2003/retraites : chronique du débat au jour le jour

J14 ( 26 juin )
la question des avantages familiaux

Avant la loi 2003, dans le calcul des retraites, les mères de famille fonctionnaires avaient droit à une année supplémentaire par enfant. Le texte en débat modifie profondément le dispositif : pour bénéficier d’une ou plusieurs années supplémentaires, il faudra désormais arrêter de travailler (en totalité ou en partie)
Pour justifier ce changement que la gauche considère comme un « recul social considérable », le Gouvernement fait état d’une décision de la justice européenne aux termes de laquelle il ne doit pas y avoir de différence de traitement entre les hommes et les femmes. « Prétexte ! », dit la gauche … pour mettre en œuvre une idée chère à la droite : une bonne mère de famille est une mère au foyer.

« bonification » ou « validation » ?

Ce jour donc, les députés débattent de l’article 27,
Ledit article vise à définir les « services effectifs » pouvant être pris en compte pour les retraites.
Il énumère un certain nombre de situations – dans le jargon, on dit de « positions » – danslesquelles les droits à pension pourront être validés quand bien même il y aurait absence d’accomplissement de services, à savoir :
« a) temps partiel de droit pour élever un enfant ;
« b) congé parental ;
« c) congé de présence parentale ;
« d) disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans.
Jusqu’à présent, les fonctionnaires – les femmes seulement – pouvaient bénéficier d’une bonification de leurs années de service à hauteur d’un an par enfant. Le nouveau dispositif supprime cette bonification pour la remplacer par une validation des périodes d’interruption ou de réduction d’activité consacrée à l’éducation d’un enfant.

«bonification » ou « validation » ?

Cela fait un moment que le débat est engagé, quand Pascal TERRASSE, porte-parole des socialistes dans le débat sur les retraites, prend la parole :.
« – P. Terrasse. Il y a un véritable problème. Il faut nous entendre sur les mots. Je voudrais reprendre ma casquette d’Ardéchois,…
D. Jacquat.Vous êtes député français, pas de l’Ardèche !
– P. Terrasse.… qui essaie de comprendre très simplement les choses et d’avoir un peu de bon sens.
« Validation«  et « bonification » ne signifient pas la même chose. Dans le premier cas, si vous arrêtez de travailler on valide les périodes où vous n’avez pas travaillé. Dans le second cas, que vous vous arrêtiez ou non, on vous donne un plus, un boni, qui vous permet dans le calcul du montant de votre retraite, de bénéficier…
J.L. Warsmann.Pas un boni : un bonus !
– P. Terrasse.Non, il s’agit bien d’un boni, c’est ainsi que ça s’appelle.
un député du groupe socialiste.Ils ne le savent pas !
D. Jacquat.J’ai déjà expliqué ça tout à l’heure ! Il faudrait écouter, monsieur Terrasse !
– P. Terrasse. Oui, mais je ne suis pas certain que le ministre nous ait expliqué ça. Et peut-être que vous-même, vous comprenez le contraire. (Exclamations sur les bancs de l’UMP. )
D. Jacquat. M. le ministre a très bien répondu. C’est une mauvaise querelle ! »

Visiblement, le « bon sens ardéchois » ne suffit pas à résoudre le dilemme. La « mauvaise querelle » en question va se poursuivre le lendemain à l’occasion de l’article 31, explicitement consacré à cette question des bonifications. En tout, cela va durer la bagatelle de cinq ou six heures !
C’est ainsi que, de temps en temps, sans que l’on sache trop pourquoi, le débat s’anime, s’enflamme parfois. Pas pour le plaisir. Pas pour faire de l’obstruction. Mais parce qu’il y a quelque chose qui ne passe pas, quelque chose qui obstrue le débat, l’empêche d’avancer, quelque chose qui fait clivage, barrage. Quelque chose d’insurmontable. Et par là même, de révélateur.
A celui qui s’interroge pour savoir où sont les lignes de friction, les lignes de fraction entre la droite et la gauche, je dirai : c’est là qu’il faut aller voir – là où « çà démange », dira un député. J’appelle cela les « abcès de fixation » (Il en va ainsi des 35 heures, de l’ISF, de l’exonération de charges pour les emplois à domicile, du travail le dimanche, etc.)

