22 et 23 avril 1986. Premier débat de la législature. Il porte sur un projet de loi autorisant le Gouvernement à prendre – par ordonnances – diverses mesures d’ordre économique et social en application du programme sur lequel il a été élu. Ces mesures portent principalement sur l’emploi des jeunes, la participation et privatisation des entreprises nationalisées en 1981 par le gouvernement MAUROY.
Les motions de procédure et le débat général vont fournir au front national plusieurs occasions de prendre la parole. S’y attelleront LE PEN, BACHELOT (médecin, ancien de l’UMP ; il a rejoint le FN juste avant les élections) et MARTINEZ). Ils vont adopter d’emblée une attitude extrêmement critique à la fois sur le contenu et sur la méthode.
1. un « non-évènement libéral »
« Sur le fond, ces ordonnances sont à l’efficacité économique ce que Rika Zaraï est à la médecine (Sourires) c’est-à dire des médecines douces, tout à fait illusoires. »[MARTINEZ]
« Votre texte ne reste que l’accablant témoignage d’un rendez-vous manqué avec la formidable révolution libérale en marche dans les pays voisins [allusion à TATCHER et REAGAN] … [Le texte que vous nous présentez « est un non-événement libéral ». [BACHELOT]
Le premier constat est sans appel : le projet de loi n’est pas conforme à la plate-forme U .D.F.-R.P.R sur laquelle la droite vient d’être élue. Ce ne sont là que « demi-mesures ». Bref, c’est « un leurre ».
Pourquoi la droite n’applique-t-elle pas complètement son programme ?
1. parce que la droite fait une mauvaise analyse de la crise :
« Votre gouvernement n’a pas pris la dimension réelle de la crise qui nous a frappés. Certes, la décadence nationale et européenne y participe pour beaucoup, mais la crise mondiale n’est pas une crise cyclique comme celles que nous avons connues auparavant . Elle représente très exactement un mode capital de transformation du monde. C’est la fin du monopole industriel de l’Europe. » [LE PEN]
2. parce que la droite est incapable d’opérer une véritable rupture avec le socialisme :
« Nous ne pensons pas que vous soyez en mesure de rompre avec le socialisme. » [LE PEN]
D’ailleurs, dans le passé « vous avez donc plus fait pour le socialisme que ne l’ont fait vos prédécesseurs immédiats » »
(Et LEPEN d’expliquer : « Quand M . Giscard d’Estaing est arrivé au pouvoir, en 1974, le taux des prélèvements publics était de 35 p . 100 . Quand il l’a quitté, il s’élevait à 42 p . 100. Aujourd’hui, il atteint 46 p. 100. Cela veut dire que, en sept ans, on avait augmenté les prélèvements publics de sept points, soit de un point par an, et que, en cinq ans, sous les gouvernements de M . Mauroy et de M. Fabius, ils ont été augmentés seulement de quatre points. »)
Aujourd’hui – c’est BACHELOT qui parle – « le traitement que vous nous proposez échouera car c’est une approche socialiste de la question. »
Pourquoi est-il une approche socialiste ? Parce qu’il s’appuie sur le maintien de trois éléments essentiels d’une politique socialiste :
premièrement, la prépondérance de l’État pour régler les problèmes de relations dans le travail ;
deuxièmement, le maintien du contrat de travail dans toutes ses obligations actuelles, principale cause de chômage ;
troisièmement, le maintien de deux monopoles qui expliquent le chômage actuel, le monopole de la sécurité sociale et celui de la représentation syndicale. »
« La faute, la lourde faute, de votre Gouvernement – renchérit LE PEN -, c’est de penser qu’il y a une solution administrative, une solution bureaucratique, une solution étatique, en quelque sorte, aux problèmes de la France. Vous n’associez pas le peuple. »
3. parce que la droite « a le complexe de son opinion » – l’expression est de [LE PEN – et qu’elle a le regard tourné vers les prochaines échéances électorales : les présidentielles de 1988.
« Je crains que vous n’ayez fait une certaine analyse politique de la situation, estimant qu’en prévision des prochaines échéances électorales l’essentiel pour vous était de durer.
Pour durer, il vous faut la paix sociale et, pour cela vous avez négocié avec un lobby syndicaliste figé. […] Si vous avez effectivement négocié avec un groupe, qui est fort et qui vous fait peur[…] je dis, messieurs, que c’est très grave, parce que vous nous faites rater à tous le rendez-vous que nous avions avec le renouveau libéral. » [BACHELOT]
Les députés frontistes se présentent donc comme les seuls qui auraient été capables d’honorer ce « rendez-vous » avec le « renouveau libéral ».
Eux n’auraient pas fait de la « gestion de la pauvreté socialisée ».
