2003/retraites : chronique du débat au jour le jour

us sommes en 2003. La droite est au pouvoir.
Jean-Pierre Raffarin est Premier ministre ;
François FILLON est ministre des affaires sociales, en charge de la réforme des retraites

Lire ci-après
j01 ( 10 juin )
FILLON  : « sauver le régime par répartition »

A suivre :
page 2/ j02 ( 11 juin 2003)
critiques et propositions de la gauche

page 3/ j03 ( 12 juin )
une droite enthousiaste et volontariste

page 4/ j04 ( vendredi 13 )
les chevaux de bataille du groupe socialiste

page 5/ j05 ( 14 juin )
une affaire de « dosage » et d’« équilibre » ?

page 6/ j06 ( 16 juin )
ce que « répartition » veut dire

page 7 / j07 ( 17 juin )
Martine Billard  défend ( au nom des Verts ) quatre amendements portant sur les financements alternatifs

page 8/ j08 ( 18 juin )
l’offensive des députés communistes

page 9/ j09 ( 19 juin )
incidences de la réforme pour les femmes

page 10/ j10 ( 20 juin )
Comité d’orientation et droit à l’information

page 11/ j11 ( 23 juin )
les mesures en direction des « seniors »

page 12/ j12 ( 24 juin )
« surcote » et « carrières longues »

page 13/ J13  25 juin )
la pension de réversion : « pension » ou « allocation » ?

page 14/ J14 ( 26 juin )
la question des avantages familiaux

page 15/ j15 ( 27 juin )
retraites et fonction publique (1)_les principes

page 16/ j16 ( 30 juin )
retraites et fonction publique (2) : les mesures concrètes

page 17/ j17 ( 1 juillet )
les mesures en direction des non salariés

page 18 / J18 ( 2 juillet )
épargne, fonds de pension et capitalisation

page 19/ j19 ( 3 juillet )
existe-t-il une alternative ? (explications de vote)

j01 ( 10 juin )
FILLON  : « sauver le régime par répartition »

«  Sauver nos retraites » … « Sauver le régime par répartition » …
Jean-Pierre  Raffarin martèle : « Notre réforme est une réforme de sécurité nationale, qui va sauver le régime par répartition (sur les bancs de la gauche : « C’est faux ! » )  et qui va sauver nos retraites. »

Car, tel est, dira à son tour François Fillon ( ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité), « l’esprit » qui anime cette réforme » :
« La France n’a d’autre choix que de se retrousser les manches et de développer ses atouts qui restent nombreux. Nul ne doit s’y tromper : les risques du déclin existent. Les instruments du sursaut aussi. C’est à nous de choisir ! » ( Sur les bancs de la gauche : « Le déclin, c’est vous! » ) 

Ce(s) « choix » doit (doivent) tenir compte du fait que cette « réforme » « traverse les pratiques culturelles, économiques et sociales de notre pays. » «  Elle est le reflet de notre histoire et le miroir de notre société. Elle révèle à la fois les nœuds de la France et les défis qu’elle doit surmonter. »

Le ministre organise son exposé autour de quatre « nœuds », de quatre « défis » : «  La question des retraites, c’est celle du vieillissement de la France, c’est celle du travail, celle de la justice, c’est enfin celle de la conciliation entre le collectif et l’individuel. » ( Sur les bancs de la gauche : « Tout ce que vous traitez mal ! »)

Retour sur ces « questions ».

 «  La question des retraites …
… c’est celle du vieillissement de la France. »

 Le ministre : «  [Le] basculement démographique pose un enjeu politique majeur : faut-il répondre collectivement ou individuellement au défi du vieillissement ? Faut-il continuer à socialiser la question des retraites par le biais de mécanismes contributifs universels (« Oui ! » sur les bancs du PC. ) ou faut-il au contraire organiser la dévolution progressive vers la préparation individuelle de sa retraite ?     C’est le débat entre capitalisation et répartition. » 

Ce débat – François Fillon est catégorique – « le Gouvernement l’a tranché ».

« Le projet de loi qui vous est soumis n’a qu’un seul but : assurer la viabilité et la sécurité de la répartition. (Applaudissements à droite ; « C’est faux ! » sur les bancs de la gauche.)  […] « Ce choix n’est pas celui de la facilité, mais au contraire celui de l’exigence, car sauver la répartition exige d’imposer l’intérêt général. Cela commande de rester ferme face à la montée des intérêts catégoriels. C’est cette difficulté qui explique les renoncements de ces dernières années sur le dossier des retraites.
(Un député de droite : « Et la lâcheté de certains ! » )

« La question des retraites …
… c’est celle du travail. »

