1994, d’une façon telle qu’elle éloigne cette révision des besoins réels auxquels elle doit répondre.
Le choix du Sénat a potentiellement un coût très fort en termes de droits du malade et des personnes handicapées. »
… et ce « centre de gravité », ce n’est rien d’autre que ce que j’appelle le « point Delta ».
Des conséquences sur le déroulement des débats.
… où il est question de « respect » et de (legis)«prudence» …
« Les décisions que nous allons prendre sont ouvertes et en appellent à la conscience de chacun. Elles doivent être empreintes des deux vertus que vous avez nommées : le respect et la prudence.
Le respect, c’est d’abord considérer que la vision différente de l’autre, dans un climat de tolérance propre à notre pays, est acceptable et même, dans le domaine particulier de la bioéthique, parfaitement respectable. Mais c’est aussi respecter la part d’humanité qui est en chaque homme et qui tient, je le répète, au lien qui nous unit et à notre projet commun.
La prudence, c’est à la fois la lucidité et la modestie. C’est accepter l’incertitude : l’incertitude de l’avenir de l’homme, mais aussi l’incertitude quant à la rapidité et à l’orientation des progrès scientifiques. C’est considérer l’homme dans sa fragilité. Mais la prudence ne paralyse pas l’action, elle la guide avec vigilance. Elle peut même être le courage, celui de faire établir des lois imparfaites et temporaires, qui s’appliquent à des hommes qui le sont également. »
[le président de la commission]
« En conclusion, si on me demandait de résumer d’un seul mot la disposition d’esprit fondamentale qui doit, selon moi, présider à l’élaboration des nouvelles lois de bioéthique, j’utiliserais celui de prudence. Entendons-nous bien : la prudence n’est pas l’inverse de l’audace et de la prise de risque. On peut prendre des risques au nom de la prudence : c’est ce que fait, par exemple, l’automobiliste qui franchit la ligne blanche en plein virage pour éviter de percuter un cycliste défaillant. La prudence ne s’oppose pas à la prise de risque, mais à la démesure.
Etre prudent, c’est résister à la tentation de la démesure : nous pouvons y parvenir si, comme nous y invitait déjà Aristote en son temps, nous cherchons ensemble un point d’équilibre entre deux manières de s’égarer, l’une par excès, l’autre par défaut. Etre prudent consiste à viser un juste milieu entre deux extrêmes opposés, ou – pour reprendre une métaphore utilisée par ce philosophe – « une ligne de crête entre deux abîmes » ».
[le ministre/ J.F.Mattei]
… voire – ce sont plutôt de députés de gauche qui emploient cette référence – de « laïcité » …
« Vous avez fait des choix qui sont, de notre point de vue, déplaisants parce qu’ils ne correspondent pas à ce que nous croyons être l’aspiration moyenne dans ce pays. Et j’allais dire, dans cette période où nous discutons de ces sujets, qu’un certain esprit laïque doit exister aussi par rapport à la recherche et pas simplement par rapport au port du voile. »
« En réalité, on le sait bien, les positions relatives aux recherches sur les cellules souches embryonnaires varient souvent en fonction des convictions spirituelles et philosophiques de chacun, et c’est normal. Pour certains, l’embryon de six jours est déjà un être humain : pour d’autres, ce n’est qu’une personne humaine potentielle ; pour d’autres enfin, c’est seulement un ensemble de cellules indifférenciées.
Comme le rappelle notre constitution dans son article 1er, la France est une « République laïque ». Le législateur ne peut donc privilégier telle conception philosophique ou religieuse par rapport à telle autre sans risquer d’imposer une vision estimable, mais particulière, à l’ensemble de la société. […]
Dans un État laïque, on ne peut pas confondre, comme vous semblez le faire, article de foi et article de loi. »
… ou – tout simplement ! –
( mais quoi de plus simple, quoi de plus logique, puisque le « point Delta », c’est « Delta » comme « D » … « D » comme « Démocratie »)-
… de « démocratie » …
« Tels sont les défis qui nous sont lancés, mais dont nous ne sommes pas les seuls dépositaires. Cela relève de la démocratie. Je tiens à insister sur ce point, qui me paraît essentiel. La démocratie appartient aux citoyens, elle est vivante et évolue avec les sociétés. Force est de constater que la nôtre est à reconsidérer, si l’on ne veut pas voir s’approfondir le fossé entre les citoyens et les élus, si l’on ne veut pas voir progresser l’abstention et se développer les extrémismes. »