II-02 : loi de finances rectificative

« Avec vous, l’espérance libérale n’est jamais assouvie !.» … C’est ainsi qu’un député FN [BACHELOT] apostrophe le Gouvernement CHIRAC. La langue est un peu crue, l’intervenant faisant appel explicitement « la contraception par l’ acte interrompu » ! Nous sommes pourtant dans un débat plutôt technique, puisqu’il s’agit d’ue « loi de finances rectificative »

Derrière ce terme – on parle aussi de « collectif budgétaire » – se cache un exercice consistant à modifier la loi de finances votée par la majorité précédente de façon à permette la mise en œuvre immédiate du programme sur laquelle la nouvelle majorité a été élue. Neuf séances y seront  consacrées du 23 au 28mai. Par définition, il s’agit de loi fourre-tout. Deux mesures ressortent du lot : l’amnistie fiscale et douanière pour les capitaux rapatriés ; la suppression de l’impôt sur les grandes fortunes.
Les députés frontistes vont s’investir à fond bien que ce ne soit pas leur domaine de prédilection.

 

AMBIANCE(s) :
« « Le Gouvernement a organisé la pagaille ! »

Nous sommes le 28. Le Gouvernement est pressé d’en finir car il  a inscrit à l’ordre du jour de l’après-midi le projet de loi relatif à la suppression de l’autorisation administrative de licenciement. Ce qui implique que la loi de finances rectificative soit votée avant. Aussi le Premier ministre a-t-il engagé la responsabilité du Gouvernement. Surprise et mécontentement  dans les rangs.
GOLLNISCH demande une suspension de séance de « quelques heures de repos qui me paraissent compatibles avec la dignité du travail parlementaire ». Le président de séance refuse. Les socialistes embraient sur la demande des députés frontistes et demandent eux aussi une suspension de séance. Le président de séance ayant refusé la suspension, les socialistes demandent que ce soit l’Assemblée qui en décide par un scrutin public. À la demande du ministre – ce qui est tout à fait inhabituel – un scrutin public a lieu ; Députés socialistes et frontistes refusent de participer au vote. L’Assemblée vote contre la suspension. Nouvelle demande. Nouveau scrutin public. GOLLNISCH demande une vérification des délégations : « Ce que nous votons n’a de valeur qu’autant que le règlement de l’Assemblée est respecté. » (Applaudissements sur les bancs du groupe Front  national.). Le président fait procéder au vote, mais sans vérification des délégations.

Bref la pagaille !
« Le Gouvernement a organisé la pagaille ! », dira un député socialistece qui -évidemment – va entraîner des protestations sur les bancs des groupes du R .P.R . et U.D.F)

Cet épisode est révélateur de la fébrilité du nouveau Gouvernement. Cette fébrilité – quoi qu’en disent les membres du Gouvernement – n’est pas lié uniquement au forcing mené par l’opposition (le Premier ministre justifiera le recours au 49-3 par l’obstruction menée par l’opposition  « pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le fond et qui sont d’ordre purement politicien ») -mais parce que la majorité est – l’expression est de DESCAVES, député frontiste- une « majorité réduite aux acquêts ».

Il convient de noter le rôle joué par le groupe Front national dans ce débat. C’est lui qui, par l’intermédiaire du rappel au règlement de GOLLNISCH, a lancé la fronde. Le même ira jusqu’à interpeller le Gouvernement sur un ton dont l’hémicycle n’est pas coutumier :
« Peut-être est-ce du au fait que je suis un parlementaire néophyte, mais je ne vois ni dans notre règlement, ni dans l’instruction générale du bureau la disposition – peut-être ai-je mal cherché ? – qui permet au Gouvernement de maintenir l’Assemblée, dont il est l’ hôte, jusqu’à preuve du contraire, en discussion pour toute la nuit ? »

Une « majorité réduite aux acquêts » …  un Gouvernement réduit à n’être plus que « l’hôte » de l’Assemblée ! Le débat précédent [II-01] qui a entériné l’enterrement de la proportionnelle – et, disent les députés frontistes -« l’assassinat du Front national » – a laissé des traces !

Pourtant – cette fois-ci – le groupe FN ne votera pas la censure ; il s’abstiendra. C’est donc qu’à ses yeux, tout n’est pas mauvais dans ce collectif budgétaire

 

AMENDEMENTS

Plusieurs amendements frontistes ne viendront pas en débat :
« Ce sous-amendement est le seul rescapé de tous ceux que nous avions déposés, car les autres ont été déclarés irrecevables dans des conditions qui ne me paraissent pas très juridiques. » [MARTINEZ]

Pour deux amendements, le groupe FN demandera un scrutin public – ce qui traduit l’importance que revêt à ses yeux ces amendements. Il s’agit :
– de l’amendement n°71 (réduction des droits d’incorporation au capital des réserves) ;
– – de l’amendement n°56 ( suppression d’une déduction fiscale dont bénéficient les parlementaires  ).