 Le ministre :
« Nous avons choisi de privilégier l’augmentation du taux d’activité, et donc de la durée de cotisation, pour combler le déficit de nos régimes par répartition à l’horizon 2020. Telle est la clef de voûte du projet de réforme : demander à tous de travailler un peu plus pour assurer à chacun un haut niveau de retraite sans accroître la pression fiscale qui est déjà l’une des plus élevées d’Europe
(Un député de gauche : « Ce n’est pas vrai ! »)
Ce choix prend le contre-pied de ceux de la majorité précédente sur la question du travail. Nous disons aux Français que, en travaillant toujours moins, ils condamnent leur modèle de protection sociale. »
(Applaudissements sur plusieurs bancs de la droite ; Exclamations à gauche : « Démagogie ! Ils produisent plus ! »)

Les exclamations ne font que renforcer la détermination du ministre.

Bis repetita :

« Nous leur disons qu’il n’y a pas d’autres choix que de travailler plus et mieux si nous voulons préserver nos acquis sociaux et notre position dans le monde. (Applaudissements à droite.)

Nous leur disons tout simplement qu’il n’y a pas de réussite sans efforts. (Un député de gauche : « C’est scandaleux ! »)

Le projet de loi « repose sur un mécanisme simple : maintenir inchangé à l’horizon 2020 le partage actuel entre vie active et retraite. »

Le ministre explicite :
 « – Le ministre.   Le temps de la retraite continuera à augmenter et à bénéficier des gains d’espérance de vie, mais le temps de vie active permettant de financer les retraites devra augmenter aussi.
– Un député PC. Le chômage aussi !
– Un autre député PC. Vous savez bien que ce n’est pas comme ça que ça se passera ! – Le ministre.   La stabilisation du rapport entre temps de travail et temps de retraite nous conduira à une durée de cotisation de quarante et un ans en 2012.
– Le premier député PC. Et la rémunération du capital, on n’en parle pas ! »

Cela nous amène à la question des « seniors » et, plus précisément,  de l’âge auquel ils quittent effectivement leur travail. Sur cette question, le ministre fixe un objectif (« réaliste » !) et propose un « marché » aux entreprises … lequel marché ( c’est ce que nous apprendra la suite … mais cela était prévisible dès cette époque !) relèvera plus du « pari » … voire même de la magie, au dire de députés de l’opposition.

« – Le ministre.  C’est également la raison pour laquelle nous avons fixé un objectif réaliste tendant à faire passer l’âge moyen de cessation d’activité de cinquante-sept ans et demi aujourd’hui à cinquante-neuf ans en 2008. La France a cinq ans pour préparer ce premier rendez-vous.
– Un député PC .
Merlin l’enchanteur !
(Exclamations à droite : « Et vous, vous êtes la fée Carabosse ! » … « Vilaine sorcière ! »  )
– Le ministre.   En privilégiant l’allongement de la durée de cotisation pour assurer le financement des retraites, c’est en quelque sorte un marché que nous leur proposons : …
– Le député PC . Avec Seillière, c’est un marché de dupes !
Le ministre.  … si les entreprises ne favorisent pas cette mutation des esprits et des pratiques en faveur de l’emploi des seniors, il n’y aura pas d’autre choix qu’une hausse drastique de leurs charges pour financer les retraites.
(Applaudissements à droite.)

Pour cela, affirme François Fillon, « il est désormais essentiel de changer le regard des entreprises sur les salariés de plus de cinquante-cinq ans, mais aussi de changer le regard qu’ils portent sur eux-mêmes. »

Mais cela ne saurait suffire. « Il faut aller encore plus loin. », enchaîne-t-il ; ce qui veut dire qu’il faut s’intéresser à ( prendre en compte ?) la question des conditions de travail  (eh oui ! quelle actualité dans les propos du ministre … à tel point que notre député PC va le traiter de « gauchiste » !)

« – Le ministre. S’il est crucial que les Français prennent conscience qu’ils doivent travailler un peu plus pour financer leur modèle social:  Jusqu’à soixante-dix ans !
 – Le ministre. … encore faut-il que les conditions mêmes du travail ne les en détournent pas. Force est de constater qu’elles se sont singulièrement dégradées.
– Un député UMP. A cause des 35 heures !
– Le ministre.  Toutes les enquêtes menées ces dernières années sur le climat social dans les entreprises attestent la montée d’un sentiment de fragilisation des salariés.
Un député PS.Quelle révélation !
– Le ministre.  L’environnement concurrentiel et ses exigences de compétitivité, la montée des cadences par le passage aux 35 heures (« Eh oui ! » sur les bancs de la droite. ), la baisse continue de la représentation syndicale, la crainte du chômage, bien sûr, et les inquiétudes sur l’avenir, tout cela peut avoir pour effet un mal-être au travail et une perte de confiance dans le sens même du métier.
–  Un député PC.  Gauchiste ! […]
Le ministre.  Le Gouvernement est naturellement à l’écoute de ce malaise.
–  Un autre député PC.  Adressez-vous au patronat ! »