En la matière, de quoi s’agit-il ?

Pour comprendre, il faut se référer à l’an 1924 (à cette allure, on n’est pas rendu au bout de nos peines !.), année où le Parlement décide – ( eh oui ! en ce temps-là, le Parlement décidait !) – d’octroyer aux mères de famille fonctionnaires, qu’elles aient ou non interrompu leur activité professionnelle, une « majoration de durée d’assurance » – par la suite, on parlera de « bonification » – correspondant à un an par enfant.
Après la guerre – au moment de la création de la sécurité sociale -, ce dispositif a été étendu au régime général. Dans le cas des femmes non fonctionnaires, la majoration sera même portée à deux ans – comme quoi, les soit-disant inégalités ne fonctionnent pas toujours dans le même sens !

Lors donc, tout le monde est content ! …

… jusqu’à ce qu’un père de famille du nom de Griesmar …
(ne pas confondre avec « le » Geismar de 68 … il va bientôt falloir que j’arrête ces digressions, sinon le lecteur risque de se demander s’il y a réellement ici matière à chronique … Si ! si, je vous assure !) …
… ait l’idée de saisir la justice européenne sur la base suivante : « C’est moi qui ai élevé mes enfants. J’ai donc droit, comme les femmes qui ont élevé des enfants, à la bonification d’un an. » …
… laquelle justice européenne ( la Cour de justice des Communautés européennes, pour être plus précis ) considérant que la pension servie par le régime de retraite des fonctionnaires est assimilable à un salaire différé …
( Jean-Pierre DELEVOYE – qui, en tant que ministre de la fonction publique, représente le Gouvernement à ce moment du débat,expliquera que « contrairement à un salarié relevant du régime général, un fonctionnaire n’est jamais retraité. Il est ou bien salarié actif pendant sa période d’activité, ou bien salarié inactif pendant sa période de retraite. Autrement dit, il est en traitement continu. ») …
… va appliquer sa jurisprudence constante en matière d’égalité professionnelle hommes-femmes … et donner raison à M.Griesmar.

Panique dans les sommets de l’état !
Si, à l’avenir, si le gouvernement français ne veut pas être accusé de rupture du principe d’égalité , il va devoir faire en sorte que les hommes fonctionnaires qui élèvent leur(s) enfant(s) puissent bénéficier aussi de la bonification octroyée aux femmes.
Cela devrait coûter – c’est le ministre qui évoque ce chiffre – autour de trois milliards ! …

… à moins que …
… l’on ne supprime ledit avantage pour les femmes … ce qui est une façon comme une autre de rétablir l’égalité !

Dans un tel contexte – c’est le ministre qui parle – « il nous fallait réfléchir à ce qui nous paraît aujourd’hui essentiel : la liberté des mères de rester chez elles ou d’exercer une activité professionnelle. »
De là découlent les dispositions décrites ci-dessus et figurant dans le texte de l’article 27.

Le ministre donne un exemple :
« Une femme qui a eu un enfant, 37 ans d’activité professionnelle et 3 ans de période d’interruption pour élever son enfant, aura quarante ans de durée d’assurance et une retraite à taux plein. Cela signifie que le temps partiel familial, la période d’activité pour élever un enfant peut aller jusqu’à trois ans par enfant et vaut durée pleine d’assurance et droit total à une année de pension. »
… « et vaut durée pleine d’assurance et droit total à une année de pension »
… mais alors, cela ressemble fort à une « bonification » ! …
… Et c’est reparti … comme en 24 ! …
« – B. Accoyer,rapporteur. Le dispositif prévu par le projet de loi, s’il tient compte, comme les textes lui en font obligation, de la jurisprudence européenne, permet des avancées très substantielles, puisqu’il propose trois ans de bonification.
S. Royal. De validation !
– B. Accoyer, De validation, pardon !
S. Royal. Lapsus ou découverte du texte ? »
Le rapporteur lui-même considérant que c’est « déjà suffisamment compliqué comme ça » , je me dois, à mon tour, d’épargner au lecteur les multiples méandres qui dé-coulent (oh là là !) de ce que Muguette JACQUAINT appelle très justement un « glissement sémantique ».

