I-04/ la participation … « oui, mais pas comme çà ! »

Fervents défenseurs de la participation, ils vont se montrer – une fois de plus – très critiques sur le projet du Gouvernement. Ils vont se livrer à un plaidoyer pour la « petite entreprise » et dénoncer le caractère rétrograde d’une politique visant à remettre en selle un « syndicalisme moribond »

AMENDEMENTS (FN)

 

L’amendement n° 18 – déposé par le groupe FN et soutenu par BRIANT – vise à supprimer le monopole dont dispose l’Agence nationale pour l’emploi « en matière de formation, de recherche et d’offre d’emplois ».« Depuis une ordonnance de 1945, les services de l’État sont seuls habilités à effectuer le placement des travailleurs, et ce monopole est confié depuis 1967 à l’Agence nationale pour l’emploi. A nos yeux, ce monopole est d’autant plus condamnable que – chacun le sait – l’A .N.P.E. ne remplit pas sa fonction. […] [Et cela] en raison de la lenteur administrative de ses procédures, d’une mauvaise information, de l’absence de sélection de son personnel et de ses 25 p . 100 d’absentéisme.  […]
Alors, plutôt que de prôner une nouvelle réforme, une énième réorganisation de l’agence, il serait plus sain, croyons-nous, de prendre le mal à sa racine en proposant la suppression d’un monopole auquel les pouvoirs publics, conscients de sa nocivité, ont d’ailleurs déjà toléré nombre d’entorses. » [BRIANT]
Le rapporteur affirme que « à titre individuel », il ne serait pas opposé à cet amendement.  Mais finalement, il se range à l’avis du ministre – lequel a indiqué qu’il n’était pas question de remettre en cause le caractère de service public de l’A .N .P.E., quitte à développer les partenariats  (comme c’est le cas avec l’A .P.E.C. [Association pour l’emploi des cadres]
À noter que la position du ministre ne fait pas l’unanimité dans les rangs de la majorité.
[Un député U.D.F.] « Ma conviction personnelle est qu’il faudrait que vous alliez beaucoup plus loin, que vous soyez beaucoup plus téméraire dans cette réforme de l’agence nationale pour l’emploi. »
Cependant les résultats du scrutin public demandé par le FN laisse à penser que le ministre a su convaincre ses troupes … et même certains députés du Front nationale, puisqu’il n’y a que 14 voix pour.

Les députés frontistes vont défendre trois amendements qui – comme cela a été le cas précédemment – visent à faire pression sur le gouvernement Chirac pour qu’il aille plus loin dans l’application de la « Plateforme » sur laquelle la majorité s’est fait élire.
L’amendement n°17 concerne l’autorisation administrative de licenciement : pas question de transiger ; le FN demande l’abrogation pure et simple de cette mesure dont « le seul résultat concret »  « est d’élever des barrages bureaucratiques, de créer des retards administratifs qui pénalisent les entreprises et les acculent souvent à déposer leur bilan. » [mégret]

L’amendement n° 19 concerne la question des seuils : le FN demande la refonte des dispositions du code du travail concernant ces seuils.« L’existence de seuils en matière de législation sociale transforme trop souvent la croissance d’une entreprise en une course d’obstacles administratifs » – lesquels obstacles « conduisent trop souvent les entrepreneurs à geler l’embauche alors que, sur le plan économique, ils auraient tout intérêt à créer de nouveaux emplois » [mégret]

L’amendement n° 20 tend à rendre possibles toutes les candidatures au premier tour des élections professionnelles (jusqu’alors réservées aux candidatures présentées par les organisations syndicales dites « représentatives »).Il faut « moderniser le syndicalisme en révisant les critères de représentativité – critères réaffirmés dans la loi Auroux de 1982 – et en modifiant les procédures d’élection des représentants du personnel » [BACHELOT]

En ce qui concerne les deux premiers amendements, le gouvernement fait remarquer qu’il a déjà pris l’engagement de déposer un projet de loi spécifique car ce sont des sujets qui exigent un « débat solennel et approfondi »  ( « Le Gouvernement n’entend pas légiférer pour quelques semaines, quelques mois ou quelques années, mais pour longtemps ! […] Nous avons pris un engagement et il sera tenu. »)

Quant au troisième amendement, le rapporteur et le gouvernement estiment qu’il n’a pas de rapport avec l ‘ objet de l’article en discussion.

Si l’on regarde de près les votes, il apparaît que ces amendements ont une fonction d’affichage plus que de transformation de la règle : à peine une dizaine de députés du groupe FN vont les voter.

