débat sur l’identité nationale
2ème séance du 8 décembre 2009
http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2009-2010/20100079.asp#P776_164293
M. Jean-François Copé.. La France souffre d’un problème majeur : nous avons la culture de la division et non du rassemblement ; dans notre débat public, trop souvent, l’indignation étouffe la raison, le dénigrement écrase les arguments et la diabolisation triomphe du respect de l’autre.
Un débat sur l’identité nationale, c’est l’occasion de se mettre à l’écoute des autres, pas de les condamner par avance.
C’est également l’occasion de défendre des opinions, pas parce qu’elles viennent de son propre camp, mais parce qu’on les croit justes. C’est, enfin, l’occasion de se rassembler pour faire émerger des solutions qui peuvent dépasser les réflexes partisans. Cela est si rare dans nos débats français ! La plupart du temps, on est obligé de choisir son camp et de jouer un rôle écrit à l’avance, sans d’ailleurs prendre toujours la peine d’écouter. Chacun est renvoyé à une catégorie ou à une étiquette.
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Sans doute parce que nous n’avons pas digéré certains traumatismes de notre histoire, au cours des dernières décennies. Au lieu de se dire les choses franchement, on s’est enfermé dans le non-dit, puis dans une culpabilisation permanente. La colonisation, la guerre, la décolonisation, les vagues d’immigration qui ont suivi : autant de thèmes douloureux qui ont conduit nos dirigeants successifs à ne plus parler des sujets qui fâchent, à refuser de crever des abcès. Ils ont ainsi feint de ne pas voir que bien des plaies restaient ouvertes, multipliant les incompréhensions entre nos compatriotes, toutes générations et origines confondues.
M. Jean-François Copé. « Identité nationale » : ces deux mots méritent, sans nul doute, au début de ce débat, d’être décryptés.
Au sujet du premier mot, l’« identité », l’essentiel est de réfléchir à ce que nous sommes, au regard de nos parents, de nos enfants et de notre pays, la France. Le xixe siècle a été le siècle de la constitution des nations ; le xxe siècle, celui du choc des idéologies, dans ce qu’il a eu de pire. Le xxie siècle est quant à lui celui de la mondialisation. Le besoin d’être pleinement identifié à sa terre, à ses racines, de trouver sa place dans le vaste monde, et de bien la vivre, est aujourd’hui devenu un défi essentiel.
C’est une réflexion qui relève sans nul doute – je n’ai pas peur d’utiliser le mot – de la psychanalyse, individuelle et collective.
Le second mot est « national ». Qu’est-ce que c’est la nation ? On se souvient des cours d’antan.
C’est la volonté d’une population donnée, sur un territoire donné, de vivre ensemble.
La volonté de vivre ensemble, la belle affaire ! Aujourd’hui, dans nos quartiers, dans nos villes, dans les halls de beaucoup d’immeubles, on voit des gens qui ne se parlent pas, ne s’écoutent pas et ne se respectent pas, tout simplement parce qu’ils ne se connaissent pas. (Oh ! sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Ainsi, ils n’ont plus la volonté de vivre ensemble. Du coup, la nation se fissure en silence.
On peut bien sûr le nier et considérer que tout cela n’existe pas, mais enfin, l’intérêt de ce débat, c’est aussi de réfléchir aux raisons qui ont conduit à cette situation.
C’est à dessein que j’utilise le mot « fissure », et non celui de « fracture » : une fracture, on l’entend, ce qui n’est pas le cas de la fissure et, le jour où l’on aperçoit la fissure, il est trop tard. D’ailleurs, à mes yeux, il existe non pas une fissure, mais quatre, parce que la population d’aujourd’hui est profondément différente de celle d’il y a cinquante ans.
Ce sont donc, à mon sens, quatre fissures qui doivent être évoquées aujourd’hui.
La première est celle à laquelle on pense le plus spontanément : elle concerne le débat sur la question de savoir si l’on doit assimiler ceux qui souhaitent réussir leur vie en France en prenant la nationalité française, ou bien prôner le multiculturalisme comme dans les années soixante. Les discussions sur ce sujet ont occupé bien des esprits.
L’assimilation, c’était le modèle du tout début du xxe siècle, quand on absorbait des vagues d’immigration, venues de la lointaine Europe centrale et fuyant le bolchevisme, le nazisme et l’antisémitisme. Tout le monde venait en France, parlait français sans accent et, on le sait, s’engageait au côté de l’armée française, avec l’uniforme français.
L’autre modèle, celui des années soixante et soixante-dix, est celui du multiculturalisme. C’est la négation de ce qui s’était fait avant. Chacun gardait sa culture. On a mis ceux qui venaient des anciens pays colonisés dans des tours, construites dans l’urgence, sans plus jamais vouloir entendre parler d’eux…
M. Roland Muzeau. Vous les mettiez dans des bidonvilles !
M. Jean-François Copé. …et sans jamais leur donner les codes d’accès pour réussir sur le chemin de l’intégration. Cette première fissure a conduit à des situations folles, comme entendre un certain nombre de nos jeunes compatriotes siffler la Marseillaise. Et pourtant, en ce qui me concerne, au-delà de l’indignation du moment, je me suis demandé : qu’est-ce qui a pu conduire ces jeunes à siffler la Marseillaise, alors qu’ils sont français ?
La deuxième fissure oppose nos jeunes à nos aînés. Ceux-ci, on le voit bien, loin de parler de la solidarité entre les générations, n’ont plus aujourd’hui que l’argent à la bouche. Ils demandent : comment va-t-on payer les retraites ? Comment ferez-vous lorsque nous serons décédés ? Cette fissure-là est peu apparente, mais bien réelle.
La troisième fissure apparaît entre ceux qui pensent qu’il n’y a pas de problème d’égalité entre les hommes et les femmes et ceux qui voient bien, tous les jours, que cette inégalité est un sujet majeur d’identité pour notre pays.
La quatrième fissure, dont on parle encore moins que des trois autres, sépare ceux qui habitent les villes et ceux qui habitent les campagnes. À la ville, on pense que, quand on vit à la campagne, tout va bien, que c’est le bonheur permanent.
Or l’histoire n’est pas unique. Elle est commune, parce que nos ancêtres ne sont pas seulement des Gaulois. Et partager cette histoire commune, c’est aussi une manière de parler ensemble d’avenir.
Il nous faut ensuite être au clair sur nos valeurs, parmi lesquelles figurent bien sûr la liberté, l’égalité et la fraternité, mais j’y ajoute volontiers la laïcité et la sécurité, parce qu’on ne peut pas se parler et s’écouter quand on a peur les uns des autres.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.
