Diverses façons de dire le débat d’Assemblée

On peut dire les débats de l’Assemblée de nombreuses manières :
comme une mise en scène … comme un chant des territoires ( un « talk-about » )  … comme un poème épique … comme une « eucharistie » …
…  comme le « parloir de la nation ».

Comme une mise en scène.

Le Compte rendu nous donne la possibilité de vivre en direct, comme si nous étions présents dans l’hémicycle – cette aventure de la loi en train de se dire, de se faire, cette quête d’un consensus, d’un « sens commun » à la fois impossible et nécessaire. En cela, on peut dire que l’Assemblée, « c’est comme » un théâtre.
Sans que cela ne soit péjoratif ; car ce théâtre produit – pour reprendre une expression d’Aristote , un effet de « purgation des passions ».
Imaginons un instant la disparition de cette « scène ». Où serions-nous – comment serions-nous – nation ?
Car le débat d’Assemblée, comme le théâtre, met en scène la diversité des sentiments et des affects en chacun de nous ainsi que la multiplicité des conflits d’intérêts qui en découlent. Le conflit est « joué » : il ne disparaît pas ; mais il est rendu possible, puisqu’au terme de la représentation, il n’y aura pas d’éclatement de la communauté. C’est le conflit lui-même qui est montré, partagé – inscrivant par là-même la loi dans un univers de doute et d’incertitude. S’il existait des solutions claires, incontournables, à nos problèmes de société, s’il suffisait de s’en remettre à des experts pour que lesdits problèmes soient résolus, alors il n’y aurait plus besoin de débat. Plus besoin d’Assemblée.

Comme un chant des territoires

– un « talk-about » ( pour reprendre, en l’adaptant,  le titre de la légende australienne racontée par Bruce Chatwin : le « walk-about »).

comme un poème épique

une chanson de geste (« la geste démocratique »)  – avec, en arrière-fond, roulements de tambours avant la bataille,. plaintes et pleurs des femmes de combattants qui attendent fébrilement l’issue du combat, prières et suppliques des chevaliers emprisonnés dans leur prison dorée du « Val sans retour » .
On peut les dire comme un récit des origines – dans lequel nous retrouverions les figures mythiques du « prêtre », du « chevalier » et du « paysan ».
Quelque chose comme un « Mahabharata  contemporain, avec des héros – des hérauts – qui mènent, en notre nom, des combats « sacrés », sans pour autant pouvoir  se défaire de cette enveloppe « de chair et d’os » qui les fait ressembler aux fragiles  humains que nous sommes.

comme une eucharistie

Le sacré est tellement présent dans les interstices du discours ( Assemblée et/ou « séminaire » ?) qu’il est aisé de passer de la « scène » à la « Cène ». Aussi pourrais-je dire la séance  – le  « travail » – de l’Assemblée comme une « eucharistie ».
De même que l’alchimiste est appelé à transformer en une matière noble ce que le commun des mortels considère comme vil et sans intérêt, le prêtre est celui qui change le pain « quotidien » en « corps » du Christ : « Prenez et mangez, dit le député, ceci est le CORPS de la nation, ceci est la chair de la nation …  ceci est le sang de la nation, le sang qui lui donne vie. Et, de même que la liturgie de la messe réalise l’unité des croyants, la « liturgie » des débats crée du lien ; elle fait de l’UN. Elle institue le député en représentant de la collectivité solidaire et unifiée qui a pour nom « nation ». « Allez, la nation est dite ! »

comme le parloir de la nation

Alors – en écho aux propos, éminemment plus « laïques » que les miens, de Clémenceau : « Gloire au pays où l’on parle ! » , je dirai l’Assemblée comme le « parloir de la nation » .
Pas au sens du « café du Commerce » ( encore que , certains jours …).
Pas au sens du « dernier salon où l’on cause » (encore que – à la façon Gilles Vignault – on pourrait dire que les députés, «  ce sont gens de parole/ et gens de causerie/ qui parlent pour s’entendre/ et parlent pour parler / il faut les écouter/ c’est parfois vérité/ et c’est parfois mensonge !  »).

Mais –  comme s’il m’était impossible de quitter le registre judéo-chrétien – j’emploierai le mot « parloir » dans une autre acception, empruntée au mot  « saloir ».
N’est-il pas écrit dans les Évangiles :« Vous êtes le sel de la terre ; si le sel s’affadit, avec quoi le salera-t-on ? ».
Et moi, je dis au député – mais aussi au citoyen car, en définitive, on a l’Assemblée qu’on mérite ! – : « Députés, vous êtes le parloir de la nation ; si la parole s’affadit, avec quoi la parlera-t-on ? »