Par contre, l’ensemble du groupe va se mobiliser contre deux amendements proposés par les socialistes :
– un amendement visant à étendre le bénéfice de la participation aux travailleurs immigrés (« Un tel amendement aurait pour conséquence de brader l’intérêt national ». [Jalkh]). Une grande partie des députés de droite votera contre l’amendement des socialistes – ce qui fera dire à l’un d’eux : « C’est la victoire du Front national ! »

 

– un amendement visant à modifier la législation en vigueur afin que la participation, l’intéressement. et l’actionnariat des salariés  résultent d’un « choix volontaire dusalarié ».

 

AU FOND

1.contrat de travail : une nécessaire révision du code du travail

 « Il ne faut pas limiter les cas de recours ,aux contrats à durée déterminée. Au contraire, il faudrait leur donner beaucoup plus de souplesse et en augmenter le nombre. »[BACHELOT]

 

« Nous proposons un contrat libre, optionnel, entre l’employeur et l’employé. » [le même]

Cela implique une réforme du code du travail :
« Il est bon qu’existe un code du travail à la fois pour les employés et pour les employeurs. Mais ce code du travail’ doit être revu et dépoussiéré. » [Schenardi/ suppléant de d’ORMESSON qui a démissionné pour garder son mandat de député européen]

Herlory [ médecin, député de la Moselle, a rejoint le FN en 1984] sera moins mesuré que son collègue. Il parlera de « dispositions ubuesques » …  de  « charlatanisme juridique » … de « labyrinthe délirant » (« Qui pourrait retrouver le fil d’Ariane dans ce labyrinthe délirant ? La santé du droit et la rigueur des normes ne se mesurent  jamais à l’aune des sous-alinéas, des sous-articles ou des sous-paragraphe. »)

Sur ce point – comme sur beaucoup d’autres – les députés FN ne sont « pas rassurés du tout » : « Nous avons l’impression que le Gouvernement va conserver le code du travail dans sa forme actuelle, avec toutes ses obligations, et c’est justement ce qui nous inquiète. »

Ils considèrent qu’ils sont « actuellement dans notre pays », « les seuls à défendre les salariés » :
« On parle de défense des droits des salariés . On fige le code du travail . Et l’on nous reproche de ne pas défendre les salariés . Mais respecter les salariés, aujourd’hui, c’est premièrement leur donner un emploi ; c’est, deuxièmement, éviter que l’impôt ne leur reprenne ce qu’ils ont acquis par leur travail ; c’est, troisièmement, leur permettre de disposer d’une représentation syndicale réelle, ce qui n’est pas le cas de celle d’aujourd’hui. » [BACHELOT]

C’est -disent-ils – ce qui fonde leur opposition au gouvernement : « Nous ne sommes pas dans la majorité, nous sommes dans l’opposition de droite. »(Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

 

2. défense de la « petite entreprise »

 « J’ai des amis, petits entrepreneurs, qui pourraient embaucher une ou deux personnes, faire travailler d’autres Français, et qui ne le font pas . Et si vous continuez à les inonder d’alinéas et de papiers aussi compliqués, étant donné qu’ils ne sortent ni de l’E.N.A. ni de Polytechnique mais travaillent de leurs mains, ils n’embaucheront pas .
Tout ce que vous racontez, c’est peut-être pour un grand patronat que, personnellement, je n ‘ ai jamais défendu et que je ne défendrai pas s’il est bête et pressurisateur. Il faut que les choses soient bien claires. […]
La seule chose qui compte, et je vous supplie d’y penser, ce soir et dans les jours à venir, que vous soyez communistes, socialistes, R.P .R., U.D .F. ou Front national, c’est que les petits patrons français, les seuls capables de créer des emplois, embauchent du personnel . Et ce n’est pas en mettant tous les jours un wagon de papiers sur leur bureau qu’on les incitera. »  [Herlory]

« J’ai des amis, petits entrepreneurs » … D’autres feront référence à leur propre expérience : « Les chefs d’entreprise, dont je suis » [BRIANT] … « les entrepreneurs que nous sommes » [BACHELOT / lequel est – faut-il le rappeler – médecin !]

« Lorsqu’on a, dans la vie, organisé, entrepris, fait travailler des gens on sait à quoi s’expose un entrepreneur » [Schenardi] ( Le Compte rendu indique : « Vives exclamations sur les bancs des groupes socialiste et communiste » : « Fait travailler des gens ! » … « Extraordinaire ! » … La réalité dépasse la fiction ! » )

 « Vous vous étonnez un peu qu’au groupe Front national, des gens viennent dire : « Moi, je suis entrepreneur ; moi, j’ai fait travailler tant de personnes .  »  Moi, messieurs, à la force du poignet, je suis devenu grand reporter dans les plus grands journaux français . Et, avant cela, dans ma famille, j’ai su ce qu’était manger de la vache enragée. Je ne suis donc pas contre les ouvriers. Je ne veux pas qu’on les licencie. » [Holeindre]

 

3. la participation version BALLADUR : un projet « inquiétant et dangereux »

L’article 3 de la loi d’habilitation a pour ambition de développer la participation des salariés au capital et aux résultats de l’entreprise et de leur permettre de siéger aux conseils d’administration ou de surveillance des sociétés anonymes.