L’État a fait de la nation l’échelon fondamental d’exercice des solidarités. En France, l’État a toujours été créateur de nation. En organisant un grand débat sur l’identité nationale, il est donc fidèle à sa vocation.
Notre nation n’est ni un hasard de la nature ni une statue figée ; elle est une construction permanente, le produit d’un volontarisme incessant.
À tous ceux qui contestent le principe de ce débat, je répondrai en citant Fernand Braudel : « Le thème de l’identité française s’impose à tout le monde, qu’on soit de gauche, de droite ou du centre, de l’extrême gauche ou de l’extrême droite. C’est un problème qui se pose à tous les Français. »
Notre nation n’a pas toujours été une et indivisible. Elle n’a été maintenue unie que par les efforts renouvelés de l’État. « La France est divisible. La France, ce sont des France différentes qui ont été cousues ensemble » écrivait encore Braudel. Michelet disait : « C’est la France française, c’est-à-dire la France autour de Paris, qui a fini par s’imposer aux différentes France qui, aujourd’hui, constituent l’espace de l’Hexagone. » C’est parce que nous devons préserver l’unité de notre nation, la raffermir, que le débat sur l’identité nationale est utile.
Un peuple qui a inventé les « services publics à la française » (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) et revendique son « exception culturelle »…est fondé à s’interroger sur sa capacité à préserver son mode de vie dans un monde chaque jour plus compétitif, plus globalisé. Il nous appartient donc de répondre à ces doutes, d’y apporter des réponses à la fois modernes et républicaines. Nos concitoyens attendent du politique à la fois une protection et des moyens d’émancipation. Rassurer, protéger est un préalable indispensable à la réforme, à la modernisation. Nos concitoyens attendent du politique qu’il dessine les contours d’une solidarité moderne face aux forces centrifuges.
Écoutons le peuple ! Entendons le peuple ! N’ayons pas peur du peuple !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. La France, par sa position géographique de carrefour européen, par son exposition méditerranéenne, par l’étendue et l’hospitalité de ses territoires,… a toujours été une terre d’immigration, une nation fondée par un pouvoir centralisateur parce qu’elle ne repose ni sur la coopération entre régions, ni sur l’agglomération de communautés, ni sur des origines linguistiques et culturelles communes, ni sur l’ethnie, ni sur la race ou sur la religion.
Une nation de ce type doit donc développer une intelligence particulière pour maintenir son unité. Cet appel au dépassement des origines et au rassemblement autour de valeurs communes constitue, dès ses premiers souffles, et bien avant ses Lumières, l’universalisme de notre nation. La nation a été créée par l’État pour intégrer des populations d’origines différentes au sein d’une même communauté.
Notre nation a la passion de la République, de ses symboles, de ses valeurs et de ses principes. Elle se rêve, elle se veut une et indivisible.
Mais elle a toujours su éviter de transformer cette unité en uniformité. L’identité nationale n’a jamais été synonyme de conformité. Elle n’en est pas moins mise au défi de manière permanente.
Dans le même temps, la République est une construction permanente et toujours inachevée. Il ne suffit pas d’affirmer le principe d’égalité pour que l’égalité soit réalisée. Il ne suffit pas de se préoccuper de la République formelle ; il faut se préoccuper de la République réelle. (« Charabia ! » sur les bancs du groupe SRC.) Car, en dépit de nos efforts, les premières contributions au grand débat montrent que, pour certains de nos concitoyens, la République réelle reste trop souvent celle des discriminations.
Une France qui évolue avec son temps ; une France à laquelle chacun apporte ses origines, son histoire, et sa contribution ; une France fidèle à ses valeurs, qui continue de croire que le but ultime de la politique, c’est de favoriser l’émancipation des individus et des peuples. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Huées sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, mes chers collègues, m’exprimant à cette tribune m’accompagnent les mots de l’historienne Esther Benbassa : « il n’y a pas de patriotisme français sans rêve français ». Oui, à bien des égards, la France s’est constituée sur un rêve d’elle-même : unir des hommes et des femmes de toutes conditions, de toutes origines, en une langue, une culture, un savoir-vivre ; fonder une communauté de destin qui parle au monde et qui influe sa marche.
C’est ce rêve qui a tissé notre histoire, des rois capétiens aux sans-culottes de Valmy. C’est ce rêve qui a engendré les idéaux de la République, de Gambetta à Jules Ferry, des enfants de Jean Jaurès aux héritiers du général de Gaulle. Nous ne sommes pas une race. Nous ne sommes pas une ethnie. Nous ne sommes pas une religion. Nous sommes un peuple multiple qui transcende ses différences dans une communauté de valeurs et d’ambitions. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Jean-Marc Ayrault. Là où les Français recherchent l’alliage qui les unit, vous érigez un mur de suspicion entre eux. Là où ils aspirent à trouver un espoir qui les transcende, vous leur présentez des boucs émissaires. « La France, tu l’aimes ou tu la quittes. » Jamais je ne croyais pouvoir entendre une telle apostrophe dans la bouche d’un Président de la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Si c’est ça votre vision de l’identité nationale, alors soyez sûrs qu’elle ne sera jamais aimée ! L’amour d’une nation, c’est l’adhésion du cœur, pas un décret de la peur. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
À cette conception craintive, nous opposons notre vision d’une fraternité nationale.
Il ne faut jamais se lasser de le dire : la France a la passion de l’égalité et de l’unité. C’est son deuxième pilier.
Le troisième pilier de notre identité, que vous refusez de voir en face, c’est le modèle social. Il a été évoqué par le Président de la République à Versailles, à propos du Conseil national de la Résistance. Le modèle social français, c’est l’abolition des privilèges qui fait partie de notre patrimoine, au même titre que la langue, l’histoire ou la culture.
Il n’y aura jamais de cohésion nationale sans cohésion sociale. La République s’est constituée sur l’idée de justice, de progrès commun, de répartition des efforts.
C’est la grande faute de Nicolas Sarkozy. Le défenseur autoproclamé de « la France éternelle » est celui-là même qui sape son armature la plus solide : le modèle social français. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Tout ce qui relève de la solidarité entre les Français est jugé lourd, coûteux, archaïque, bureaucratique, inefficace.
M. Jean-Marc Ayrault. De la même manière, n’était-il pas hasardeux que le Président de la République veuille réformer nos principes de laïcité, ce cinquième pilier de notre identité, qui apparaît, aux yeux mêmes de nombreux pays étrangers, comme l’une des réponses les plus adaptées à la résurgence des conflits religieux ? La France laïque est mieux qu’une marque de fabrique : elle est aujourd’hui un produit d’exportation et un facteur de concorde. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
La France laïque doit, sans hésitation, dire non à la burqa, parce que cette prison de tissu qui enferme les femmes contredit notre conception des droits fondamentaux de la personne humaine. (Même mouvement.)