« un recul social considérable pour les femmes »

Ce qu’il faut bien voir, disent les députés de gauche, c’est le résultat d’une telle décision :
« A la bonification automatique d’un an par enfant est substituée une validation seulement à hauteur des périodes non travaillées ou partiellement travaillées. » [D.HOFFMANN-RISPAL / PS]
« Alors que la bonification est acquise de droit, la validation ne pourra être acquise que si, et seulement si, il y a interruption de service ou entrée dans un dispositif de temps partiel. Dès lors, l’agent est contraint d’interrompre son service – congé parental, congé de présence parentale, disponibilité – ou de modifier son rapport au travail pour acquérir un droit. » [ M.VAXES/ PC]

Alors, comme le dit Jean-Pierre BRARD, le ministre cherche-t-il à nous « emberlificoter » ? Il y a de cela, sans aucun doute.

Mais on peut voir aussi, derrière ces hésitations du langage, la manifestation d’une gêne certaine sur les bancs de la droite, très attachée – au niveau du discours – à une politique familiale favorisant la natalité et l’éducation des enfants.

P.C.Baguet [UDF]:
« Pour une politique familiale plus humaine et plus juste, nous devons permettre aux parents d’avoir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent. Elever son enfant ne doit en aucun cas être vécu comme un sacrifice. Des considérations économiques ne doivent en aucun cas être un obstacle à l’éducation et à la formation des enfants. A l’UDF, nous estimons qu’il est nécessaire de donner à toutes les familles les conditions du libre choix. Cela veut dire avoir le choix, sans peur des conséquences financières, entre interrompre son travail pour guider les premiers pas de son enfant ou tenter de concilier courageusement les deux. »

Le rapporteur :
« Mais il est vrai que la jurisprudence européenne pose plusieurs problèmes.
D’abord, elle modifie une situation existante, ce qui n’est jamais facile à accepter.
Ensuite, elle est un signal ambigu, voire négatif, en direction de la natalité. […]
Enfin – et c’est un point qui mérite débat – la jurisprudence est une atténuation, voire une négation, des contraintes spécifiques supportées par les femmes qui ont un ou plusieurs enfants, contraintes non seulement d’ordre sanitaire – tout le monde les connaît -, mais également socioprofessionnelles : je pense en particulier au déroulement des carrières, notamment pour les femmes fonctionnaires.
 »

Le ministre. :
« Nous avons fait le choix de transformer la bonification forfaitaire d’un an par enfant en une validation des périodes non travaillées consacrés à l’éducation d’un enfant.
Mais nous nous sommes rendu compte qu’en réalité cette décision portait atteinte à un avantage consenti aux femmes.
Avec les organisations syndicales concernées, nous nous sommes alors demandé ce qui était important pour une femme : être récompensée quand on est grand-mère par une année de retraite, ou avoir les moyens de concilier sa vie de mère avec sa vie professionnelle ? Et les courriers que nous avons reçus ont confirmé cette démarche.
A partir de là, nous nous sommes interrogés pour savoir comment offrir aux papas ou aux mamans, puisque nous sommes dans l’égalité hommes-femmes, la possibilité de concilier vie parentale et vie professionnelle.
[…]
Comment, donc, à la fois développer la politique de naissance dont notre pays a besoin, répondre à la légitime aspiration des femmes à plus de liberté dans leur vie professionnelle, parentale, conjugale, et remédier à cette injustice tenant au fait que, paradoxalement, le fait d’avoir un enfant peut fragiliser une carrière, voire pénaliser les personnes concernées ?»

C’est pour tenir compte de ces interrogations que le Gouvernement a décidé de maintenir le dispositif existant (bonification d’un an par enfant ) pour les enfants nés avant le 1er janvier 2004 …
… mais … à condition (car il y a une condition, et pas des moindres !) …
… à condition, disais-je, qu’ils (la mesure est étendu aux hommes) aient interrompu leur activité pour éduquer leur(s) enfant (s).

