06/ le « point DELTA » ou l’art de « marier les contraires »


Où il est dit que, pour avancer, il faut accepter de mettre une jambe en déséquilibre – en conséquence de quoi l’auteur invente le concept de « point DELTA » pour dire le point d’équilibre que doit atteindre la loi ( lequel point d’équilibre est, en fait, un point de déséquilibre ).

LE PARLOIR DE LA NATION  / Errance 6

Le leitmotiv du « ET  … ET … » …47
La loi … une question d’« équilibre » et de « dosage » …48
« Marcher sur ses deux jambes » …50 Le « point DELTA » …52

[résumé]

Le leitmotiv du « ET  … ET … »

Nous avons vu que, le plus souvent, au niveau des principes, il n’y a pas de vrais désaccords entre les députés de droite et de gauche (« Nous sommes tous d’accord pour dire … »). Mais le discours d’Assemblée fonctionne comme un gigantesque oxymore. On affirme en même temps, avec la même intensité, deux principes – parfois plus – qui, s’ils ne sont pas contradictoires, sont, le plus souvent, difficiles à mettre en œuvre simultanément .

Exemples :

préventionetrépression / sécuritéetprotection des libertés publiques / intérêt des salariésetdévelopp ement économique / liberté de la presseetrespect de la vie privée / etc.

Plus la distance est importante entre les deux principes, plus les différents locuteurs répètent à l’envi qu’il faut «concilier » … « conjuguer » … « allier » … « marier » … « articuler » … « mettre en cohérence » … les principes concernés.

Il existe d’ailleurs une formule qui permet de résoudre – symboliquement ! – ce type de contradictions : « tout en ».  La formule est très performante car réversible : le « tout en » peut renaître, d’un débat à l’autre, d’une alternance à l’autre,  sous une forme différente.

La loi … une question d’« équilibre » et de « dosage »

Un député dira : « Une bonne loi est une loi juste, proportionnée et équilibrée» Et, de fait, cette question de l’« équilibre » est au centre de tous les débats. […]

Mais « derrière » ce mot « équilibré » (pour reprendre la comptine de mon enfance) « savez-vous quoi qu’il y a ? »

« Il y a » … de la physique et de la géométrie !

On y parle de « point  d’intersection » … de « centre de gravité » …  de « curseur »  de « taquets »  … de « contrepoids »

On y parle de « juste milieu »  … de « juste mesure » […]

Tel le chercheur, en son laboratoire,  le député « expérimente » … « corrige » … « évalue ». Il prend la « mesure » des choses … calcule les « doses » :  « un peu plus de »  justice par là, « un peu plus de » sécurité par là  …

 « Marcher sur ses deux jambes »

Ces images techniciennes ne sauraient rendre compte, à elles seules, de ce qui est en « jeu » avec ce  leitmotiv de l’« équilibre ». […]

En fin de compte, dira un député, dans un débat relatif à la meilleure façon d’articuler lutte contre la délinquance juvénile et protection des mineurs, il s’agit d’apprendre à « mieux marcher sur ses deux jambes ». […]

Or, qu’est-ce que la marche ? C’est un exercice dynamique, qui nous permet d’avancer (« Chacun sait que, quand on trouve l’équilibre, on peut, on sait, on doit avancer. »), grâce à une alternance d’équilibre et de déséquilibre, l’équilibre consistant à  « retomber sur ses (deux) jambes » … mais après – et après seulement – que l’une d’elles ait été – volontairement – placée en déséquilibre.

[…]

La démocratie, dira un député,  « c’est, un chemin, une voie, c’est aussi le doute et la recherche perpétuelle d’un équilibre instable ».

Le « point DELTA »

J’appellerai ce point d’«équilibre » – qui est, en fait, un point de  déséquilibre – le « point DELTA » (« DELTA » comme « D » … « D » comme « Démocratie »)

Par définition, ce point est « instable ». Il n’est jamais donné une fois pour toutes. Il n’est jamais positionné au même endroit. Ce qu’une majorité a fait, une autre peut le défaire.

[…]

Ni « Alpha » ni « Omega » … ni point de départ ni point de rupture … ni création ex nihilo, ni point ultime, définitif ( alors que, souvent, le député affirme vouloir régler le problème « à tout jamais », de « façon définitive ») …ni jour ni nuit … ni ombre ni lumière … le « point DELTA » est « ce point secret, mystérieux, sans doute insaisissable » dont parle une députée d’outremer … ce point « qui est la marque de chaque société » et que « la modernité, par ses assauts sans cesse renouvelés, tente de gommer ou d’éliminer ».

Tel est le « point DELTA » qui permet de donner FORME à la demande du TIERS – plus précisément, au texte de loi qui tente d’apporter une réponse à cette demande.  C’est le point où la société « s’ajuste », « trouve ses marques ». à un moment donné ; pour une durée inconnue, aléatoire. C’est le temps du « juste ce qu’il faut ». Juste ce qu’il faut pour que la loi soit « juste » (« Une bonne loi est une loi juste, proportionnée et équilibrée. »). Non pas en vertu d’une justice transcendante qu’il faudrait découvrir, inscrire, traduire, réaliser dans le concret de nos vies. Mais au sens de « ce qui va » « juste ». Donc de ce qui est nécessaire. […]

Le « point DELTA », c’est le point où s’opère la fusion de la réalité et du désir fait loi.

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