Mais la France laïque doit avoir la même intransigeance pour reconnaître à l’islam le droit d’exercer son culte dans les mêmes conditions de dignité que les autres religions. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Quand le Président de la République justifie l’interdiction des minarets, il nie et défigure l’article 1er de la loi de séparation des églises et de l’État, qui assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes. La liberté de conscience et la laïcité sont un même bloc. Elles ne se divisent pas, elles ne sont pas à géométrie variable selon que l’on est chrétien, juif, musulman ou athée. (Même mouvement.)
Nos compatriotes musulmans sont les premières victimes de l’intégrisme. C’est avec eux et non contre eux que nous prouverons que l’islam, deuxième religion de France, peut être en harmonie avec la démocratie et la laïcité.
M. Jean-Marc Ayrault. Ce que nous avons à transmettre, c’est un patriotisme fédérateur. Un patriotisme qui s’enracine dans les droits de l’homme autant que dans l’attachement à une terre. Un patriotisme qui s’ancre dans la fibre populaire autant que dans l’exemplarité de ses dirigeants. Un patriotisme qui sait s’ouvrir aux autres et se reconnaît pleinement dans l’Europe.
Notre pays n’est pas un bloc à prendre ou à laisser. Il ne met pas un signe « égale » entre les croisades et l’édit de Nantes, entre la colonisation et la résistance, entre le despotisme de l’Ancien régime et la République démocratique ! La grandeur d’un peuple, c’est de savoir regarder en face ses lumières et ses ombres, sans repentance, mais sans concessions. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Ce que nous devons, c’est transmettre une idée de la nation qui dépasse ses racines multiples et parfois opposées. C’est construire une mémoire partagée qui concilie la vérité et l’estime de soi. C’est offrir à tous les Français les mêmes droits et les mêmes devoirs, quelles que soient leurs origines sociales ou géographiques. Ce que nous voulons, c’est enraciner une adhésion du cœur dans laquelle chaque enfant de la République puisse se reconnaître. « Être Français », disait Renan, « c’est avoir fait de grandes choses ensemble et vouloir les faire encore ». Là est la France, là est son rêve ! (Mmes et MM. les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. François Asensi. Son concept d’identité nationale est scientifiquement inexistant, mais politiquement dangereux. L’intrusion de l’État dans la définition de la nation, instrumentalisée à travers la création d’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale, est un fait grave. Avec les chercheurs et les intellectuels, j’en demande ici solennellement la suppression, car on ne peut présenter l’immigration comme une menace pour la France. Comment accepter une telle atteinte aux principes de la République ? Le Gouvernement privatise l’État, nos préfectures, pour les mettre au service de la campagne de l’UMP. La neutralité des préfets, chargés de conduire des débats selon une circulaire biaisée et offensante, est profondément bafouée.
Pour autant, la nation n’est aucunement taboue pour les députés communistes et républicains. Pour nous, la nation est une construction permanente, une volonté des citoyens de participer à un projet progressiste et émancipateur. La nation est une histoire, mais bien plus encore, elle a un avenir commun.
Notre nation n’est pas la nation sclérosée du Président Sarkozy, qui reconnaît comme origine immuable la chrétienté et l’Ancien régime. Notre nation, c’est la nation de l’abbé Sièyes qui, en 1789, accordait la citoyenneté à tous les Français, quel que soit leur statut social. Notre nation, c’est la Déclaration des droits de l’homme, qui faisait de la contribution à l’impôt un élément essentiel de la citoyenneté française. C’est la Constitution de l’An II qui accordait des droits civiques identiques aux étrangers résidant en France.
Au nom de quoi limiterait-on aujourd’hui les droits civiques de ces citoyens étrangers résidant en France, alors que de riches Français s’excluent volontairement de la solidarité nationale par l’évasion de leurs revenus dans les paradis fiscaux ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
Mme Élisabeth Guigou. En effet !
M. François Asensi. Notre nation, c’est celle de la laïcité, remise en cause par le discours de Latran.
Notre nation, c’est celle du Conseil national de la Résistance et de son pacte social. Or, du démantèlement du droit du travail à la privatisation des services publics, la politique de votre gouvernement renie cette République sociale, véritable ADN de la France.
M. Jean Dionis du Séjour. Sur le fond, nous nous réjouissons de cette opportunité de débattre, car, à nos yeux, le sujet est essentiel. L’enjeu, c’est de définir ce qu’est la France aujourd’hui, à l’heure où la mondialisation et les différences parfois criantes de niveaux de vie conduisent à un métissage accéléré des populations comme de leurs cultures. Se poser la question de son identité, c’est s’interroger sur son rapport à l’altérité, c’est chercher ce qui aujourd’hui nous distingue, nous Français, mais aussi ce qui nous rassemble, c’est savoir qui nous sommes pour mieux porter notre message dans le monde.
Oui, nous avons fondé notre République sur des valeurs autour desquelles tous ici, quelles que soient nos sensibilités, nous nous retrouvons. Elles constituent bien le socle de notre identité et sont, en quelque sorte, le règlement de copropriété de la maison France, ces fameux droits et devoirs. Ces valeurs, ce sont le fameux triptyque républicain, liberté, égalité, fraternité, mais aussi, depuis plus d’un siècle, celle, tout aussi fondamentale de la laïcité. Pour autant, faut-il renvoyer dos à dos l’histoire et ces valeurs ? Peut-on même séparer, dès lors que nous nous interrogeons sur ce que nous sommes, ces valeurs qui fondent l’universalité du message républicain de l’histoire de notre pays ? Notre conception de la laïcité elle-même aurait-elle pu surgir d’une pensée autre que chrétienne, la première à exiger de « rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu et à César ce qui appartient à César » et qui pose ainsi dans ses fondements mêmes la séparation entre pouvoirs temporels et spirituels ?
Oui, l’identité française, c’est tout à la fois un héritage fait de symboles, de repères culturels, historiques et une volonté de vivre ensemble, un projet politique. Oui, la France, c’est au sens fort, notre patrie, « la terre de nos pères », la mémoire de nos morts. Et dans un même temps et dans un même élan, la France, c’est aussi l’exigence et le rêve républicain.