Ce dernier amendement mérite que l’on s’y arrête un peu.
[MARTINEZ] « C’est un amendement de bon sens. N’imposons pas des taux d’imposition sur le revenu à 65 p . 100, des rectifications d’office, des taxations d’office, un arsenal normatif épouvantable, alors que nous-mêmes ici, nous nous en dispenserions .
Chacun de nous connaît la nuit du 4 Août, mais le jour ne s ‘ est jamais levé, c’est-à-dire qu’on n’a jamais mis fin aux privilèges . Et là, il y en a un. Nous, nous pensons que, peut-être, ça pourrait être le début de la fin de ce système de privilégiature, de nomenklatura, d’establishment dont les membres s’accordent des avantages fiscaux en matière d’impôt sur le revenu, alors que l’employé de Vénissieux, celui de Pechiney – messieurs de la gauche – le cadre supérieur qui travaille, le médecin, l’artisan, le commerçant n’en bénéficient pas . Il n’est pas possible de maintenir de tels privilèges. 
[…]
Certains parlent constamment de morale . Eh bien, j’attends de les voir, dans quelques instants, mettre fin à leurs privilèges. Ainsi, nous supporterons les difficultés de cet impôt sur le revenu et nous serons très vite convaincus de la nécessité de le supprimer ». (Applaudissements sur les bancs du groupe Front national /R .N.].)

De nombreux amendements feront l’objet d’un rejet par un vote ordinaire (à main levée):
– amendement n°90 (réduction du taux de T .V .A . pour les recettes réalisées aux entrées des premières représentations des revues à grand spectacle)

– amendement n°75 (déductibilité, pour le déclarant en douane, de la T.V.A. qu’il a payée à la place de l’importateur qui ne l’a pas remboursé)
– sous-amendement n°104 (extension de la garantie des contribuables en cas de vérification fiscale).
– amendement n°79 (taux réduit de T.V.A. applicable aux fournisseurs de presse (« Cela est très important surtout pour les petites publications, dans les petites communes. »)

Certains amendements seront retirés (ou non soutenus):
– amendement n°77 (taux réduit de T.V.A. applicable aux gains de courses réalisés par les entraîneurs pour les chevaux dont ils sont propriétaires !!! ).
– amendement n°55 (réduction des crédits des services du Premier ministre affectés à la troisième voie d’accès a l‘E.N.A).

Vis-à-vis de la majorité, les députés frontistes inaugurent de nouvelles stratégies :
– tantôt  ils reprennent des amendements défendus par des députés de droite et refusés par le Gouvernement
(L’exemple le plus frappant est celui d’un amendement  présenté par debré – Michel- ayant pour objet de faire en sorte que la fiscalité ne soit pas plus lourde pour les ménages mariés que pour les ménages en concubinage ; malgré sa notoriété,  debré est contraint de retirer son amendement. Mégret le reprend. Vote négatif de l’Assemblée : « C’est lamentable 1 Debré torpillé par les gaullistes ! »)
– tantôt députés frontistes et député(s) de la majorité présentent des amendements identiques
( ce sera en particulier lorsque SAVY/RPR et PIAT/FN demanderont une réduction du crédit du budget de la santé correspondant aux dépenses induites par l’I.V.G. / cette partie du débat fera l’objet d’une chronique spécifique : II-03 : de l’ « objection de conscience en matière d’I.V.G. »)

 

AU FOND

Que retenir de cet inventaire – indigne de Prévert ! ? Plus précisément, que retient le groupe Front national de ce projet … et de ce débat ?

1) « II y a des éléments positifs :
suppression de l’impôt sur les grandes fortunes ;
diminution à dose homéopathique des taux de l’impôt sur les sociétés ;
abaissement des seuils. »
 [MARTINEZ]

2) Il s’agit d’un « projet d’ un petit gabarit qui traduit une politique du même acabit »[id.].
« Vous, vous représentez le gouvernement des demi-mesures
. (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe Front national [R.N.].) D’ailleurs, vous gouvernez même à moitié puisque vous partagez l’exécutif avec le Président de la République . Bref, tout est de moitié. […] Parfois, vous paraissez un libéral, d’autres fois, vous ressemblez à un dirigiste, on ne sait pas très bien. » [le même]

3) Ce n’est pas avec un tel budget que l’on va rétablir les grands équilibres

« La lutte contre l’inflation ne constitue qu’un vœu du Gouvernement, puisqu’elle ne s’appuie sur aucune mesure concrète que nous aurions à voter. J’espère seulement, monsieur le ministre, que vous ne céderez pas aux pressions démagogiques de la syndicratie auxquelles vous devrez nécessairement vous opposer si vous ne voulez pas rétablir la course infernale entre les salaires et les prix . » [DESCAVES]

« La restauration des grands équilibres à laquelle vous vous référez aurait dû se traduire par une réduction significative du déficit. Tel n’est pas le cas. » [le même].

« Vous vous proposez enfin de réduire le poids de l’État sur l’économie, mais nous devons, hélas ! constater que vous ne le faites pas.  […] Vous ne faites aucune proposition de nature à réduire ces prélèvements devenus insupportables. » [le même].

