Le Front national a-t-il changé ? Telle est la question qui sous-tend ces rétro-débats [le pourquoi et le comment]. Nous ne sommes qu’au début d’un long parcours, mais on peut déjà mettre en évidence quelques pistes de réflexion et de discussion.
1) Répondre à la question posée implique de situer ces rétro-débats dans le contexte particulier de la (première) cohabitation.
2) Si l’on met de côté (provisoirement) les thématiques traditionnelles du FN (préférence nationale, immigration, politique familiale …), ce qui frappe d’emblée , c’est la défense d’un (ultra) libéralisme. Or, sur ce point, le discours a changé.
3) Cette première – et unique, pour l’instant – expérience d’un groupe parlementaire Front national » amène inévitablement à se poser la question : un tel groupe est-il compatible avec le fonctionnement des institutions et le déroulement normal (ordinaire) des débats.
Les premiers débats dont je viens de rendre compte apporte des éclairages sur cette question (lesquels éclairages ne sont pas forcément ceux auxquels on s’attendait) ?
4) Y a-t-il un « style » Front National ? De quoi ce style est-il porteur ?
Remarque. Il s’agit ici d’un résumé : le lecteur qui voudra approfondir (ou vérifier le bien-fondé de ce que j’avance) se reportera aux chroniques indiquées entre crochets.
1) le contexte de la (première) cohabitation
Les élections de mars 1986 provoquent un changement de majorité : 145 RPR + 129 UDF + 14 divers droite ( + 35 députés FN). MITTERRAND nomme CHIRAC Premier ministre : c’est le début de la cohabitation.
Le FN considère ;
a) que cette majorité n’en n’est pas vraiment une : c’est une « majorité bikini » [I-01]
b) que la vraie majorité est une majorité plus large : c’est la « majorité antimarxiste » dont le Front national fait partie – et même plus, car il en est « l’aiguillon », la « conscience politique » [I-06]
La seule véritable leçon de ces élections, c’est – aux yeux des députés FN, le large refus du « socialisme » et de « l’étatisme » ;
c) que les premières décisions prises par la majorité « gouvernementale » sont bien en-deçà des mesures annoncées dans la « Plateforme » électorale. Bien plus, l’agenda parlementaire ne respecte pas les « priorités » des Français [I-01].
Pour preuve : le seul texte mis en débat pour l’instant est un texte habilitant le Gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social (dénationalisations, participation …)
d) que, si le Gouvernement ne va pas lus loin dans l’application de son programme, c’est parce qu’il mise sur un « Yalta social » [I-06] alors que les députés frontistes considèrent que le syndicalisme est « moribond » [I-04]
De là découle la stratégie du groupe FN : « Nous nous sommes efforcés, depuis le début, de dénoncer avec réalisme les insuffisances et les ambiguïtés du projet . Nous n’avons jamais voté pour autant un amendement socialiste ou communiste. En revanche, quand cela nous paraissait bon pour le pays, nous avons voté certains articles, amendés ou non, de votre texte. » [I-02_le refus des ordonnances CHIRAC-BALLADUR]
Lors du vote sur la motion de censure, les députés FN refuseront de participer au vote [I-06_NI censure NI soutien au gouvernement CHIRAC-BALLADUR]
2) de la problématique ultra-libérale du Front national 1986
Les députés FN ne manquent aucune occasion de mettre en avant la thématique de la « préférence nationale » – même si cela ne relève pas directement du débat [I-03].
Mais leur cheval de bataille en ce début de législature, c’est le « renouveau libéral » qui, en faisant sauter les « carcans étatique, financier, syndical », permettrait d’opérer une « rupture radicale » avec « l’étatisme »
Ce « renouveau » implique moins de contrôles [I-03] , une révision de fond du code du travail ( avec, en particulier une refonte – voire une suppression – des « seuils » [I-03]). La tonalité des nombreuses interventions dans ce domaine n’est pas très éloignée de celles qui structurent les débats actuels de pré-présidentielles.