Il n’est pas d’identité nationale solide qui ne s’appuie sur ses deux jambes : patriotique et faisant mémoire du passé, d’une part, politique et tournée vers l’avenir, d’autre part. Faire abstraction de tout héritage patriotique, c’est faire le choix de s’enfermer dans une vision froide et désincarnée de la nation qui, tôt ou tard, ne recueillerait plus l’adhésion des Français. À l’inverse, il n’est pas de nation ouverte et intégrant avec succès les étrangers qui viennent vers elle qui ne soit pas assise sur un projet politique vivant. Et la vie ne connaît pas l’immobilité. Qui pourrait donc imaginer que notre identité nationale se trouve figée une fois pour toutes ? Le faire, ce serait d’abord et avant tout, commettre une faute historique.
Être fidèles à notre identité, c’est aussi, sous peine d’une régression nationaliste aux relents maurrassiens bien peu sympathiques, faire vivre notre projet politique dans toute son originalité. Oui, faire vivre soixante-trois millions de personnes dans une société de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, c’est notre véritable défi. Chacun peut mesurer la distance qui demeure entre la réalité de notre pays et l’objectif républicain. Ne nous trompons pas, c’est cette distance qui menace directement la cohésion sociale de notre pays, et donc notre identité, que ce soit pour les jeunes Français issus de l’immigration dans nos banlieues ou pour les habitants oubliés de la France des territoires ruraux.
Il n’y a pas aujourd’hui de projet politique français, de rêve français et donc d’identité nationale française qui n’intègre pas le projet politique européen.
il n’y a de rêve français qui n’ait pas une dimension universelle et qui n’ambitionnerait pas de relever les grands défis de ce monde
Voilà pour les fondements de philosophie politique qui sont les nôtres en matière d’identité nationale. Il nous revient maintenant de les intégrer dans notre pratique politique contemporaine pour faire vivre l’exigence républicaine, le rêve français et européen. C’est à nous de trouver les mille et une initiatives qui replaceront la réalité vécue quotidiennement par nos concitoyens à la hauteur de notre ambition nationale.
M. Hervé Mariton. Oui, ce débat est essentiel et indispensable parce que l’identité nationale est une force, un fait à nourrir et non un contrat à négocier. Beaucoup l’ont dit, beaucoup le diront – mais pourquoi faire nécessairement compliqué ? – l’identité nationale est une source d’énergie qui se trouve dans notre belle devise de liberté, d’égalité et de fraternité : la liberté, en ce qu’elle a d’insolence et de création ; l’égalité, quand, face à nos concitoyens qui se trouvent dans des situations très difficiles, nous ne devons pas mener des politiques « localistes », spécifiques, clientélistes, mais faire en sorte que l’ascenseur social puisse fonctionner pour tous les Français, où qu’ils soient ; la fraternité, quand on mesure ce qu’est la force de la politique familiale française et qu’on voit un pays européen comme l’Allemagne se demander comment elle pourrait éclairer des politiques publiques dans d’autres pays.
Liberté, égalité, fraternité, cela dit beaucoup, et je suis parfois perplexe quand je vois ce qu’on veut ajouter à la devise de la République. La laïcité, je suis pour, mais ce n’est pas la quatrième vertu républicaine, la République en comporte trois. La diversité, c’est un objectif politique indispensable, mais ce n’est pas la cinquième vertu républicaine, il y en a trois.
Ce monde que nous voulons construire, ce monde nous éveille aussi constamment, et c’est cela le mouvement de l’identité nationale. Elle n’est pas gelée, elle n’est pas figée. En même temps, elle est forte, elle est riche. C’est l’identité nationale pour un monde meilleur. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Mme Marietta Karamanli. Il est donc toujours complexe de définir ce qu’est le sentiment d’être français. Le mot sentiment désigne lui-même à la fois des sensations et une conscience. Il est périlleux que ce soit l’État qui cherche à dire ce que cela signifie et, ainsi, à « cadrer » des sentiments. En la matière, il ne peut dire « le vrai » car il ne peut y avoir d’objectivité.
C’est un pays qui croit aussi à une morale laïque faite de devoirs, de justice et de bonté, d’habitude de la réflexion, une morale qui se suffit à elle-même sans avoir besoin d’un prêtre ou d’un chef qui décide seul de ce qui est bon pour tous, même si notre Président de la République pense autre chose.
Selon moi, parler de l’identité nationale comme de quelque chose d’objectif et d’immuable qu’on pourrait « valoriser », comme le dit le site du ministère, c’est impossible.
Se retenir de dire que cette vision est inepte reviendrait à se sentir coupable. Mais de quoi ? D’être français ? Ça non ! D’oublier l’humanité à la Française ? Certainement, et ce serait une entorse à notre propre culture et ça, parce que je suis française, j’aurais du mal à l’accepter.
Selon l’historien Gombrich, l’histoire humaine est un fleuve qui parcourt des paysages différents et jamais les mêmes. Il nous faut donc admettre que nos valeurs, y compris celles que nous appelons nationales, puissent avancer sur ce fleuve et se renouveler.
M. François de Rugy. J’ai relu aujourd’hui le discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 12 novembre à La Chapelle-en-Vercors.
M. Daniel Fasquelle. Bonne lecture !
M. François de Rugy. La réaffirmation de la place de la République dans notre identité ne vient qu’à la trente-sixième page. Et encore n’arrive-t-il pas à citer la devise !
Auriez-vous un problème avec la liberté ? Sans doute. Avec l’égalité ?
M. Henri Emmanuelli. Sûrement !
M. François de Rugy. Assurément. Avec la fraternité ? Ce n’est malheureusement même pas la peine d’en parler. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Tout le monde, d’ailleurs, n’a sans doute pas les mêmes références historiques. Peut-être ici même, dans cette assemblée, les références des uns et des autres ne sont-elles pas les mêmes. Pour nous, la Révolution de 1789 fait partie de l’identité nationale, mais aussi la Commune de Paris, juin 1936, juin 1944, mai 1945 et, ne vous en déplaise, mai 1968.
M. Dominique Souchet. C’est la force de l’appartenance à un héritage millénaire qui l’a emporté sur la trahison momentanée de ses valeurs fondatrices. Le choix de l’appartenance à la communauté nationale, bien qu’elle ait revêtu un temps le visage hideux de la Terreur (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC), a été préféré à la tentation autonomiste. Mieux même, c’est le département vengé qui donnera à la France Clemenceau et de Lattre, et le plus grand nombre de tués par habitants pendant la Première Guerre mondiale.
M. Bernard Cazeneuve. Mes chers collègues, au moment où nous abordons ensemble la question de l’identité nationale, nous sondons le temps long de l’histoire, celui qui forge le discours que les peuples du monde ont appris à aimer de la France. À la manière d’un long et vieux fleuve, notre pays transporte des alluvions qui sédimentent une culture avec ses lignes de force, ses contradictions et ses questions restées sans réponse.
