L’Assemblée, un groupe comme les autres ?
Pas tout à fait, car il s’agit d’un groupe « en représentation ».
Ce n‘est d’ailleurs pas un hasard si le mot « représentation » est utilisé à la fois pour désigner la mise en œuvre d’un projet, d’une « assemblée théâtrale »[i] et la prestation fournie par l’« assemblée » de nos « représentants ».
L’Assemblée « c’est comme » … un spectacle, une scène.
On y joue nos drames, nos complaintes, nos quêtes et nos requêtes. Le Compte rendu est rédigé de façon à faire ressortir, tour à tour, les aspects tragiques, épiques, comiques, du débat. Nous nous identifions aux députés.
Avec eux, comme eux ( avec une partie d’entre eux, plus précisément, car, non seulement nous sommes parties prenantes, mais nous prenons parti ), nous applaudissons, nous nous exclamons, nous sourions.
Nous sommes contents qu’un tel ait eu telle répartie ou, au contraire, révoltés – lorsque, par exemple, un député lance à l’une de ses collègues : « Pour donner des leçons de morale, il faut avoir les culottes propres : vous ne les avez pas ! » ou cet autre : « Je remercie madame J. pour son cours d’électro-ménager. » !
La geste parlementaire – telle que la reproduit le Compte rendu intégral – est la mise en scène d’un apprentissage.
En participant au débat, les députés expérimentent – en notre nom, à notre place – les contraintes et les bienfaits du « vivre ensemble. Tels les chevaliers du Val sans retour , ils essaient le (les) chemin(s) qui va ( qui vont ) du possible à l’impossible ( et pourquoi pas aussi en sens inverse ?).
Et nous, nous participons « à » cette expérience. ( On peut aussi dire que nous participons « de » cette expérience – car, de l’issue des débats, dépendent de nombreux aspects de notre vie personnelle et collective .)
Le Compte rendu nous donne la possibilité de vivre en direct, comme si nous étions présents dans l’hémicycle – cette aventure de la loi en train de se dire, de se faire, cette quête d’un consensus à la fois impossible et nécessaire.
Le débat d’Assemblée, comme le théâtre, met en scène la diversité des sentiments et des affects en chacun de nous, ainsi que la multiplicité des conflits d’intérêts qui en découlent.
Le conflit est « joué » : il ne disparaît pas ; mais il est rendu possible, puisqu’au terme de la représentation, il n’y aura – en principe – pas d’éclatement de la communauté.
C’est le conflit lui-même qui est montré, partagé – inscrivant par là-même la loi dans un univers de doute et d’incertitude : s’il existait des solutions claires, incontournables, à nos problèmes de société, s’il suffisait de s’en remettre à des experts pour que lesdits problèmes soient résolus, alors il n’y aurait plus besoin de débat. Plus besoin d’Assemblée.
Ainsi se donne à voir, se donne à lire, l’Assemblée : telle un « Janus » à deux têtes ( une devant, une derrière … une à droite, une à gauche ! ).
Une Assemblée qui – Dieu et guenon – manie, avec la même aisance, le sceptre, le balai … et la serpillière ! (« A chacun de balayer devant sa porte ! …/ Vous, vous avez une porte cochère ! Il vous faut un grand balai ! »).
Une Assemblée qui se révèle être tout à la fois maîtresse du feu et de la loi , servante au grand cœur et à la grande gueule, porteuse – faiseuse, diseuse – de vie et femme de mauvaise vie, de mauvaise réputation.
Une Assemblée objet, tout à la fois, de vénération et de mépris.
[i] « L’assemblée théâtrale » : tel est le titre d’une brochure éditée en 2002 par les éditions de l’Amandier. Cette brochure rend compte d’une table ronde réunissant des auteurs et des metteurs en scène de théâtre ainsi que des philosophes ( dont Myriam Revault d’Allonnes, auteur – en particulier – d’un ouvrage intitulé « Fragile humanité »/ Aubier 2002).
En lisant ces textes ( ainsi que le tome 2 intitulé « La représentation »), j’ai été impressionné par les concordances qui s’établissaient entre ce que disaient de leur travail ces gens de théâtre et ce que j’ai vu émerger des marges du discours des députés.