Où la mise en FORME de la loi s’apparente à un jeu télévisé célèbre : « Des chiffres et des lettres ».
LE PARLOIR DE LA NATION / Errance 5
« Disputatios » …41 et « maquignonnages » …43
[résumé]
L’essentiel de ce travail de mise en « FORME » se fait lors du débat sur les amendements. Qu’il s’agisse d’« amendements de cohérence », d’ « amendements de conséquence », d’« amendements rédactionnels », mais aussi – et surout – d’« amendements de réflexion », voire d’amendements « à forte charge symbolique », dans tous les cas, deux éléments vont constituer l’ossature même des amendements : les mots, d’une part, les nombres, d’autre part. On pourrait dire (et je reprends là le titre d’une émission télévisée célèbre) que la loi, c’est: « des chiffres et des lettres ».
« Disputatios »[1] …
Je commencerai par les lettres.
A comme « Allocation » … B comme «Bande organisée» … C comme « Centre éducatif fermé » […]
« Des mots, encore des mots ! », me direz-vous. Mais « inscrire dans la loi », c’est précisément « mettre en mots ». Le travail du législateur consiste à «dé-finir» les mots, à dire leur(s) limite(s), leur portée, à montrer en quoi ils font sens et quels effets ils sont susceptibles de produire, une fois « inscrits » dans la loi.
Exercice exigeant […] exercice impossible ? […]
Gare aux « arracheurs de dent s», à ceux qui « dévitalisent » les mots … car, souvent, plus que les mots eux-mêmes, ce qui compte, c’est ce qu’il y a «derrière » les mots. Les mots, ils en savent des choses![2]».
Et, quand Il s’agit des mots des députés, non seulement ils « savent », les mots, mais ils « disent », ils « font ». (Car à l’Assemblée, « dire », c’est « faire » !). Et, de ce qu’ils disent, de ce qu’ils font – les mots des députés – vont dépendre les droits et les obligations de tout un chacun.
Je dirai qu’il est des mots « porteurs » (« égalité » ) …
… des mots. « doseurs » ( « normal » / « suffisant/ « essentiel »/ « déterminant »…)
… et « maquignonages »
Venons-en aux chiffres. Ces derniers occupent une grande place dans les débats. (Et pas seulement dans les débats budgétaires !)
Est-il question de fixer à 16 ans la limite d’âge à partir de laquelle il est interdit de vendre des paquets et à 19 le nombre de cigarettes contenues dans un paquet ? « Pourquoi 16 ans ? » dira un député […]« Pourquoi 19 cigarettes ? », dira un autre […]
Est-il question de fixer le seuil de participation électorale à partir duquel il sera possible de prendre en compte le résultat du « référendum d’initiative locale » que le texte de loi se propose d’instaurer ? […]
Un député dira à la fin du débat : « Je n’ai pas été convaincu par cette espèce de discussion de république épicière qui me fait penser aux négociations sur le marché de mon village, quand il s’agit d’acheter un veau et de négocier le prix. »
Un autre lui répondra : « Ce n’est pas indigne de négocier! Pourquoi ce mépris pour ceux qui vendent leurs bêtes ? »
Qu’il me soit permis de dire mon total accord avec cette dernière remarque car il me souvient, enfant, à la ferme ou « sur le marché de mon village », de ces interminables « maquignonnages », de ces désaccords qu’à mon grand dam, je jugeais irréductibles et qui, d’un seul coup, sans que je puisse comprendre le pourquoi ni le comment, devaient se trouver résolus, puisque les protagonistes se retrouvaient à rire autour d’un verre, chacun étant convaincu d’avoir fait une bonne affaire … et que le prix sur lequel on s’était mis d’accord était le seul prix possible … parce qu’il était à la fois nécessaire et juste ! [3]
Cet exemple doit nous mettre en garde : des échanges qui nous paraissent anodins, anecdotiques, chaotiques, – voire déplacés – peuvent être porteurs d’un sens qui dépasse le contenu même de ce qui est dit et, par là-même, nous permettre d’entrevoir des éléments de réponse à la question qui/que traverse le présent ouvrage : « à quoi servent les débats de l’Assemblée nationale ? »
[1] Cette expression dérivée du latin « disputatio » ( « examen, discussion ») était fréquemment employée au Moyen-âge pour qualifier des discussions animées portant, le plus souvent, sur des concepts théologiques.
[2] Cf. la phrase de René Char citée en exergue (« Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ne savons pas d’eux. »
[3] Souvent le marché était conclu sur la phrase suivante : « Et puis çà en plus – c’est le maquignon qui parle – pour les études du petit ! » – là, c’est de moi qu’il s’agit … et c’est peut-être ce qui vaut au lecteur le plaisir (c’est du moins ce que j’espère !) de me lire.
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