retraites 2003 :  » Nous n’aurions pas fait la même réforme. » (AYRAULT)

Nous sommes à la 1ère séance du 3 juillet 2003. L’heure est aux explications de vote. Pour les socialistes, c’est Jean-Marc Ayrault qui prend la parole en tant que président du groupe parlementaire. 

« les fragilités des quatre piliers de votre construction »

 Jean-Marc Ayrault Malgré tout, ce débat inachevé a été une pédagogie nécessaire. Il a permis de mettre en lumière les fragilités des quatre piliers de votre construction : la baisse du niveau des pensions,…
    M. Guy Geoffroy. Faux !
    M. Jean-Marc Ayrault. … la méconnaissance des inégalités devant l’espérance de vie,…
    M. Guy Geoffroy. Faux !
    M. Jean-Marc Ayrault.la faiblesse de votre politique de l’emploi (« Faux ! »
sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et l’absence de financement pérenne. (« Faux ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – « Vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Pour une réforme que vous qualifiez de « centrale », cela fait beaucoup de malfaçons.

[…]

Jean-Marc Ayrault. Dans son discours d’introduction à nos débats, le Premier ministre avait présenté son projet comme une « réforme de sécurité nationale ».
    M. Guy Geoffroy. Absolument !
    M. Jean-Marc Ayrault. Je crains, malheureusement, qu’il s’agisse plutôt d’une réforme de précarité générale.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Cette précarité frappera d’abord les retraités eux-mêmes. Pour la première fois depuis trente ans, le niveau des pensions n’est plus garanti.
    M. Richard Mallié. La faute à qui ?
    M. Jean-Marc Ayrault. De l’aveu même du ministre des affaires sociales, la combinaison de la réforme Balladur et de cette réforme va faire passer le taux de remplacement des trois quarts du salaire de référence aux deux tiers en 2008. Tout le monde sera pénalisé. Vous parlez d’équité, mais les retraités du privé continueront de voir leur situation se dégrader davantage que celle des autres.
    M. Jean Proriol. Qu’est-ce que ça aurait été sans la réforme !

    M. Jean-Marc Ayrault. L’érosion du niveau des pensions aura une conséquence dont nous avons déjà les prémices : l’augmentation du taux d’épargne. Vous encouragez sans précaution le recours à la capitalisation, c’est-à-dire à l’assurance individuelle.
Cela se traduira aussi par une insécurité pour les salariés : l’allongement uniforme de la durée de cotisation fait dorénavant de la retraite à soixante ans une fiction. Avec l’allongement de la durée des études, la précarisation grandissante du travail et les périodes de chômage, les salariés ne sauront plus à quel âge ils pourront partir à la retraite à taux plein.

Cette réforme, prétendument moderne, est en fait très archaïque et sexiste.
Archaïque, car elle repose sur le mythe d’une carrière ininterrompue, alors que toute l’évolution du marché du travail va dans le sens contraire.
Sexiste, car elle impose une double peine aux femmes.
(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
En effet, la baisse de leurs pensions sera plus importante que celle des pensions des hommes, du fait de carrières plus courtes, plus heurtées et bien moins rémunérées. Et à cette baisse s’ajoutera la réduction des avantages familiaux.
    M. Jean Le Garrec. Eh oui !
    M. Bernard Roman. C’est évident !

[…] 

M. Jean-Marc Ayrault. Enfin, le financement de la réforme est encore incertain. Vous dites avoir trouvé 18 milliards sur les 43 nécessaires. Pour faire la jointure, vous prévoyez la division du chômage par deux et le transfert du produit des excédents de l’UNEDIC vers les régimes de retraite. C’est un pari ô combien hasardeux quand on connaît la pauvreté de votre politique de l’emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
[…]
La seule mesure que vous ayez trouvée est de supprimer le dispositif des préretraites ou des retraites progressives. Toutefois, faute d’être assortie d’un véritable plan de retour à l’emploi pour les plus de cinquante ans, elle transformera les préretraités en nouveaux chômeurs, lesquels auront peu de chance de retrouver un emploi.
Là encore, vous avez savamment ignoré nos propositions visant à relancer une politique publique de l’emploi.
Dès lors, le mot « solidarité » qui émaille chacun de vos discours ne peut pas sonner juste.

[…]

Vous n’abondez pas le fonds de réserve des retraites, créé par la précédente majorité, qui est pourtant l’un des trois leviers de financement. Vous refusez les autres prélèvements par dogmatisme « anti-impôts ». Votre réforme sera uniquement supportée par les salariés, les retraités et les fonctionnaires. Elle épargne – je le dis sans jeu de mots – les rentiers, les détenteurs du patrimoine et les entreprises.

[…] 

Jean-Marc Ayrault.  J’en viens à la question cruciale des inégalités devant l’espérance de vie.
Personne ici ne peut accepter qu’un ouvrier vive sept ans de moins qu’un cadre ou qu’un professeur. Cette réforme était l’occasion de combler cette insoutenable inégalité en prenant en compte la pénibilité des métiers.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Vous avez préféré la fausse équité de l’alignement uniforme du public sur le privé.
Contrairement à ce que vous affirmez, cette question de l’alignement n’est pas pour nous tabou, dès lors qu’elle s’intègre dans le cadre d’une négociation globale sur l’espérance de vie et la pénibilité du métier. Pour la traiter, il aurait fallu une impulsion politique que vous n’avez pas donnée.