4) « Le plus important, ce n’est pas tellement ce qui se trouve dans votre projet, c ‘ est ce qui ne s’ y trouve pas et qui devrait s’y trouver. » [MARTINEZ]

Au fil des interventions, il est fait référence :
– à la nécessité de réviser l’assurance-chômage
« Les travailleurs actifs de notre pays ne pourront pas faire face indéfiniment à ces transferts croissants de chômeurs qui nous viennent du tiers monde ou du quart monde. »/ DESCAVES] ;

– à la relance de la « politique budgétaire de la famille »
« Il fallait engager la guerre des berceaux » … « Nous attendons toujours le printemps budgétaire de la natalité, ou le printemps budgétaire de la France, ou de la famille, si vous préférez. » /MARTINEZ

– à la mise en place d’une commission chargée de « porter le fer dans la plaie qui suppure et s’élargit depuis vingt ans sous l’impulsion de vagues successives de technocrates n’ayant jamais mis les pieds dans une entreprise si ce n ‘est pour la mettre en difficulté, voire à mort » . La « plaie » … c’est de la « complexité de la législation fiscale française ».
« Avez-vous songé un seul instant au désarroi et à la peur du commerçant, de l’artisan ou du dirigeant d’une petite entreprise qu’ un vérificateur vient agresser dans son atelier ou dans sa boutique ? »

– à la « nécessité d’exonérer de l’impôt sur le revenu les 5 millions de foyers fiscaux les plus modestes »
« Ce n’était sans doute pas non plus un travail inhumain que de trouver dix milliards d’économies supplémentaires afin de supprimer l’impôt sur le revenu des cinq millions de foyers fiscaux les plus modestes, les plus dignes d’intérêt, ceux pour lesquels nos collègues socialistes ou même communistes n’auraient pas pu vous accuser de faire des « cadeaux aux riches« . Pour ces dix millions de citoyens, soit le tiers de ceux qui sont imposés, pensez au grand vent de liberté qui aurait soufflé : plus de déclaration à faire, plus de crainte d’erreurs ou de contrôles. »/ DESCAVES

 

Et pour clore ce mini programme électoral, MARTINEZ propose de recourir au référendum :
« Selon la Déclaration des droits de l’homme : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes. la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »  Le référendum fiscal, le référendum budgétaire, c’est une possibilité qui figure dans nos textes depuis deux siècles, sans parler de l’article 11 . L’ organisation des pouvoirs publics, c’ est d’abord l’organisation budgétaire. »

 

Paroles échappées du texte

Au lecteur qui aura trouvé un peu aride cette chronique, je m’en vais proposer une fin plus décoiffante. Mais – au final – il n’est pas sûr que ledit lecteur n’aurait pas préféré en rester là, plutôt que d’entendre les propos « obscènes » qui vont suivre. ( J’emploie le mot « ob-scène » au sens étymologique du terme : « qui ne devraient pas être tenus sur la scène [de l’Assemblée] » !)

C’est MARTINEZ qui est à la manœuvre … tout professeur d’Université qu’il est !

 « Les fonctionnaires constituent probablement la seule espèce du règne animal, avec les escargots et les grenouilles, à se reproduire par parthénogénèse : si on laisse un fonctionnaire dans une pièce, l’année suivante ils sont deux. (Rires sur les bancs du groupe Front national [R.N.].) La progression est exponentielle. »

« Vous êtes une espèce de gouvernement d’androgynes économiques et l’on ne voit pas très bien quelle est votre sexualité idéologique . Parfois, vous paraissez un libéral, d’autres fois, vous ressemblez à un dirigiste, on ne sait pas très bien. »

« Je veux bien que vous soyez favorable au concubinage, monsieur le ministre, d’autant que, politiquement, vous le pratiquez sous la forme de la cohabitation, mais passons ! » (Sourires sur les bancs du groupe Front national [R.N.] et sur divers bancs du groupe U.D.F.)

« Je dois reconnaître, monsieur le ministre, que vous avez une politique de la famille : vous accordez une prime de un milliard de centimes pour l’allaitement – plus exactement pour les vaches qui allaitent, c’ est le seul ennui. Comment, vous qui refusez toute discrimination entre nationaux et non-nationaux dans la politique de l’emploi, vous en acceptez une selon que l’ on allaite sur deux pattes ou sur quatre pattes !  

Et ne me dites pas que les femmes n’ont qu’à se mettre à quatre pattes pour bénéficier de la prime d’allaitement en faveur des vaches !  (Rires sur les bancs du groupe Front national [R.N.].) Non, ce n’est pas raisonnable voyons. Moi, je veux bien le prendre en guise de boutade . Mais quand même !»

« Dans la fécondité libérale, vous êtes en quelque sorte partisan de la contraception par l’ acte interrompu : vous n’allez jamais jusqu’au bout ! Avec vous, l’espérance libérale n’est jamais assouvie . Vous n’achevez jamais ce que vous avez commencé. »

 

Incroyable ! mais authentique : toutes les citations sont extraites du Compte-rendu intégral de la séance du 23 mai 1986 !