D’abord Nicolas Sarkozy s’est plu, pendant la campagne présidentielle, à préempter, avec un souci permanent d’autopromotion, à la fois de Gaulle et Jean Jaurès, la République et les racines chrétiennes de la France, le message universel de la Déclaration des droits de l’homme et l’appartenance de la France à la civilisation occidentale. À coup de manipulations, il s’est employé à faire tomber un à un les repères établis par les respirations de l’histoire ; et beaucoup des valeurs fondatrices de la République ont ainsi été passées au laminoir des discours successifs du chef de l’État.
Jusqu’à lui, nul républicain ne s’était aventuré à revisiter la laïcité, valeur fondatrice de la République, et tous ceux qui avaient exercé la plus haute responsabilité de l’État avaient conscience de ce lien intime et indestructible qui unit la République à la laïcité au point d’en faire un élément essentiel de son identité. La laïcité fut en effet l’aboutissement d’un combat sans merci, qui synthétisait l’aspiration de la République à voir se réaliser les trois ambitions de sa devise : la liberté, l’égalité et la fraternité.
La laïcité désirait que chaque citoyen pût trouver dans l’indifférence de l’éducation à l’égard des croyances et des religions un chemin pour le libre exercice de sa conscience. Elle fut ainsi le moyen de conforter, au cœur de la République, la devise de la liberté. Comme elle établissait que l’essence même de l’homme l’emportait sur toutes les autres appartenances qui pouvaient le distinguer, elle fut un ressort puissant de l’égalité. Enfin, comme, dans l’école de la République, dégagée de toute inféodation aux croyances et à leurs églises, elle garantissait l’accès de chacun à la connaissance et formait à la tolérance par l’apprentissage de l’ouverture à l’autre, la laïcité constituait le socle solide de la fraternité.
Mais sans doute la laïcité est-elle trop encombrante pour ne pas être la cible de cette obsession de la rupture qui semble guider chacun des pas du Gouvernement. Sur ce sujet grave, la parole du Président de la République, portée au cœur de la basilique Saint-Jean de Latran il y a quelques mois, entend justifier, avec toute la rigueur d’analyse que l’on pourrait trouver dans l’encyclique d’un pape, une nouvelle conception de la laïcité : en quelques mots, l’héritage laïque de la France se trouve bradé, au cœur d’un lieu de culte où, en proie à la jubilation de se voir consacrer chanoine d’honneur de Saint-Jean de Latran, le chef de l’État s’est sans doute cru autorisé à sonder la laïcité avec les arguments d’un pape ultramontain. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) En accusant la laïcité de couper la France de ses racines chrétiennes, il réintroduit la religion au cœur du discours politique, et va jusqu’à consacrer la supériorité du prédicateur qui évangélise sur l’instituteur qui éduque : « Dans la transmission des valeurs et de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le prêtre ou le pasteur […] parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance.»
M. Bernard Cazeneuve. Dès lors, comment ne pas confronter ce propos à celui que tenait Jean Jaurès, à Castres, en juillet 1904, parlant de la laïcité : « Ainsi se dissiperont les préjugés, ainsi s’apaiseront les fanatismes […] Et la conscience de tous ratifiera les lois nécessaires et bienfaisantes dont l’effet prochain sera de rassembler dans les écoles laïques, dans les écoles de la République et de la nation, tous les fils de la République, tous les citoyens de la nation […]» (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Quoi de plus fort que la juxtaposition de ces deux paroles politiques, celle de Nicolas Sarkozy et celle de Jaurès, pour mesurer l’intensité du divorce entre deux conceptions de la laïcité, et de ce fait entre deux conceptions de la République ?
M. Jean-Paul Bacquet. Ce n’est pas la même dimension !
M. Bernard Cazeneuve. La rupture est ici consommée autant qu’elle est assumée. Elle établit non seulement la négation de la laïcité comme valeur républicaine intangible, mais relativise l’apport des Lumières à l’œuvre d’émancipation des hommes désireux d’acquérir leurs libertés et leurs droits contre toutes les formes d’obscurantisme. En fait, en s’attaquant à la laïcité sous prétexte de vouloir en inventer une autre, plus positive – ce qui laisse supposer que celle d’avant les discours de Nicolas Sarkozy était négative -, c’est la politique qu’on atteint, la politique et la République dans ses fondements, c’est l’identité de la France qu’on détruit dans ses principes les plus intangibles.
M. Jean-Paul Bacquet. C’est vrai !
M. Bernard Cazeneuve. On comprend mieux, dès lors, l’effort réitéré de Nicolas Sarkozy pour faire perdre à la France sa singularité. On comprend mieux pourquoi, autant par culture que par conviction, il s’emploie à banaliser le discours de notre pays dans le concert des nations. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Là où la France s’affirmait laïque, il la préfère revendiquant ses racines chrétiennes ; là où elle constituait un refuge, portant une parole singulière dans le monde, il la désire fondue au sein de l’OTAN ; là où son message universel la plaçait comme un pont entre les civilisations, il théorise, hier encore aux côtés de George Bush, le choc des civilisations ;…
Oubliant que la laïcité porte en elle l’espérance de l’affranchissement de l’homme par le dépassement de tous les dogmatismes, votre gouvernement réduit le débat sur l’identité de la France à celui de notre relation à l’étranger
C’est pourquoi la laïcité renvoie à la notion ancienne de peuple formant un tout, à l’idée d’une indivisibilité par ailleurs inscrite dans notre Constitution, à l’unité du peuple français.
Cette unité n’est pas un nivellement. Elle permet à la République laïque, depuis plus d’un siècle, d’accueillir et d’intégrer en son sein l’ensemble de ses enfants.
La France que nous désirons ardemment doit assurer l’égalité républicaine plutôt que réinventer les népotismes d’ancien régime. Elle doit tendre la main à tous les quartiers de ses villes plutôt que de stigmatiser ses banlieues. Elle doit tout mettre en œuvre pour que l’égalité des chances et la méritocratie quittent leur statut de chimère.
M. Jean-Claude Guibal. La France est née de l’adoption par ces tribus gauloises d’une culture étrangère, la culture romaine, qui avait elle-même été fécondée par la culture grecque.
La civilisation française, qui s’est développée sur le terreau du bas empire romain, est la fille de deux colonisations successives dont je me réjouis quant à moi d’être l’un des lointains descendants.
M. Bertrand Pancher. Très bien !
M. Jean-Claude Guibal. Elle doit à la monarchie la forme de son territoire, le choix de sa langue et l’invention de l’État, géniteur et protecteur des Français.
Le siècle des Lumières, la révolution de 1789, les républiques successives ont forgé les valeurs – telle la laïcité – qui sont actuellement les siennes, et dessiné son organisation politico-administrative, y compris la sécurité sociale. Telle est, à très grands traits, la genèse de la nation dont nous avons le bonheur d’être les citoyens.