Le porte-parole du Front national dans ce débat est PORTEU de la MORANDIèRE  ( « Je suis l’un de ces chefs d’entreprise– le député dirige une entreprise commerciale – est , comme il y en a beaucoup en France ; soyez persuadés que je sais de quoi je parle. »)
Pour les députés du Front national, cet article constitue « la colonne vertébrale » du texte« car il s’agit des rapports, dans chaque entreprise de France, entre le capital, le travail, le patronat, les salariés, et ce pour une longue période ».

Mais, « sous sa forme actuelle », le projet de loi leur parait « inquiétant et néfaste ».
« Inquiétant » «  parce que trop large, trop imprécis, démesuré, illimité dans sise conséquences . 
[…] On ne traite pas un problème de cette importance en vingt minutes, voire en une demi-heure. »
« Effrayant » parce que « les pouvoirs que vous nous demande dans  ce domaine essentiel, monsieur le ministre, constituent en effet un blanc-seing total à un moment crucial de la vie de notre pays. »

PORTEU de la MORANDIèRE se livre à une analyse historique de la question :
« Je sais que, parmi vous, les gaullistes notamment, depuis quarante ans, ont défendu des projets de participation et d ‘ intéressement . L’idée n’est pas neuve . […] Mais  ces textes ont été décevants, Ils n’ont fonctionné nulle part de manière satisfaisante . Vous savez bien qu’ils ont été peu motivants pour les salariés, mal adaptés aux problèmes des entreprise. […]  Ni à droite ni à gauche, personne n’en a été content . Et c’est  à nouveau dans ces chemins que vous voulez aujourd’hui nous amener. Nous ne sommes pas d’accord.

Et sa (longue) intervention se termine par un acte de foi dans ce que les députés frontistes appellent le « capitalisme populaire » :
« Nous sommes nous-mêmes favorables au capitalisme populaire. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe communiste) Nous l’avons intégré dans notre programme. Nous y croyons . Mais pas comme cela ! Nous croyons réellement que noue pouvons faire des travailleurs de ce pays des actionnaires, des associés. »

 

4. « pas comme cela ! »

Plus tard dans le débat – quand il sera question de la participation des salariés aux différentes instances de l’entreprise – les députés frontistes vont attirer l’attention de leurs collègues  sur le problème de la responsabilité de ces salariés .
« Quelle serait la responsabilité de ces élus qui siégeraient non plus avec voix consultative, comme les représentants du comité d’entreprise, mais avec un véritable pouvoir de décision ? Il ne saurait, en effet, y avoir au sein d’un conseil délibérant deux niveaux de responsabilité différents. Puisque les administrateurs peuvent voir leur responsabilité pénale éventuellement mise en -cause, il faudrait qu’il en soit de même pour les salariés. Sinon, on aurait un statut juridiquement incohérent . » [Baeckeroot]

Le rapporteur et le ministre reconnaîtront qu’il y a là « un problème grave ». Le ministre promet que le problème sera « définitivement réglé »  dans l’ordonnance. « Toutefois – ajoutera-t-il – , nous devons prendre garde à ne pas dissuader les salariés de participer auxdits conseils d’administration »

Ils vont aussi défendre un amendement précisant que ce droit devra s’exercer « sans porter préjudice aux droits actuels des actionnaires en ce qui concerne la gestion effective de l’entreprise »
« Nous savons que vos intentions – PORTEU de la MORANDIèRE s’adresse au ministre qui vient d’affirmer « très solennellement » quel’ordonnance « ne portera aucun préjudice aux droits des actionnaires » – sont loyales à l’égard des actionnaires . (Exclamations sur les bancs des socialistes)Nous avons d’ailleurs la certitude que vous comptez respecter vos engagements . Mais pourquoi ne pas l’écrire ? »  […] Cela « rassurerait » ces « pauvres actionnaires malmenée par des années de socialisme » (Rires et exclamations sur les bancs des socialistes et des communistes : « Les malheureux I » … « Vous allez nous faire pleurer ! »)

Et le ministre de répondre :
« Comme je ne doute pas que M.Porteu de La Morandière porte quelque crédit à l’engagement du Gouvernement, je  crois que la meilleure façon de manifester ses intentions vis-à- vis des actionnaires serait de retirer, s’il le veut bien,  l’amendement. »

M. le président. Maintenez-vous votre amendement, monsieur Porteu de La Morandière?
Plusieurs députés du groupe socialiste . A plat ventre ! …. A la botte ! … II va se coucher.