Eux se seraient attaqués « « carcans étatique, financier, syndical » … « pour que vive la libre entreprise » ( « parce que la libre entreprise, c’est le premier pas vers la richesse d’une nation. »)
Eux seuls auraient su opérer la rupture avec le(s) socialisme(s) …
« Vous avez raté une occasion unique. Il y avait une possibilité d’ouvrir une ère nouvelle pour la démocratie économique. Dans le choix qu’il faut faire – si c’est un dilemme – entre socialisme et capitalisme, il est évident que c’est dans la voie du capitalisme qu’il faut s’engager puisque c’est celle qui ménage non seulement les plus grandes capacités de liberté mais encore les plus grandes capacités d’épanouissement humain. » [LE PEN]
… en s’inspirant des pays où çà marche :
« Nous devons préparer l’avènement du monde de demain et – Dieu merci ! – c’est du côté de l’Ouest que, paradoxalement, se lève le soleil de la liberté et de la prospérité. »
2. Les lignes de démarcation du FN
Les Tables de compte-rendu publiées par le Journal Officiel permettent de mettre en évidence les points-clés de l’analyse du projet de loi par les députés du Front national.
– le caractère parcimonieux de la déréglementation;
« Vous voulez déréglementer, et vous avez bien raison . Mais vous le faites avec parcimonie. » [LE PEN]
– l’immigration constituant un problème connexe à celui de l’emploi;
« Vous proposez de résoudre le problème du chômage des jeunes . C’est vrai qu’il est plus inquiétant que celui des autres parce qu’il engage en quelque sorte toute leur vie, mais vous ne dites pas les raisons de ce chômage. […] Vous n’avez pas abordé ce problème clé, connexe de celui de l’emploi qu’est l ‘ immigration. [LE PEN]
– la dénationalisation constituant une chance d’appropriation des moyens de production et d’échange par le peuple ;
« II faut rendre aux Français l’autonomie de leur gestion [et] la responsabilité de l’argent qu’ils gagnent. » [LE PEN]
– nécessité de libérer tous les prix, les changes et le crédit ;
« Il fallait montrer clairement votre volonté de libérer l ‘entreprise. Qu’est-ce que cela veut dire ? Non pas proposer une modification des ordonnances de 1945, mais les abroger.
– nécessité. d’abolir la loi sur l’autorisation administrative préalable de licenciement ;
« Il fallait surtout «déréglementer» l’entreprise en abolissant la loi sur l’autorisation administrative préalable de licenciement. » [BACHELOT]
– poids des charges sociales ;
« Il fallait s’attaquer à une réforme de la protection sociale. […] en particulier pour bien préciser ce qui doit relever de la redistribution, de la solidarité nationale – c’est la politique familiale – et dire, pour faire des économies, que cette politique familiale serait exclusivement réservée aux nationaux . C’est une notion essentielle. […]
Tout le reste, que ce soit la maladie, le chômage ou la vieillesse, doit relever des assurances personnelles. L’État n’a plus à être le gérant du système, mais simplement le garant du niveau des prestations ». [BACHELOT]
– nécessité d’une réforme de la gestion de la sécurité sociale ;
« Si nous voulons sauver nos entreprises, il faut faire des économies drastiques sur le budget de la protection sociale. » [BACHELOT]
Parmi les mesures proposées figurent : « la séparation des caisses « maladie« pour les nationaux et pour les étranger » (« Nous n’avons pas à financer sur nos cotisations et nos impôts la santé des villageois de, l’Afrique du Nord. C ‘est très clair. ») … la « mise en compétition des assurances privées et de la sécurité sociale » …
Et BACHELOT de conclure :
« Je suis très étonné, chers collègues de la majorité, parce que toutes les mesures que je viens d ‘ énumérer figurent, vous le savez, dans votre « plate-forme » .
Paroles échappées du texte
La fable du coucou
« La gauche a beaucoup de chance, parce qu’elle est un peu, qu’elle me le pardonne, comme le coucou . (Sourires.) Le coucou a cette particularité qu’il pond ses œufs dans le nid des autres ; d’ailleurs il n’en pond qu’un seul, généralement dans le nid des tendres et fragiles mésanges. Celles-ci, hélas n’ont pas la lucidité suffisante pour reconnaître l’intrus, et quand celui-ci nait, au lieu de le jeter par-dessus bord, elles le nourrissent jusqu’au moment où, ayant pris des forces, c’est le petit coucou qui jette les petites mésanges à bas du nid .
C’est ce qui arrive couramment dans la politique de ce pays . La gauche ne vient pas souvent au pouvoir, mais quand elle le fait, elle pond son œuf idéologique et politique (Sourires) en faisant confiance à la stupidité de ses adversaires politiques pour qu’ils nourrissent le petit qui en naîtra (applaudissements sur les bancs du groupe Front national) et, si j’ose dire, une espèce de sentimentalité mal placée conduit les mésanges de droite à nourrir leurs pires adversaires. » [LE PEN]