Par contre il est un thème qui fait un peu « rétro » : le « capitalisme populaire » [I-04] BALLADUR voulait donner une coloration « populaire » à la participation ; mais les députés FN montrent à l’envi qu’il y a loin des idées à la réalité et que seules leurs propositions seraient cohérentes et permettraient une mobilisation des Français (qui, selon eux, fait défaut)
3) de l’existence et du fonctionnement du groupe parlementaire « Front national/ Rassemblement national »
La proportionnelle aidant, le Front national a pu mettre sur pied un groupe parlementaire conséquent ( 35 membres) et très organisé : ils participent à tous les débats, défendent des amendements précis ( pratiquement toujours en rapport avec le débat).
Le groupe n’est pas homogène [groupe FN à l’Assemblée 86-88]. S’y côtoient des vétérans ( dont certains ont fait partie de l’OAS) et des nouveaux venus issus de professions libérales, universitaires, médicales, juridiques (il y a quelques chefs d’entreprise). Cette ouverture se retrouve dans la dénomination même du groupe (« Front national/ Rassemblement national ») Mise à part une défection (CHAUVIERRE), il ne semble pas y avoir – à ce stade – de conflits au sein du groupe. Il faut dire que LE PEN – souvent présent dans l’hémicycle en ce début de législature – veille à la bonne marche des troupes.
Comment allait se passer cette autre forme de cohabitation avec les députés tant de la majorité que de l’opposition ? Cela commence mal : les députés communistes quittent l’hémicycle lors de la première intervention de LE PEN.
À plusieurs reprises, on entendra des phrases du genre « Quels excités ! » [I-04] … « S’ils pouvaient se retirer sous leur tente ! » [I-05] … « Partez et ne revenez plus ! » [I-06] -…
En réaction les députés frontistes feront part de leur « frustration » [I-03] . Ils se diront « victimes du mépris » [I-01 / « une mise en scène de victimisation »].
Ils n’auront de cesse d’affirmer qu’ils sont des « députés à part entières ». Et même des députés plus zélés que d’autres : ils multiplieront les rappels au règlement [I-06] pour critiquer les délégations de vote, l’absentéisme ‘ particulièrement important malgré les enjeux de la cohabitation ( ou « à cause de » ? ) Ils s’opposeront au principe même des ordonnances surtout quand elles s’accompagneront du recours au 49- 3 [I-06 / le « hold-up constitutionnel »]
On trouvera même – en particulier dans les interventions de LE PEN -un plaidoyer pour la « reconquête prérogatives du Parlement » [I-01]
Position de fond ou stratégie opportuniste ?
Il faut dire que le groupe FN est un groupe en sursis car le gouvernement CHIRAC s’apprête à supprimer la proportionnelle. Or sans la proportionnelle, le Front national ne peut qu’espérer glaner quelques sièges par ci par là. Le groupe FN n’a donc que deux ans pour faire preuve de sa « respectabilité » et de son sens des « responsabilités »’
4) du « style » Front national
Au vu de ces premiers débats, il y a incontestablement un « style » FN à l’Assemblée.
La déclaration politique du groupe [01] fait état de « liberté de ton » et de « refus des conformismes ». Cela peut se manifester par des attaques ad hominem – qui visent surtout des anciens ministres de MITTERRAND (AUROUX [I-05] / JOXE [I-06]) Voire – carrément sur le mode de l’insulte – des personnalités extérieures à l’assemblée, responsables syndicalistes en l’occurrence (MAIRE/ KRAZUCKI/ BERGERON [I-06]
Le « style FN » – le dernier exemple est là pour le prouver – c’est avant tout la recherche systématique de l’écart de langage, de l’outrance verbale (voir les références au « SIDA politique » [01] … à l’inceste » [I-03] …à des « accouplements » contre nature [I-06] … au mongolisme [I-06] …etc.
Tout cela contraste avec l’affirmation du Parlement comme « endroit privilégié où l’on parle, où l’on discute »[LE PEN} I-01 ou avec des phrases telles que « La présence du Front national est un facteur de paix civile » STIRBOIS.
Voilà donc jetées sur le papier quelques idées.
J’espère qu’elles permettront :
– à ceux qui ont lu les six premières chroniques de remettre en perspective des analyses (qui suivent la chronologie : c’est le principe même des « rétro-débats »)
– à ceux qui ne les ont pas lues ( ou qui en seulement lu des passages) de les lire en entier.
Il n’y a pas urgence ( comme je l’ai écrit dans un: « Qui veut voyager loin ménage sa monture !) …