1) l’attitude des députés FN au sein de l’Assemblée ; 2 et 3) positionnement du groupe FN par rapport à la majorité RPR/UDF ; 4) rapports du FN avec la gauche ; 5) l’objectif d’une « Restauration » nationale ; 6) la France de 1986 vue par le FN (une France décadente qui doit faire face – avec le terrorisme – à une troisième guerre mondiale qui ne dit pas son nom).
1) Quand j’ai commencé ce travail, je m’attendais à trouver un groupe Front national très agressif, plus disposé à faire éclater le cadre de l’Assemblée qu’à participer au débat lui-même.
Je dois dire que ce n’est pas le cas. Certes, il y a des éruptions [II-05_un exemple du style Front national] ; mais, dans l’ensemble les députés frontistes participent activement au débat, expliquent longuement leur position, proposent des amendements en nombre raisonnables. Le groupe est très organisé : à chaque séance, un porte-parole – qui change selon les thèmes ; quand le sujet est d’importance, on envoie les ténors (LE PEN, STIRBOIS, GOLLNISCH…).
Ces derniers intervenants défendent assidument les prérogatives du Parlement [II-01_l’ultime combat pour la proportionnelle] et multiplient les rappels au règlement pour dénoncer les mauvaises habitudes de leurs collègues : absentéisme, délégations de vote systématiques, pratiques d’obstruction …
De là à considérer que le Front national est un modèle de démocratie, il y a un pas que je ne franchirai pas. Il faut considérer que, pour le Front, la stratégie l’emporte, le plus souvent, sur le fond. Or, en 1986, nous sommes dans une situation est très particulière : la majorité du groupe est néophyte ; et surtout, le groupe est en sursis -puisque la séquence débute par la suppression de la proportionnelle et le retour au scrutin majoritaire [ » Ave Caesar, morituri te salutant!« / II-01_l’ultime combat pour la proportionnelle]
Dans ces conditions, les députés frontistes n’ont – si l’on peut dire ! rien à perdre … puisque tout est perdu d’avance. Cela leur laisse une marge de manœuvre supérieure à celle des autres députés souvent tentés de mettre au premier plan leur réélection ( deux ans, c’est vite venu !) Pour le groupe « Front national/Rassemblement national » – telle est l’appellation officielle -, l’Assemblée est avant tout une tribune.
2) Le positionnement du groupe FN hors de la majorité renforce cette marge de manœuvre.
Il semblerait que LE PEN ait été tenté de rentrer dans la majorité ; mais il se serait heurté à un refus clair et net de la part de CHIRAC. Donc, pas la peine de se gêner : on peut dire ce que l’on pense. Et cela d’autant plus facilement que les points de vue défendus par le Front national rejoignent des éléments programmatiques contenus dans la plateforme électorale RPR/UDF. Alors, reviennent comme des leitmotivs – dans pratiquement tous les débats – des phrases telles que : « pas assez vite » … « pas assez loin »… « trop timide. » … etc. [« Avec vous, l’espérance libérale n’est jamais assouvie. » II-02_loi de finances rectificatives] .
Lorsque les députés FN font de telles critiques, on sent qu’elles sont partagées par un certain nombre de députés de la majorité. Mais cette collusion ne dépasse pas le stade des exclamations : pas question de voter comme le Front national ! (Il y a eu quelques « ratés » au début, mais visiblement les états-majors ont durci la consigne.)
Les députés de l’opposition – quant à eux – retiendront surtout la collusion. Pour eux, la majorité laisse un large espace de parole au Front national et, à certains moments du débat, cela donne l’impression que les députés frontistes sont les porte-paroles d’une majorité qui assure une présence minima (et peu enthousiaste) dans l’hémicycle.
3) Cela dit, il y a des lignes de fracture entre la majorité et le Front national. Ces lignes de fractures témoignent du substrat idéologique et programmatique du Front.
Ce sont (pour la période qui nous occupe ici) :
– la préférence nationale [II-02];
– la peine de mort « clef de voûte de la société et de son système de valeurs » [II-08] [II-09]
On pourrait ajouter le refus de l’IVG ; mais, nous avons vu que des députés de droite (dont DEBRE) défendaient la même position que le Front national [II-03_de l' »objection de conscience en matière d’I.V.G. »]
Quant à la proportionnelle, il est vrai que ce fut un casus belli insurmontable ; mais, dans ce cas, les intérêts stratégiques sont prédominants : c’est la proportionnelle qui a permis au Front national de constituer un groupe à l’Assemblée.