Poser la question ne signifie pas faire un arrêt sur image en postulant la fin de l’histoire. L’identité est par nature évolutive. Pour être vivante, elle doit s’adapter aux changements du monde qui l’entoure.
Poser la question ne signifie pas faire un arrêt sur image en postulant la fin de l’histoire. L’identité est par nature évolutive. Pour être vivante, elle doit s’adapter aux changements du monde qui l’entoure.
M. Lionnel Luca. Si , de notre débat, découlent le respect du drapeau et de l’hymne national, la défense de la République et de la démocratie, la fraternité, enfin, entre toutes celles et tous ceux qui composent la nation, il y a toutes les raisons, monsieur le ministre, d’y participer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Serge Letchimy. Or, l’identité nationale n’est-elle pas un produit historique diffus et contradictoire ? N’est-elle pas ce que chacun y met, selon son identité propre, ses espoirs et ses souffrances ? Seuls ceux qui ont le pouvoir comme vous, monsieur le ministre, et surtout ceux qui en abusent, peuvent prétendre la définir une fois pour toutes, parce qu’ils pensent en posséder la seule définition légitime ; seuls ceux qui ont le pouvoir et en abusent peuvent opérer la sélection et la hiérarchisation des êtres qu’une telle ambition suppose, quand bien même cet arbitraire se dissimule derrière une consultation qui ne peut être autre chose que la farce qu’elle est en train de devenir.
En ce domaine, définir, c’est choisir, sélectionner et hiérarchiser ; c’est par conséquent exclure : exclure symboliquement et souvent physiquement ceux qui auront l’insigne déshonneur de ne pas correspondre aux définitions que vous aurez vous-mêmes imposées.
La France d’aujourd’hui, monsieur le ministre, plonge ses racines dans toutes les régions d’Europe, d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie, d’Amérique, des Caraïbes et d’Océanie.
Toutes les cultures, toutes les histoires, toutes les langues, toutes les sagesses et toutes les douleurs que portent les cinq continents sont aussi les nôtres, dans le sens où elles s’interpénètrent en permanence sur notre territoire.
Ce sont ces cultures, disais-je, qui font la diversité de notre société, c’est-à-dire son dynamisme et sa richesse. La France telle que vous la concevez, monsieur le ministre, me paraît hors du temps, un peu comme l’homme africain dans l’idéologie coloniale, décrit de manière pour le moins inopportune par le Président de la République à Dakar.
En raison du poids de son héritage colonial et de son statut ancien de pays d’immigration, la France, moins que tout autre pays, ne saurait être réduite à l’identité étriquée que vous tentez de nous imposer. Ce pays correspond bien plus sûrement à un vaste espace d’affiliations multiples, plurielles et en interdépendance constante. La nation n’est donc pas une éternité mais le produit d’un métissage sans cesse renouvelé entre une multitude d’intérêts et d’appartenances sociales, culturelles et politiques qui ne s’excluent pas les unes les autres.
Dans l’espace de liberté qui est le nôtre, espace délimité par le respect de l’intégrité et la liberté de chacun, toutes ces affiliations et ces appartenances subjectives sont également légitimes : il ne vous appartient pas de dire celles qui sont conformes ou non à l’identité nationale, à moins de vous engager dans une voie extrêmement dangereuse, aussi bien pour nos libertés que pour la cohésion sociale.
Je n’ai pas pour référence ceux qui ont fait l’apologie des conquêtes coloniales et du prétendu droit des races supérieures sur les races inférieures – je veux parler de Renan. Parallèlement à la conception élective dont il se réclamait face aux intellectuels prussiens, il affirmait aussi que seuls ceux qui ont des ancêtres communs peuvent être admis au fameux « plébiscite de tous les jours », nous ramenant ainsi à ce grand fantasme de la France éternelle et homogène que je dénonçais plus haut. Aussi, mes chers collègues, Barrès se réclamait-il de Renan : on comprend pourquoi.
Un autre héritage français, également antillais, africain et nord-africain, l’héritage de Césaire et de Fanon, nous invite à nous défaire de ce qu’Achille Mbembe, chercheur sud-africain, présentait comme « un narcissisme politique, culturel et intellectuel dont on pourrait dire que l’impensé procède d’une forme d’ethno-nationalisme racialisant ». Il s’agit bien de nous concentrer sur une approche sociologique pluraliste, cosmopolite et égalitaire, de la société et du « vivre ensemble ».
« Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier, ou par dilution dans l’universel », écrivait Aimé Césaire en 1956.
« Ma conception de l’universel », poursuivait Aimé Césaire, « est celle d’un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers. »
Il est temps de rejeter le vieil assimilationnisme ethnocentrique hérité de la Troisième République ; il est temps de penser l’universalité dans la diversité. Le même Aimé Césaire nous mettait en garde : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » Et il nous invite, au contraire, à une « identité non pas archaïsante dévoreuse de soi-même, mais dévorante du monde, c’est-à-dire faisant main basse sur tout le présent pour mieux réévaluer le passé et, plus encore, pour préparer le futur ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Patrice Calméjane. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’expression « identité nationale » date des années 1980. Elle désigne le sentiment, ressenti par une personne, de faire partie d’une nation. C’est aussi l’ensemble des points communs aux individus d’une même nation et formant un ensemble d’habitus socialisant.
Sociologiquement et historiquement, l’identité nationale d’une personne est une intériorisation de repères identitaires, due à une présence quotidienne de points communs de la nation, de manière intime, pratique et symbolique, organisée volontairement par l’État auprès des individus dès leur enfance.
De manière générale, l’identité nationale d’une personne n’est pas figée ; elle évolue et correspond à un parcours de vie.
Ainsi définie, l’identité nationale semble un concept simple : c’est l’ensemble des points communs partagés par un peuple au sein d’une nation, et qui évoluerait a priori de manière individuelle. « L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence. » C’est bien sur ce point que le débat est engagé.
Certains journaux ont eu l’audace – ou le courage – de dire que le débat lancé par M. Besson était une « gageure ». Nous qui sommes les représentants de la nation, nous nous devons de clarifier les repères des Français. La France, terre d’accueil par tradition, se doit de préciser ce que c’est qu’être français. Ce débat n’a rien d’une catastrophe, d’un cataclysme, d’une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la société française, dont il menacerait la cohésion et la solidarité. Bien au contraire, il représente une aubaine.
La France d’aujourd’hui est métissée, elle se nourrit des apports des uns et des autres. Filiation et affiliation ne doivent pas être pensées comme exclusives, mais plutôt comme complémentaires.