Considérant qu’une telle décision n’est pas suffisante – en particulier, parce qu’elle ne règle rien pour l’avenir – le rapporteur va faire adopter un amendement rétablissant partiellement le caractère automatique de la bonification.
Cet amendement propose de « rattacher l’avantage octroyé de six mois de cotisation (on abandonne l’idée d’un an ) à l’accouchement lui-même, spécificité féminine s’il en est»

Il suffisait d’y penser ! … mais voyons quand même de plus près l’argumentation du rapporteur :
« Il est apparu à la commission des affaires sociales, et sur tous les bancs, qu’il était préoccupant que la jurisprudence européenne conduise finalement, à partir de la reconnaissance du principe de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes – ce qui est bien entendu un souhait unanimement partagé dans notre hémicycle -, à pratiquer une confusion des genres.
On ne peut assimiler la contrainte que doit subir une femme fonctionnaire qui a une grossesse et qui accouche avec la contrainte que doit subir son conjoint, lequel, évidemment, n’a pas à subir, en particulier, les problèmes qui peuvent handicaper la carrière de la femme fonctionnaire. »

La gauche considère qu’il y a dans cet amendement, « une petite avancée » … « par rapport au projet gouvernemental » ! … mais que, « en réalité, c’est un vrai recul par rapport à ce qui existait » :
« – P.Terrasse.Oui, c’est une petite avancée par rapport au projet gouvernemental, mais, en réalité, c’est un vrai recul par rapport à ce qui existait . C’est pourquoi, tout à l’heure, j’ai dit qu’on nous mettait une claque dans la figure avant de nous mettre un peu de pommade pour faire passer la douleur.
D. Jacquat. Exercice illégal de la médecine ! (Sourires.)
P.Terrasse. Tout cela est très sympathique, mais ce qu’on préférerait, c’est qu’il n’y ait pas de claque, mais plutôt un bisou. Ce n’est pas le cas. Pour ces raisons, nous ne pouvons pas voter cet amendement. »
La « claque », c’est l’obligation qui est faite aux fonctionnaires (hommes ou femmes) – d’arrêter – en totalité ou en partie, leur activité professionnelle s’il veulent bénéficier du nouveau dispositif.

J.-P Brard :
« La mesure que vous proposez constitue, pour les femmes touchant un faible salaire, une incitation à s’arrêter de travailler pour rester à la maison et élever leurs enfants. Plus longtemps elles s’arrêteront, plus elles gagneront de mois de cotisation pour leur retraite.
Et qu’en sera-t-il pour les autres femmes ? Eh bien, plus tôt elles choisiront de reprendre le travail après leur congé de maternité – et je sens, monsieur Jacquat, que vous les considérez déjà comme de mauvaises mères – plus elles perdront par rapport à celles qui resteront à la maison. »
C’est là « un recul social considérable pour les femmes » (D.HOFFMANN-RISPAL)

S.Royal :
« Quelle cohérence y a-t-il, monsieur le ministre, à revenir sur des compensations familiales, alors que l’enjeu démographique de l’équilibre entre les générations est fondamental ?
Comment les femmes vont-elles comprendre qu’elles doivent cumuler les inégalités en matière de salaires, de précarité du travail et aussi la charge éducative – car élever ses enfants est une joie, bien sûr, mais aussi une charge ?
Elles acceptent que leur déroulement de carrière soit si durement frappé, font volontairement ce sacrifice parce qu’elle estiment utile pour leur enfants, pour leur équilibre familial, de sacrifier un temps leur carrière professionnelle.
Mais elles n’accepteraient pas ce nouveau préjudice qui creuse les inégalités entre hommes et femmes, déjà très importantes quant aux carrières interrompues ou au temps partiel subi.
 »

M.Vaxès :
« On a parlé de ces femmes – la majorité d’entre elles – qui n’auront jamais les moyens d’interrompre leur activité professionnelle pendant trois ans pour élever leurs enfants. Il s’agit là d’un privilège qui sera réservé à quelques-unes

M.Jacquaint :
Si nous adoptions en l’état cet article, […] cela signifierait en particulier que le processus de bonification serait en quelque sorte à géométrie variable, au gré des carrières individuelles. […
Cette « individualisation » des carrières, nous l’avons déjà vue à l’oeuvre et elle participe de la conception générale du projet de loi, qui tend, en effet, à substituer aux principes de solidarité fondateurs de notre système de retraite une idéologie et une philosophie personnalistes, illustrées par le développement des solutions purement individuelles, ou encore l’appel d’air en faveur de l’épargne retraite par capitalisation.
Cette orientation porte d’ailleurs en germe de nombreux travers. Ainsi, tout laisse à penser que le texte actuel du projet de loi, en son article 27, tend en réalité à favoriser le développement du travail à temps partiel, l’interruption de carrière, avec tout ce que cela implique, et des solutions purement individuelles éloignées d’une démarche véritablement positive
. »

 la jurisprudence : un prétexte ?