4) Le positionnement par rapport à la gauche est d’une nature toute différente. Il s’agit d’un affrontement radical, permanent. « Ils ne peuvent pas se voir ! » serais-je tenté de dire. Les uns comme les autres ne manquent aucune occasion de « s’empailler ».
Sur ce front, les députés FN sont beaucoup plus actifs que ceux de la majorité. Tant et si bien que ces derniers sont très heureux d’entendre les critiques sans concession des députés frontistes.
Pour le Front national, la majorité est empêtrée dans la cohabitation (mégret parle du « jeu byzantin de la cohabitation » … MARTINEZ de « concubinage ». Il y a là une expérience fondatrice de ce qui deviendra par la suite « l’État UMPS ».
5) Ce qui frappe dans les débats de cette période, c’est le fait que le Front national remet en cause non seulement des politiques mises en place par la gauche, mais aussi des politiques défendues par la droite à une certaine époque.
C’est le cas de l’I.V.G..
C’est le cas de la politique pénale antérieure à l’arrivée de la gauche au pouvoir [II-09_de l’application des peines et de la « décadence »]
C’est le cas de l’autorisation administrative de licenciement [II-04]
Dans le cas du régime de la presse [II-07], ce sont les dispositifs issus de la Libération qui deviennent la cible des députés frontistes au même titre que les lois anti-Hersant votées par les socialistes.
Si j’ai choisi de mettre en évidence ce qui fut un hors-sujet dans le débat sur l’autorisation administrative de licenciement – – II-06_un débat impromptu sur les « véritables origines du fascisme » – ce n’est pas pour la dimension « scénographique » de cette dispute ; c’est pour mettre en évidence le fait que ce groupe – bien qu’en en sursis – a une vision au long terme. Pas question de s’enfermer dans les consensus mous issus de la Résistance et de la Libération. Il faut remonter plus loin dans l’Histoire pour fonder le « renouveau »
[RAPPEL I-05] Nous vous disons, nous : nés en 1940, Pétain ou de Gaulle, ce n’est plus notre affaire ! Un bol d’air considérable nous arrive . Nous n’allons pas réfléchir dans le cadre d’une économie d’assistés, de post-guerre un cadre que vous avez imposé jusqu’à ces années-ci ! » [BACHELOT]
Il apparaît que cette « rénovation » est bel et bien une tentative de « restauration » d’un ordre ancien. ( voir, à titre d’exemples la vision de l’entrepreneur développée dans II-04_la fin de l’autorisation administrative de licenciement ) ou la vision « sacerdotale » du journalisme [II-07].
6) Pour terminer – il y aurait bien d’autres choses à dire, mais ce point-séquence vise seulement à donner l’envie d’aller lire les chroniques elles-mêmes et, éventuellement, de soumettre à la discussion ce qui, à ce stade, relève du simple point de vue d’un quidam qui découvre au fur et à mesure des débats, les paradoxes, les continuités et les aller-retour d’une doctrine éminemment perverse – je décrirai la France vue des bancs Front national :
À l’extérieur, il s’agit d’une France en guerre … et qui ne le sait pas – ou du moins qui fait comme si elle ne le savait pas, puisqu’elle ne prend pas les mesures adaptées à la situation [« Le terrorisme, c’est la guerre. » II-08_terrorisme, peine de mort et sûreté de l’Etat]
À l’intérieur, il s’agit d’une France malade et décadente qui refuse de défendre « nos valeurs de civilisation » [« Notre société souffre d ‘ un cancer qui la ronge de l’intérieur, c ‘est la décadence. »II-09_de l’application des peines et de la « décadence »]
Les coupables : les sciences humaines … les doctrines marxisantes … les « sectateurs » de la gauche » … et la « syndicratie » !
L’attitude face aux syndicats est l’un des clivages les plus marquants entre le Front national et la majorité RPR/UDF. Quand le Gouvernement veut prendre le temps de mettre les syndicats face à leur responsabilités et reporte à cet effet la mise en application du nouveau régime de licenciement [II-04], le Front national parle d’un « Yalta social » [I-06]. Pour le groupe FN en effet, les syndicats sont les « pires ennemis » et ce n’est certainement pas à eux de « faire la loi ».
L’enjeu -ai-je écrit [II-04/ AU FOND/ 5], c’est de savoir qui défend vraiment les salariés. Il apparaît donc que, dès cette époque, que- le FN a en vue la conquête de l’électorat ouvrier laissé en déshérence par les communistes : « Un jour, le peuple de France comprendra qui défend l’emploi et qui défend les Français! »