Considérons cela comme une richesse et non comme un handicap, surtout dans notre monde internationalisé, globalisé, où les frontières sont de plus en plus pénétrables physiquement, virtuellement, intellectuellement. De nos jours, un pays fermé, uniquement peuplé d’autochtones, vivant en autarcie, est inconcevable. Grâce à sa diversité, la France dispose indéniablement d’atouts considérables. La France a le monde en elle. Les minorités visibles sont une chance pour l’économie française, elles sont un levier de la croissance économique. En ce contexte de crise avérée, reconnue et vécue, il n’est pas inutile de le rappeler.
Pour conclure, je voudrais vous rappeler un débat qui s’est tenu dans cette assemblée en 1920 à propos de Jeanne d’Arc, l’un des symboles de notre pays. « Ainsi tous les partis peuvent réclamer Jeanne d’Arc. Mais elle les dépasse tous. Nul ne peut la confisquer. C’est autour de sa bannière radieuse que peut s’accomplir aujourd’hui, comme il y a cinq siècles, le miracle de la réconciliation nationale. » Je souhaite que ce débat, comme en 1920, soit un moment de rassemblement, et non pas de division partisane. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Nicolas Dhuicq. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers camarades, mes chers compagnons (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), la France, c’est avant tout un socle commun de trois mille ans d’histoire européenne. Nous sommes les lointains descendants de ces guerriers achéens partis pour l’honneur et la gloire assiéger la cité d’Asie mineure qu’a chantée Homère. (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs.) Nous étions trois cents à combattre aux côtés du roi de Lacédémone pour sauver les cités libres de la Grèce que symbolise la tapisserie derrière moi, et où régnaient la philosophie et la liberté. Nous étions ces patriciens qui se soulevèrent contre l’iniquité des Tarquins pour fonder la République romaine.
M. Jean Mallot. Il a fumé la moquette !
M. Nicolas Dhuicq. Au cours de ces trois millénaires d’histoire, nous fûmes des deux côtés, à Gergovie comme à Alésia, mais aussi à Teutobourg, car nous sommes aussi les descendants de ces peuples germains et celtes qui, librement parmi leurs pairs, savaient élire un chef. Nous avons été forgés par quinze siècles d’histoire de France, quinze siècles pendant lesquels nos rois, nos empereurs et nos Républiques ont su travailler sur deux axes principaux : séparer l’intime et le public, renvoyer le pouvoir spirituel à ses affaires et forger le pouvoir temporel en les séparant.
La laïcité, mes chers camarades, mes chers compagnons, n’est pas née simplement par un beau jour du xviiie siècle. Elle est la lente construction de quinze siècles d’histoire nationale.
M. Serge Grouard. C’est vrai !
M. Nicolas Dhuicq. C’est cela, la France. La France, c’est aussi ce travail d’unité nationale, de cohésion de la nation, de lutte contre les potentats locaux. Et quand j’entends ces duchés provinciaux et ces comtés départementaux oublier qu’ils participent de la nation, je veux leur rappeler que l’État est le seul unificateur, le seul juste mesureur des libertés individuelles et locales. Cela ne nous a pas empêchés de graver dans le marbre de la Constitution l’existence de ces langues que l’on dit régionales et la libre indépendance de ces territoires.
Ce sont aussi des valeurs, les valeurs de l’universel, car la France a cette destinée spéciale d’être universelle. La France et le français, ce sont aussi ces valeurs d’égalité entre les hommes et les femmes, de respect du corps humain qui n’empêche pas la recherche, d’interdiction du travail des enfants et de liberté de pensée. C’est ce pays où le libre penseur et le croyant peuvent cohabiter sur des fondations judéo-chrétiennes qui respectent l’individu et permettent cette liberté de pensée et de parole dont, ici, nous bénéficions tous aujourd’hui.
Mme George Pau-Langevin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier mes collègues du groupe socialiste : alors que, sur la question de la nation, nous avons tous bien des choses à dire, ils ont tenu symboliquement à ce que les porte-parole du groupe soient Marietta Karamanli, Serge Letchimy et moi-même, c’est-à-dire des Français un peu particuliers.
Nous nous demandons ce que vous cherchez avec ce débat. Cherchez-vous à dire que certains Français sont plus respectables que d’autres ? Voulez-vous dire aux étrangers qui viennent travailler dans notre pays qu’ils doivent renoncer à leur propre identité, à leur histoire personnelle ?
Permettez-moi d’évoquer ma propre histoire : je suis née en Guadeloupe, j’ai des ancêtres qui sont venus d’Afrique, j’avais une grand-mère indienne, je suis mariée à un Parisien et mon petit-fils nouveau-né est à moitié kabyle. J’ai l’impression que nous sommes une famille française comme beaucoup d’autres. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.) Ce débat n’est pas digne de la réalité que vivent aujourd’hui tous les Français. (Même mouvement.)
Si l’on peut avoir l’impression que l’identité est remise en cause, c’est parfois par vos services, monsieur le ministre. Je pense à cette famille qui est venue me voir, l’autre jour, et qui est en plein désarroi. Ils se sont vu réclamer avec insistance des preuves de leur nationalité française, alors qu’ils vivent dans ce pays depuis toujours et y ont toujours eu des papiers d’identité. Leurs parents sont venus de Pologne après maintes persécutions et ont été naturalisés français. Aujourd’hui, on veut remettre en cause leur nationalité française, cette identité qui, pour eux, ne faisait aucun doute : c’est leur infliger une blessure insupportable.
En fait, les Français ne doutent pas de leur identité. Attachés aux valeurs de la Révolution de 1789, et particulièrement à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ils savent qu’elle s’adresse aussi aux non-nationaux.
Cette conception n’a jamais été remise en cause, mais au contraire réaffirmée par Renan, même si nous n’éprouvons pas une admiration sans borne pour cet auteur.
Mme George Pau-Langevin. Être français, ce n’est pas une question de race ni de religion : c’est la volonté de vivre ensemble.
M. Éric Raoult. Nous sommes d’accord !
Mme George Pau-Langevin. Si nous sommes tous d’accord, pourquoi ce débat ? Pourquoi cette remise en cause par certains d’entre nous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme George Pau-Langevin. Dans son discours de Latran, le 20 décembre 2007, le Président de la République affirmait que les racines chrétiennes faisaient la valeur de la spiritualité de notre nation. « Arracher la racine, disait-il, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale. » Pour nous, la racine, c’est l’éducation, et je ne comprends pas que ce pays, qui a su apprendre à des milliers d’enfants à travers le monde, avec leurs cheveux crépus ou leurs cheveux frisés, ce poème de Joachim du Bellay : « France, mère des arts, des armes et des lois », ne soit plus capable de l’enseigner aux enfants des banlieues.