L’amendement est retiré

 

4.un syndicalisme « moribond »

Pour les députés du Front national , « le préalable à toute [réforme] » serait de « remettre en question le monopole syndical » et non pas – comme lGouvernement a choisi- de « privilégier la concertation avec un syndicalisme moribond »

Selon eux, cette prise de position repose sur un « triple constat » [c’est BACHELOT qui parle].

« Premièrement, le syndicalisme traverse une crise d’identité. Il est désormais incapable de donner satisfaction aux revendications individuelles des salariés, car il privilégie les revendications collectives qui confortent les intérêts de ses permanents. (Un député RPR : « C’est vrai ! »)
De force de revendication, il est devenu force de collaboration. Enfin, les changements technologiques ont entraîné une évolution de la condition ouvrière, et l’on sait qu’on ne syndique pas les robots et qu’on ne met pas les ordinateurs en grève !  (Exclamations sur les bancs des groupes socialiste et communiste.)

Cette crise d’identité a entraîné, en second lieu, une crise du militantisme[…] Aujourd’hui, 15 p . 100 seulement des salariés sont syndiqués, dont la moitié dans la fonction publique.

Troisièmement, le syndicalisme souffre d’une crise de représentativité. Le décalage entre l’ appareil et la base est constant ; les Français ne soutiennent plus les syndicats.[…] De surcroit, la désunion syndicaleest permanente. »

 

AMBIANCE(S)

 

1. les députés FN se disent -une nouvelle fois – victimes du « mépris »

Les députés frontistes – tout en participant activement au débat d’amendement – accusent le rapporteur et le ministre [séguin] de faire preuve de « mépris »  à leur égard.
« Toutes les initiatives susceptibles d’améliorer la situation de l’emploi mériteraient, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre des affaires sociales et de l’emploi, beaucoup mieux que le mépris dans lequel vous persistez à tenir ceux qui, ici, à droite, s’attachent à faire des propositions allant dans le sens d’une véritable amélioration de la situation des Français . Je dis le mépris, car tous nos amendements sont systématiquement rejetés. »

Réponse du rapporteur :
« [Mon rejet de l’amendement] n’implique aucun mépris de ma part pour vos options, et je ne puis accepter d’être ainsi mis en cause. »
Réponse du ministre :
« Je voudrais dire à mon tour que je n’éprouve aucun mépris pour les idées que je ne partage pas ou que je rejette, ni surtout envers les hommes qui les expriment. C’est ma conception de la tolérance. »

 

2. une bizarrerie : les modalités de vote des députés

Nouveau rappel au règlement … toujours sur le même thème : les modalités de vote des députés :

« L’article 27 de la Constitution dispose :   » Le droit de vote des membres du Parlement est personnel «  . [Si] le général de Gaulle a fait mettre dans la Constitution, [c’est qu’] il a voulu écarter le régime des partis . Or la pratique qui veut qu’on puisse voter avec une clé permet aux partis de revenir en force. » [MARTINEZ]

 

Paroles échappées du texte

 « Quels excités »

M. Jean-François Jalkh . En ce qui nous concerne, nous accordons une importance prioritaire à la notion de nation . Je sais bien que c’est une vertu qui est pour vous rétrograde et cocardière . . . (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe Front national )
Un député socialiste.Qu’est-ce que cela veut dire ?
Un autre député socialiste. Rétro toi-même !
M. Jean-François Jalkh . Pour nous, il s’agit d’une vertu éminemment progressiste.
D’ailleurs, si vous me le permettez, je remarquerai qu’il est assez étonnant que ceux qui, aujourd’hui, veulent que la France soit à tout le monde, soient les mêmes qui, hier, soutenaient les individus qui voulaient que l’Algérie soit aux Algériens, l’Afrique aux Africains, le Togo aux Togolais . ..
Un troisième député socialiste. Vous dites n’ importe quoi !
M. Jean-François Jalkh. . . . surtout quand les individus en question prônaient un nationalisme violent et agressif, fondé sur le terrorisme. […] Nous n’acceptons pas que soit bradé l’intérêt national .

[à un autre moment du débat]
M. François Bachelot .Écoutez donc un peu ! Vous n’y connaissez rien, vous les socialistes I Vous avez fait trois millions de chômeurs !  Vous êtes nuls ! C’est scandaleux !
Un député socialiste.Quels excités !
M. Pierre Descaves . Ils ont cent ans de retard, mais tout de même !