Alors, fallait-il tirer les conséquences en matière législative de la jurisprudence Griesmar ?
Fallait-il légiférer maintenant ?
Fallait-il légiférer dans le sens où l’a fait le Gouvernement ?

La droite répond oui à toutes ces questions
« La philosophie de la loi nous est dictée par la juridiction européenne. »
« Il fallait mettre en place l’égalité hommes-femmes, puisque la jurisprudence européenne l’imposait. »

Le ministre parle de « principe de précaution » …
« Nous avons cherché non pas à subir la loi du droit communautaire, mais tout simplement à tenir compte, dans un principe de précaution, d’une jurisprudence que chacun connaît. »
… de « principe de réalité » …
« Nous avons tenu compte, quant à nous, de la jurisprudence Griesmar, qui remettait en cause la bonification accordée aux femmes. C’est un principe de réalité qu’on peut nous reprocher, mais nous avons en politique à gérer les risques. ».

D’autres orateurs en profitent pour donner une petite leçon de morale politique.
« Je suis surpris : des parlementaires devraient donner l’exemple en matière de respect de la loi. » [ le rapporteur]
«– D.Jacquat. L’arrêt Griesmar doit être appliqué. La majorité des personnes ici présentes ont fait, il fut un temps, le choix de l’Europe.
-J. Dessalangre [PC]. Par défaut !
D.Jacquat. Nous avons voté, la France a voté. Dès lors, nous devons appliquer au niveau national ce pour quoi nous avions voté hier. »

A un moment du débat, le ministre dit que la jurisprudence européenne« a quasiment annihilé » la bonification pour enfants .
… « quasiment » ! … les socialistes vont s’engouffrer dans la brèche
« Nous aurions pu tirer les conclusions de la décision prise par la Cour européenne de justice en égalisant par le haut la situation des hommes et des femmes », affirme à plusieurs reprises Pascal TERRASSE, qui ajoute perfidement : « M. Griesmar n’a-t-il pas pu bénéficier de cette avancée ? »

Ségolène ROYAL – décidément très offensive sur cette question – va se lancer dans une démonstration en trois temps :
Premier temps :
« La juridiction européenne, sauf erreur de ma part, n’a pas supprimé les avantages familiaux : elle a seulement condamné la France à payer à M. Griesmar le même avantage qu’aux femmes. Loin de supprimer les avantages familiaux, elle les a consolidés. »
La députée socialiste poursuit ( deuxième temps) :
« Si les compensations familiales, dit-elle, sont présentées « comme une mesure correctrice ou compensatrice des inégalités entre femmes et hommes » (ce que fait le COR, précise-t-elle) , on peut dire que leur suppression « va donc précisément à l’encontre de la jurisprudence et des exigences des textes européens » … dans la mesure, précisément où « cette suppression va aggraver les inégalités entre les hommes et les femmes ».
Troisième temps:
« Il faut dire à la Cour de justice que lorsque les inégalités seront totalement résorbées, les compensations familiales seront alors étendues aux hommes, car, à ce moment-là, nous respecterons à la fois, la jurisprudence européenne et la réalité. »

Et d’ajouter :
« En plus, votre interprétation risque de susciter des contentieux pour les autres compensations existantes. »
… ce qui fera réagir Georges TRON [UMP] : « Mais non ! C’est absurde ! » …

Pas si absurde que cela ! …
« -S. Royal. En fait, en vous appuyant sur un argument européen antidiscriminatoire, vous susciterez les recours contentieux sur la bonification de deux ans et sur les avantages accordés aux familles de trois enfants..
G.Tron.Cela n’a rien à voir !
-S. Royal. Mais si ! »
( D’ailleurs, en ce qui concerne les avantages aux familles de trois enfants – possibilité de bénéficier d’une retraite au bout de 15 ans d’activité – il convient de noter que le Gouvernement actuel a décidé de prendre les devants puisqu’il a prévu dans le projet de loi 2010 de supprimer cet « avantage ».)