 « Nous n’aurions pas fait la même réforme. »

 Jean-Marc Ayrault. Aussi, quand je vous entends affirmer avec hauteur qu’il n’y avait pas d’autre choix possible…
    M. Edouard Landrain. Hélas !
    M. Jean-Marc Ayrault. … je me dis que vous n’avez rien entendu. Pas plus qu’il n’y a de pensée unique, il n’y a de solution unique.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Je vous renvoie à Churchill, que vous aimez parfois prendre pour référence, qui disait : « Si deux hommes ont toujours la même opinion, l’un des deux est de trop. »
Eh bien, nous n’avons pas la même opinion, et la gauche n’est pas de trop !
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Vous pouvez multipliez les citations, cela n’y change rien : nous n’aurions pas fait la même réforme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Edouard Landrain. Vous n’avez rien fait, alors que vous aviez cinq ans pour agir !
    M. Etienne Pinte. De quelle réforme parlez-vous, monsieur Ayrault ?
    M. Jean-Marc Ayrault. Nous n’aurions pas exonéré le MEDEF et le patronat de son effort pour surcharger les salariés.
Nous aurions tenu compte de la diversité des situations de chaque salarié.
    M. Edouard Landrain. Vous n’avez rien fait !
    M. Philippe Auberger. C’est n’importe quoi !
    M. Jean-Marc Ayrault. Ces phrases sont tout simplement de Lionel Jospin !
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Nous aurions fait la politique de l’emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Christian Cabal. Vous avez surtout fait les 35 heures !
[…]
Jean-Marc Ayrault. Nous aurions fait de cette politique de l’emploi le socle de la réforme.
L’allongement de la durée d’activité doit primer sur celui de la durée de cotisation. Cela suppose un pacte national pour l’emploi pour favoriser l’accès des jeunes au travail et pour maintenir en activité les plus de cinquante ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Jean-Marc Ayrault. Oui, nous aurions donné la priorité à la négociation, dans le public comme dans le privé. Les pays que vous prenez en exemple ont réformé à l’issue d’une longue négociation qui contraste avec votre volonté de passer en force. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Si une chose est critiquable en la matière, monsieur le ministre, c’est la méthode que vous utilisez.
Oui, nous aurions négocié sur la pénibilitédes métiers, sur le déroulement des carrières, sur les inégalités d’espérance de vie.
Rien n’aurait été tabou pour nous : ni le niveau des pensions, ni les durées de cotisation, ni le montant des prélèvements.
    M. Hervé Novelli. Que ne l’avez-vous fait !
    M. Richard Cazenave. Il fallait le faire !
    M. Jean-Marc Ayrault. Encore fallait-il vouloir cette négociation !
 

[…] 

M. Jean-Marc Ayrault. Nous aurions mis en place un financement durable, partagé équitablement entre tous les revenus, notamment ceux du patrimoine et du capital, entre les salariés et les entreprises, sur la base d’un véritable contrat de confiance avec les Français.
Ces derniers doivent le savoir, ce rendez-vous viendra.

 Jean-Marc Ayrault. Au cours des dernières décennies, la retraite est devenue un âge d’or pour nombre de Français, même si, pour beaucoup trop d’entre eux, le niveau des retraites et des pensions est encore trop faible.
Globalement, l’allongement de l’espérance de vie et une meilleure prise en charge de la dépendance, notamment grâce à la grande réforme de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, que nous avons votée et que vous avez partiellement remise en cause
(Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française),…
    M. Jean-Christophe Lagarde. Quel culot !
    Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Elle n’était pas financée !
    M. Jean-Marc Ayrault. … ont transformé en troisième vie ce qu’un sociologue appelait « l’antichambre de la mort ». Les retraités sont devenus des citoyens à part entière,…
    M. Nicolas Perruchot. Heureusement !
    M. Jean-Marc Ayrault. … qui voyagent, qui consomment, qui aident leurs enfants et leurs petits-enfants, qui participent à la vie de la cité.
(Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Notre système par répartition y a largement contribué.
    M. Jean Roatta. Cela n’a rien à voir avec l’APA !
     M. Jean-Marc Ayrault.  Je crains que votre réforme ne marque la fin de ce cycle.

[…]
Jean-Marc Ayrault. Vous avez manqué une occasion probablement unique de réussir une réforme sociale difficile en suscitant l’adhésion au lieu de provoquer la confrontation.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Voir intervention complète http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2002-2003-extra/20031007.asp#PG3

On peut lire aussi :

GLAVANY_ »Quand cesserez-vous de chanter ce refrain
selon lequel il n’y aurait qu’une seule solution : la vôtre ?
 »

retraites : existe-t-il une alternative ? ( clôture du débat de 2003 )

les conditions du débat (2) : un ESPACE pour débattre
( le contr’exemple du débat sur les retraites / 2010 )

à quoi sert l’opposition ( exemple du débat sur les retraites 2010 ) 

 

 

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