1983. Avec la « rigueur », les socialistes entreprennent un « virage » des plus risqués. En ce sens qu’au sortir de ce virage, ils vont se retrouver positionnés dans un axe très différent – pour ne pas dire, diamétralement opposé – de (à) celui sur lequel ils s’étaient – ils nous avaient – embarqués.
(On peut même dire que, depuis ce virage de 1983, les socialistes n’ont jamais réussi à se positionner sur une trajectoire cohérente, efficace et mobilisatrice.)
L’heure est venue de la grande mutation de la gauche et de sa conversion à « l’économique avant toute chose ». Nécessité fait loi.
Le blocage des prix et des salaires (juin 2002) ne suffira pas. En mars 1983, la troisième dévaluation s’accompagnera d’un deuxième plan de rigueur dont les conséquences seront beaucoup plus importantes que pour le premier.
Le Gouvernement Mauroy, après avoir été tenté de sortir du Système Monétaire Européen et d’appliquer une politique protectionniste, s’aligne sur les politiques économiques des autres pays occidentaux en décidant de réduire de soixante milliards la demande intérieure : prélèvement de 1% sur le revenu imposable, emprunt obligatoire remboursable et surtout, économie sur les dépenses budgétaires et sociales.
Un tel plan d’austérité ne pouvait que provoquer des clivages à gauche.
Pour Jean-Pierre Chevènement, il ne s’agit pas d’une « parenthèse », mais d’un « virage » qu’il refuse de cautionner : il ne fera pas partie du troisième Gouvernement Mauroy.
Le parti communiste, quant à lui, considère que ce plan est en contradiction avec les objectifs définis par le Président de la République en 1981. Les quatre ministres du PCF n’en continuent pas moins de siéger au Gouvernement.
Le Parlement est quelque peu court-circuité. Il n’aura son mot à dire qu’une fois le changement de cap décidé.
Sur le plan agricole, le plan d’austérité coïncide avec l’arrivée de Michel Rocard au ministère de l’Agriculture : la FNSEA a eu la peau d’Édith Cresson !
L’objectif premier du nouveau ministre est, d’ailleurs, de renouer les ponts entre le Gouvernement et la FNSEA. Quelques jours après son entrée rue de Varenne, il fait un discours très remarqué devant le Congrès de la FNSEA.
Il élimine tous les sujets qui fâchent : politique différenciée des revenus , diversification des modèles de production, cogestion.
Il reconnait la « prééminence » de la FNSEA parmi les « organisations de nature syndicale ».
Conformément à la tradition des ministres de l’Agriculture, il se situe en défenseur de la paysannerie vis-à vis de la CEE, vis-à vis de la population … et même vis-à vis du gouvernement:
« Je suis prêt à assurer l’identité profonde de ce monde agricole. Les problèmes des agriculteurs ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de la majorité des Français ! Et je crois être là pour le rappeler, si besoin était, à une heure où le « tout pour l’industrie » a tendance à devenir le discours dominant. »
La « rigueur », Michel Rocard connait. On pourrait même dire qu’il aime.
C’est ainsi qu’à la fin de la présentation du budget de l’agriculture, M.Rocard ne peut s’empêcher de dire « quelques mots de la méthode et de la démarche qui guident (son) action » :
« La rigueur, ce n’est pas celle qui se mesure au pourcentage global de ce budget, car je ne confonds pas la rigueur avec la rareté; c’est d’abord […] la rigueur intellectuelle, qui consiste à parler vrai et à agir en conséquence, pour ne pas enfermer l’agriculture française dans le « ghetto », finalement si commode, de ses particularismes, de l’assistance et du clientélisme.
Oui, il y a, dans ce budget, des aspects négatifs, des secteurs qui verront leurs moyens n’augmenter que peu ou pas du tout. Je l’assume comme la contribution que paie l’agriculture aux difficultés d’un monde en crise, auxquelles il n’est au pouvoir de personne de se soustraire. »
Les « difficultés d’un monde en crise » ?
M.Rocard les a longuement expliquées lorsqu’il a parlé des -difficiles- négociations européennes. La France va hériter de la présidence de la Communauté au moment où les contradictions entre les États membres ont atteint leur paroxysme. L’intransigeance de Mme Thatcher ( elle souhaite récupérer une somme correspondant à la différence entre ce que la Grande-Bretagne verse à l’Europe et la somme qu’elle en retire) a entraîné l’échec du sommet d’Athènes en décembre. Le désaccord sur les questions budgétaires bloque toute décision sur l’avenir de la PAC et sur l’élargissement.
L’accord sur les questions agricoles sera quand même signé le 31 mars, mais la « révision » que cet accord entérine est aux antipodes des espérances dont les députés socialistes avaient été porteurs.
L’« avenir » de la PAC, ce seront les « quotas » ( laitiers, principalement) et la baisse des prix.
Dans ce contexte, on peut imaginer – ou souhaiter – que la représentation nationale se serre les coudes. Il n’en est rien. Les ténors vont monter au créneau : Jacques Chirac, Raymond Barre viendront parler de l’agriculture, mais ce sera pour accuser la gauche d’avoir « tué la poule aux œufs d’or« . Les temps sont difficiles -certes – mais c’est un peu de votre faute, messieurs, diront-ils en substance.
Pourtant, à y regarder de plus près, l’échange entre Raymond Barre et Michel Rocard est empreint – à défaut de consensus – de déférence et de courtoisie … ce qui ne sera pas du goût des « autres » (socialistes) !