La jurisprudence Greismar n’est-elle – comme le dit Muguette JACQUAINT – qu’un « cache-sexe » ?
(« Et, que ça plaise ou non, je regrette de devoir dire qu’il faut arrêter d’utiliser la jurisprudence européenne comme un cache-sexe. »)

Et, dans ce cas, qu’est-ce que la droite aurait à cacher ?
P. Terrasse :
« Je crois qu’il y a, en réalité, une logique plus profonde derrière les choix du Gouvernement. On le voit bien, d’ailleurs, chez certains députés de la majorité aujourd’hui. Il règne chez eux une pensée presque unique finalement, tendant à remettre les femmes derrière les fourneaux. »

Denis Jacquat n’accepte pas ce « procès permanent » :
« – D.Jacquat. Nous, à l’UMP, nous ne pouvons accepter ce procès permanent que l’on nous fait en disant que nous voulons le retour des femmes aux fourneaux, au foyer. […]
Nous voulons offrir aux femmes un vrai choix. Il faut qu’elles puissent choisir entre la vie professionnelle et une vie familiale pour élever leurs enfants. Un système
 » à la carte  » se met en place et nous prévoyons les moyens correspondants, dans la fonction publique comme dans le régime général. […]
– J.P.Brard. Les femmes de la fonction publique cesseront d’avoir droit à un an de cotisation de moins par enfant à partir du 1er janvier 2004. Cette année de bonification par enfant ne leur sera désormais accordée qu’à la condition qu’elles prennent une année entière de congé.
Et on en revient aux fourneaux chers à M. Jacquat, sinon aux drei K de Bismarck, au moins aux deux premiers : Kinder und Küche, c’est-à-dire les fourneaux et les enfants. […]
Bismarck, je le rappelle à M. Jacquat, voulait cantonner les femmes chez elles parce qu’il avait bien compris que dès qu’elles ont accès à l’espace social, elles sont tentées par l’esprit révolutionnaire. »
[…]
 – Le ministre. Il est assez déplaisant, pour les femmes, de se voir classées en deux catégories : celles qui sont au foyer et qui expriment forcément une pensée rétrograde, celles qui travaillent et qui expriment forcément une pensée moderne.
Il importe aujourd’hui de considérer que les femmes sont capables de prendre leurs responsabilités et de choisir le mode de vie qui leur convient.

– D.Jacquat.Très juste !
– Le ministre. Nous connaissons tous des femmes qui souhaitent s’investir complètement dans leur carrière professionnelle et d’autres qui ont envie de rester au foyer.
– J.Jambu. On ne leur offre pas la possibilité de choisir !
– D.Jacquat.Si !
– M.Jacquaint. Mais non ! »

Et c’est bien là que gît l’« abcès de fixation » dont je parlais au début de cette chronique : quand la droite parle de renforcer la « liberté de choix » de chacun et de chacune, la gauche – c’est Jean-Pierre BRARD qui emploie cette expression -, entend «assignation domestique des femmes » :
« Aujourd’hui encore, évoquer le  » libre choix » dans le discours officiel c’est envoyer un message ambigu, entériner l’assignation domestique des femmes !
La logique du Gouvernement est implacable : vous prônez l’égalité formelle et non réelle, vous renvoyez les femmes à la maison. La seule concession que je fais à M. Jacquat, c’est qu’elles n’y retrouveront pas forcément les fourneaux… grâce aux plaques électriques !
 »

références
 Compte Rendu intégral
 Journaux Officiels - 2e séance du jeudi 26 juin 2003
 27 ( validation des interruptions/ début de la discussion)
Journaux Officiels - 3e séance du jeudi 26 juin 2003
 article 27 (suite)
 Journaux Officiels - 1re séance du vendredi 27 juin 2003
 article(s) 28 (rachat des études) à 31 
(bonifications / début de la discussion )
Journaux Officiels - 2e séance du vendredi 27 juin 2003
 article(s) 31 (suite) & 32 
(allongement de la durée de cotisation)