2008/LANG/ lettre au Président de la République

Depuis longtemps, je mène combat avec obstination en faveur du rééquilibrage de nos institutions aujourd’hui abusivement dominées par le pouvoir exécutif. Aussi me suis-je réjoui de votre décision annoncée voici un an d’ouvrir le chantier de leur rénovation. Les limites d’une telle ambition ne m’étaient pas inconnues : ni la droite ni la gauche – et je le déplore – ne souhaitent un vrai changement de régime politique qui réclamerait tout à la fois une suppression de la dyarchie de l’exécutif, la fin de l’irresponsabilité politique du chef de l’Etat, l’abolition du cumul des mandats, et l’instauration d’un scrutin proportionnel à l’allemande.

Dès lors, la mission des constituants était nécessairement plus modeste : renforcer les droits des citoyens, les pouvoirs du Parlement et les prérogatives de l’opposition sans pour autant bouleverser la Ve République.

Le projet soumis dans quelques jours au Congrès de Versailles est une œuvre collective à laquelle chacun a apporté sa pierre : la commission pluraliste présidée par Edouard Balladur, le gouvernement, les groupes parlementaires, le président de l’Assemblée nationale, et au premier chef, vous-même, Monsieur le Président. Quelle appréciation sereine peut-on porter sur son contenu ?

La réforme n’est pas mince. Plus de la moitié des articles de l’actuelle Constitution sont modifiés. Certains sont créés de toute pièce. Au total, 47 mesures nouvelles ! Les avancées positives sont diverses et parfois audacieuses – certaines à l’initiative de la gauche. Pas une seule disposition ne constitue un recul pour les libertés.

Les nouveaux pouvoirs du Parlement donnent au législateur une meilleure maîtrise de la loi, même si elle est encore trop imparfaite. Ils accroissent surtout les moyens de contrôle sur l’exécutif : évaluation des politiques publiques, vote de résolutions, approbation des opérations militaires extérieures après un délai de quatre mois, augmentation du nombre de commissions permanentes, caractère public de leurs travaux, extension des questions d’actualité aux périodes de session extraordinaire. Parallèlement, trois mesures nouvelles encadrent les pouvoirs du président de la République : limitation à deux mandats, audition publique devant le Parlement des personnalités appelées à exercer de hautes fonctions, retrait du chef de l’Etat du Conseil supérieur de la magistrature.

Les droits des citoyens s’élargissent eux aussi très sensiblement : le droit de saisir le Conseil constitutionnel (si longtemps souhaité par François Mitterrand), le droit d’un justiciable d’en appeler au Conseil supérieur de la magistrature, le droit de tout citoyen de solliciter directement le Défenseur des droits du peuple, la possibilité de soumettre un projet de loi au Conseil économique et social par voie de pétition populaire. S’y ajoutent le référendum d’initiative populaire proposé par Arnaud Montebourg, ainsi que l’incorporation dans la Constitution de plusieurs principes nouveaux : la parité sociale et professionnelle entre les hommes et les femmes, la préservation des langues régionales, l’exigence de pluralisme dans les médias.

Par contraste avec ces avancées indiscutables, les droits de l’opposition ne sont pas encore à ce jour suffisamment garantis dans le projet. C’est la raison pour laquelle je me tourne vers vous, Monsieur le Président de la République. Dans cette dernière ligne droite, il vous appartient d’accomplir le geste clair, fort et constructif qui permettrait d’emporter l’adhésion générale.

Un véritable statut de l’opposition devrait s’ordonner autour de quelques engagements fermes de votre part : la comptabilisation des expressions politiques du président de la République dans les médias, la fixation d’un temps de parole égal entre majorité et opposition au sein du Parlement pendant les activités de contrôle (notamment pour les questions au gouvernement), la désignation de deux rapporteurs – l’un de la majorité, l’autre de l’opposition – pour tout projet de loi, l’attribution aux groupes d’opposition d’une durée d’explication plus importante lors de l’examen d’un texte, la protection de la liberté d’amendement en séance plénière, la possibilité au moins une fois par session de créer une commission d’enquête à la diligence de l’opposition.

Enfin, et ce n’est pas la moindre de mes requêtes, vous pourriez, Monsieur le Président de République, apporter des apaisements aux uns et aux autres au sujet de l’organisation des futurs scrutins. La République se grandirait en stabilisant le mode d’élection des conseils régionaux et en garantissant la participation pleine et entière de l’opposition à un redécoupage équitable des circonscriptions législatives et à la désignation pluraliste des députés des Français de l’étranger.

Puis-je ajouter une ultime remarque : vous présidez une République dont l’une des deux Assemblées, le Sénat, n’est pas représentative de la diversité politique française. En raison d’un mode de scrutin digne de l’Ancien Régime, l’alternance y est en effet interdite. Puissiez-vous au cours des prochaines heures entrouvrir une porte à une évolution future de l’élection des sénateurs.

La Loi fondamentale de la République est notre maison commune. A l’exemple de ce qui se passe dans les autres démocraties européennes, sa révision devrait pouvoir être le fruit d’un compromis historique entre les familles de pensée qui composent notre arc-en-ciel politique.

Monsieur le Président de la République, il vous appartient, en tant qu’initiateur de ce projet, de lever les derniers obstacles à l’adoption du texte. Plus l’assentiment sera large, plus la révision gagnera en légitimité. Cette décision de rassemblement républicain est aujourd’hui entre vos mains.

Jack Lang
Vice-président du comité de révision de la Constitution
Professeur agrégé de droit public
(texte publié dans Le Monde du 16 juillet 2008/
peu avant le Congrès qui votera la loi constitutionnelle… à une voix de majorité )