La métaphore rurale est une constante du discours des députés … et des commentateurs ( surtout pendant la « campagne » électorale/ voir l’expression « labourer la campagne ».)
Que nous dit cette métaphore ?
Il faut partir du fait qu’une fois votée, la loi apparaît comme une parole figée, définitive, irrévocable.
Alors, avant que ne se produise la fixation, la glaciation , il faut, en-deçà, en amont, une intervention qui lui donne de la chair, de la couleur, de la chaleur, de l’étoffe … à ladite loi.
Il faut habiller la règle de droit, de sorte qu’elle ne vienne pas nous choquer de par sa nudité.
Il faut enraciner la norme dans le concret, dans le divers, le particulier, le coloré.
Le citoyen ne reconnaîtra comme sienne la loi votée que si ladite loi lui dit quelque chose de lui-même, que si, par un biais ou par un autre, elle lui ressemble.
Il revient donc à ceux que nous allons élire pour nous « représenter » de donner chair à la loi. Avec tout ce que cela comporte : élans de générosité, mais aussi actes et propos racistes, peur de l’étranger, maltraitance, trafics et fraudes diverses, prostitution, mafias, atteintes à la sécurité, etc.
La chair est aussi viscères !
Le support de cet « ancrage » , de cette « incarnation »
(« En démocratie, le souverain, c’est le peuple, qui s’incarne en vous, la représentation nationale » , dit un ministre),
c’est le « terrain » – le « sacro-saint terrain ».
Le « terrain », c’est en quelque sorte un label, une appellation d’origine contrôlée.
Il en est du député comme du « bon vin ».
« Je me souviens, raconte un député d’une autre législature ( 1981-1986 ), d’avoir interrogé‚ un jour un vieux vigneron. À la question : « Qu’est-ce-qui, selon vous, fait la qualité d’un vin ? », il m’a répondu : » Un vin est fait de trois éléments : un terrain, un cépage et un homme » » .
Le « terrain », … c’est le lieu de la « proximité » … le point d’« immersion » … c’est le lieu du « quotidien » … le lieu de la « réalité « ( « des réalités » ) … le lieu où se « forgent » les convictions …
( « Ma présence sur le terrain forge mes convictions, comme vous tous, et influe fortement sur mon expression en tant que membre de la représentation nationale. Comme vous, je vis dans ma circonscription. Comme vous, j’ai des enfants qui fréquentent l’école publique et parfois des collèges difficiles. Comme vous, j’ai une femme qui travaille dans un quartier difficile, dans une école où il n’est pas tous les jours facile d’exercer son travail. Comme vous, je reçois tous les jours dans ma permanence des gens qui souffrent. »)_ VALLS
Le « cépage », ce peut être l’ancrage politique et idéologique du député
( il est des « crus bourgeois » et des « vins de pays » … il est des « plants », des variétés de culture qui prennent mieux à droite qu’à gauche !)
L’« homme », c’est « l’homo deputatus », celui à qui il revient de faire le « bon vin », la « bonne loi » et qui a été, à cet effet, « élu », « oint », « consacré » – donc « mis à part », « séparé » ( éthymologiquement, « deputare » veut dire « émonder, tailler, séparer » ).
Aussi quand on ressasse l’idée selon laquelle il y aurait un fossé ( lequel ne cesserait de s’agrandir ) entre l’électeur et l’élu, on ne fait que redire une vérité première : il y a dans l’élection une « onction », une séparation.
Et le leitmotiv – la survalorisation – du « terrain » vise à effacer symboliquement cette séparation.