« La question des retraites …
c’est celle de la justice. »

 Le ministre. :
« La question des retraites a aussi mis en lumière quelques injustices profondes. Derrière les grands et beaux mots « solidarité  » et  » répartition  » , il y a donc des réalités avec lesquelles le conservatisme s’arrange toujours !  Le statu quon’est pas l’allié de la justice, mais souvent celui de l’injustice. (Applaudissements à droite.) ( Un député PC : « Il faut taxer les revenus et les bénéfices des entreprises ! ») Quelles sont ces injustices les plus flagrantes ? »

Et François Fillon d’évoquer successivement : –

« l’inégalité qui caractérise la durée de cotisation entre le public et le privé »  :
« Nul ne pourrait comprendre que la fonction publique, fer de lance de la République, soit exonérée de l’effort demandé à tous pour la survie de notre système de retraite. C’est tout le sens du rendez-vous de l’équité en 2008. (Nouveaux applaudissements à droite.)

–  « le sort réservé aux salariés les plus modestes »:
Le ministre dit de ce sort qu’il  « a été délaissé ». Mais, ajoute-t-il, « avec la réforme, les choses changeront enfin  » : « Nous avons ouvert un droit nouveau à ceux travaillant depuis l’âge de quatorze, quinze ou seize ans : ils pourront partir en retraite à taux plein entre cinquante-six et cinquante-neuf ans. […] C’est une avancée considérable.
( Un député UMP. « Et ce n’est pas la gauche qui l’a faite ! »)

– la « pénibilité » :
« Avec ce projet, la pénibilité, difficilement mesurable et par nature variable suivant les époques, les métiers et les technologies, fait son entrée dans notre champ social. Les partenaires sociaux seront invités, dans chaque branche, à en définir les contours avant trois ans. »

Suivent quelques remarques concernant les commerçants …  les exploitants agricoles … « les familles » …

« – Le ministre.  Justice aussi pour les familles, avec le maintien des avantages familiaux,…
– Un député PC.C’est faux !
– Le ministre.  … notamment la majoration de pension pour trois enfants élevés.
– Un autre député PC.
Mais pas pour les femmes ayant travaillé ! » 

« La question des retraites …
c’est celle de la conciliation entre le collectif et l’individuel. »

  Le ministre :
«  Malgré l’attachement à l’« unicité  » de notre système de retraite, un désir de liberté s’est fait jour. Les Français sont attachés aux règles communes, mais n’en sont pas moins soucieux d’exprimer leurs choix individuels pour préparer leur retraite ».

Derrière cette double aspiration, François Fillon affirme qu’« il y a un grand enjeu contemporain», enjeu qu’il formule de la façon suivante  ( et nous avons là, sans doute, l’un des clivages les plus profonds entre la droite et la gauche) : «  Comment réaffirmer la force du collectif, tout en élargissant l’autonomie de chacun ? » «  Cet enjeu concerne l’ensemble de notre modèle social, dont la modernisation passe par une réévaluation de la responsabilité de chacun dans l’usage des droits communs. »

Concrètement – et là, nous sommes peut-être ( ?) sur un terrain (aujourd’hui, en 2010) plus consensuel – : « L’un des mérites du débat est d’avoir provoqué chez nos concitoyens une prise de conscience sur la nécessité d’anticiper, de maîtriser et d’aménager leur parcours personnel dans la perspective de la retraite.
La réforme se devait d’élargir la palette des choix. Tout en fixant un cadre commun sécurisé, nous misons aussi sur la responsabilité et sur la liberté.
[…] 
Notre réforme avance ainsi une série de mesures qui évoquent l’idée d’une
« retraite à la carte  » ,  une « carte  » cependant encadrée, car il ne s’agit pas d’échapper aux principes généraux de la solidarité et de la répartition. […]   Nous ouvrons un espace pour tous ceux qui souhaitent passer de manière moins brutale du « tout-travail  » au «« tout-retraite « .  La retraite ne sera plus le couperet de naguère !.

Et François Fillon de terminer sur une note nettement moins consensuelle : « L’accès de tous à des outils d’épargne retraite élargira l’éventail des possibilités offertes aux Français. ( Plusieurs députés PC : « Et voilà les fonds de pension ! » ) Ces outils s’ajouteront à la répartition, mais ne se substitueront pas à elle. »

Dont acte (pour l’instant !)

Pour approfondir
Compte-rendu intégral
Journaux Officiels - 2e séance du mardi 10 juin 2003
Journaux Officiels - 3e séance du mardi 10 juin 2003