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Est-ce que la loi sur les retraites aurait été différente s’il n’y avait pas eu ce long débat ? Est-ce qu’elle aurait été vécue – subie ? – différemment par les citoyens ? Est-ce qu’elle aurait été mieux faite ? mieux appliquée ?
La réponse à ces questions n’est pas simple . Et pourtant, il ne m’est raisonnablement pas possible de les esquiver : ce serait réduire la question-titre de ce blog (« A quoi servent les débats de l’Assemblée nationale ? ») à un simple artifice de présentation.
Du point de vue de la majorité, malgré les prises de position audacieuses du président de l’Assemblée et les congratulations de fin de débat, la réponse aux questions posées en exergue seraient incontestablement orientées vers la négative.
Pour les députés de la majorité, la loi sur les retraites n’aurait pas été différente si le débat avait été plus court (certains allaient jusqu’à dire qu’un décret aurait été suffisant). De toute façon , il y avait un accord entre le gouvernement et une partie des syndicats ; le débat ne pouvait aboutir à des modifications substantielles, sauf à remettre en question lesdits accords.
Quant aux manifestations de rue – qui furent assez nombreuses – elles ne peuvent occulter le fait que, toute silencieuse qu’elle pût être, la majorité (des citoyens) approuvait, au moins, le principe de la réforme ; et, de toute façon , là aussi, la réforme correspondait à un engagement du président de la République et de sa majorité ; il n’était donc pas envisageable que ladite réforme ne fût pas votée ni qu’elle le fût en des termes radicalement différents de ce qui avait été annoncé , promis.
En conséquence de quoi, la bataille menée par l’opposition ne pouvait apparaître que comme une « manœuvre de retardement », une tentative manifeste d’«obstruction » – tentative inutile et vaine, car de toute façon …
Les formes qu’elle a prises ne peuvent que déconsidérer ceux qui s’y sont livrés et jeter le discrédit sur les débats, sur l’Assemblée et, en fin de compte, sur la démocratie.
Du point de vue de l’opposition, nous avons vu s’esquisser un certain nombre de justifications de cette stratégie consistant, à tout le moins, à faire durer le débat.
1) Le droit d’amendement est un droit inaliénable ;
Or, « amender », c’est – en creux – « corriger » (étymologiquement : « supprimer un ou des défaut(s) ») ; en relief, c’est « améliorer », « rendre meilleur », « rendre plus fertile »
Mais que faire lorsque, pour les raisons énoncées ci-dessus, le texte ne peut pas – ne doit pas être modifié ?
2) L’opposition a alors pour rôle de poser des questions afin de faire connaître à l’« opinion » le pourquoi et le comment des décisions prises ; il lui revient de pousser la majorité dans ses retranchements pour qu’elle « dévoile » le fond de sa politique.
Dans le cas des retraites, la majorité avait présenté – et justifié – son projet comme un moyen juste et incontournable de mettre salariés du public et salariés du privé sur un pied d’égalité ; les débats ont permis à beaucoup de ces derniers de réaliser que les mesures structurantes de cette réforme allaient avoir de fortes incidences pour tout le monde (allongement de la durée de cotisation, décotes, etc.)
Cette fonction de dévoilement se double d’une fonction d’alerte : de fait, beaucoup des difficultés rencontrées dans l’application du texte de loi étaient prévisibles ; elles avaient été évoquées – parfois avec une insistance dépassant la juste mesure – par l’opposition ( c’est le cas, par exemple, des conséquences de cette réforme pour les femmes, des obstacles de tous ordres à la prolongation d’activité des seniors, de la non-prise en compte de la « pénibilité »,etc.)
3) La fonction « caisse de résonnance » permettant à la minorité d’être présente – « re-présentée » dans l’enceinte où se dit, où se fait la loi n’est pas à prendre comme une simple convenance (il serait normal de « respecter » le vaincu), mais comme une exigence constitutive de la démocratie : pour que celui qui a été mis en minorité accepte de reconnaître la loi comme étant sienne … et accepte de retourner voter la fois d’après (même si les chances de l’emporter sont faibles), il est absolument nécessaire qu’il y ait un débat contradictoire.
Et si le débat se fait parfois violent, cette violence est à mettre en relation avec la violence faite au citoyen dont la « voix » est perdue, volée – « violée ? – , en tout cas niée, puisqu’elle ne peut produire d’effet.
4) C’est dans ce contexte que se pose la question de l’alternative
Etymologiquement, « ob-struer » vient d’un verbe latin qui signifie « assembler, construire », le préfixe « ob » voulant signifier que l’on construit « devant ».
Face au mur, à la forteresse édifiée par – et à l’avantage du – parti majoritaire, l’opposition met en avant – met « devant » une autre construction, certes virtuelle (puisque, « de toute façon »,elle n’a pas les moyens, pour l’instant, de la rendre réelle), mais d’une portée symbolique irremplaçable.
Paradoxalement, l’obstruction est – quand même ! – une construction : elle signifie que la loi qui est en train d’être dite, d’être faite, n’est pas revêtue du sceau sacré de l’absolu, de la nécessité ; elle n’est pas une copie d’une vérité qui s’imposerait d’elle-même ; elle n’est pas donnée, elle est construite ; elle est œuvre humaine, donc limitée, contingente, éphémère ; elle est une victoire provisoire contre l’inique, contre l’impossible ; elle est arbitrage et, pour que cet arbitrage ne soit pas arbitraire, elle appelle au débat.
En l’absence de débat, il y a risque d’ « engorgement » (d’où les « pannes de la démocratie ») ou, comme disent les médecins – le terme « obstruction » a d’abord été utilisé en médecine, avant d’être introduit dans la sphère politique – risque d’« occlusion ».
Et ce n’est pas forcément l’opposition qui est cause de l’engorgement des débats ; le risque d’occlusion – dont le « 21 avril » a été un signe avant-coureur – vient avant tout d’une mauvaise circulation du sang, d’une mauvaise irrigation du cerveau de notre démocratie. Il ne suffira pas d’une mesure technique du type limitation du temps de débat pour redonner santé et vigueur à notre – vieille ? – démocratie.
On peut lire aussi :
à quoi sert l’opposition ( exemple du débat sur les retraites 2010 )
Majorité contre opposition : jeux de rôles ( débat sur les retraites / 2003 )
Débat sur les retraites 2003_AMBIANCES au jour le jour
L’Assemblée … une machine à fabriquer du « NOUS »
Il y a tant à faire à l’Assemblée
pourquoi nous obéissons à la loi
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