Mme George Pau-Langevin. Il faut parler de l’esclavage, de la colonisation, de la collaboration, des guerres parfois sanglantes de la décolonisation.
Tout cela fait partie de notre histoire, tout cela révèle parfois l’intolérance, l’avidité excessive et l’exploitation de l’homme par l’homme, qui vont à l’encontre de l’idéal de la nation. En intégrant au récit national ces faits et ces éclairages qui, jusqu’alors, étaient sous-estimés ou passés sous silence, on permet le partage d’une mémoire, ce qui est très important pour des gens qui ont souvent eu l’impression de ne pas être intégrés à la mémoire et au récit nationaux.
Il ne s’agit pas de repentance : en chacune de ces heures sombres de l’histoire, il s’est toujours trouvé des Français pour défendre les idéaux de la France éternelle. Je pense, par exemple, à propos de l’esclavage, à Condorcet, à Mirabeau, à l’abbé Grégoire et à Schoelcher qui, toute leur vie, ont lutté pour la dignité de la personne humaine, pour l’égalité et pour la fraternité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Sitôt aboli l’esclavage, en 1794, les révolutionnaires ont accordé la citoyenneté française aux hommes de l’outre-mer, sans distinction de couleur. Siègent, depuis lors, dans cet hémicycle, des représentants de la nation de toutes les couleurs. Je pense qu’ils seront encore plus nombreux demain, car il n’y a aucune raison que ce roman national, cette habitude française ne se perpétuent pas avec ceux qui sont devenus français ultérieurement.
Nous allons, je le crois, aller de l’avant. Nous allons faire en sorte que toutes les composantes de la population, issue d’une immigration qui l’a façonnée et qui fut, tout au long des XIXe et XXe siècles, italienne, slave, portugaise, maghrébine, africaine ou asiatique, soient parfaitement représentées. Nous savons que l’immigration procure des ressources à notre pays : elle lui fournit talent, force et jeunesse. Nous savons aussi – nous l’avons entendu tout à l’heure – qu’elle est parfois source de crispations et de populisme ; notre nation, diverse, peine parfois à accepter son altérité.
C’est aujourd’hui en luttant contre les discriminations, dont vous avez parlé, que l’on pourra faire en sorte que chaque enfant des banlieues se sente particulièrement français. Notre pays a énoncé une utopie fascinante, un rêve de liberté et d’égalité. La question n’est pas de changer notre conception de l’identité ou de changer l’identité des habitants de ce pays, elle est de faire en sorte que les promesses d’égalité et de fraternité contenues dans notre pacte républicain soient tenues. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Bertrand Pancher. Les valeurs sont le fruit des grands apports de notre civilisation et du passé, mais aussi la résultante des grandes mutations du temps présent. Les apports de la civilisation sont les héritages gréco-romains, mêlés aux valeurs de la religion judéo-chrétienne et à la pensée du siècle des Lumières. Les mutations de notre temps résultent, pour leur part, de l’infusion de nos cultures nées des échanges et des immigrations.
L’héritage de notre passé se conjuguant aux grands courants présents doit constituer le socle de notre identité nationale. Sans la conscience de qui nous sommes, nous ne pouvons pas nous projeter dans l’avenir.
M. Éric Raoult. Vous proposez un débat, quand d’autres, lors de la dernière campagne présidentielle, réclamaient un drapeau dans chaque foyer ; certains l’ont oublié. « L’identité nationale n’est pas un gros mot », indiquait, pour sa part, Nicolas Sarkozy, durant cette même campagne. Il avait raison !
Quand un pays oublie son identité, il va au-devant de bien des déconvenues, avant un douloureux réveil. Un proverbe africain, que je cite souvent, l’exprime clairement : « Quand on ne sait pas d’où l’on vient, on se sait pas où l’on va. » Quand un pays ne sait plus se regarder en face, il est amené à s’oublier, l’un des meilleurs moyens pour faire le jeu des extrémistes, de faire le jeu de tous ceux qui sont tentés par le communautarisme, la division et la rébellion. L’actualité le montre au quotidien, en France et à l’extérieur.
Certains pays engagent la même réflexion que le nôtre, mais dans la concertation et sans opposition. Je rappelle à nos collègues socialistes qu’en Grande-Bretagne, en Russie ou au Canada, il n’y a pas d’élections régionales. En France, faut-il préférer la culpabilisation qu’ils nous ont imposée durant tout l’après-midi ? Doit-on choisir l’autocensure, non pour diviser ou opposer, mais bien pour fixer des repères, des racines et les valeurs de notre unité nationale ?
Pour le gaulliste que je suis – il y en a un certain nombre dans l’hémicycle (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP) -, notre identité, c’est Schuman, Debré, Michelet, mais aussi Guy Môquet, Jean Moulin, Maurice Thorez et Missak Manouchian.
Cette banlieue, c’est aussi le Grand Stade, la cité de la Muette à Drancy, la basilique de Saint-Denis et le cimetière musulman intercommunal de Bobigny. Notre débat doit être l’occasion de rappeler que la France n’est pas une race, une ethnie ou une religion, mais d’abord une idée : celle de nos valeurs républicaines. Notre identité nationale est avant tout faite de liberté, d’égalité et de fraternité – et maintenant de laïcité.
L’égalité a fait vibrer tous les Français à Saint-Denis, il y a un peu plus de dix ans, dans ce stade mythique qui porte le nom de la France et la mémoire de nos champions du monde qui s’appellent non Dupont ou Durand, mais Zidane, Djorkaeff, Thuram, Blanc ou Trezeguet.
Avec fraternité, la France a su accueillir des milliers de migrants – pas uniquement sous des gouvernements de gauche -, à commencer par tous les anonymes, nombreux sous notre sol, qui ont su reconstruire nos routes ou nos immeubles, et se sont battus courageusement à Verdun et Monte Cassino.
La liberté d’expression permet de voter, de manifester, de se syndiquer ou de critiquer un pays qui, à tout prendre, n’est pas si monstrueux.
La laïcité enfin, qui n’est pas le refus de toutes les religions, mais le respect de toutes les croyances, est unique en Europe.
L’identité de la banlieue, que je pense connaître aussi bien que nos collègues de l’opposition,…l’identité de la banlieue, c’est cette identité du double respect, que le Président de la République rappelle aujourd’hui dans Le Monde : respect de ceux qui arrivent et respect de ceux qui accueillent.
Une vielle expression yiddish promet qu’on peut être « heureux comme Dieu en France ». Tous ensemble, montrons que nous pouvons être heureux et fiers d’être Français. C’est cela, l’identité de notre pays.