10/l’ »échelle-lieu » du député


Où l’auteur explique … que la loi « se nourrit »  du « sacro-saint terrain » et que la raison d’être du débat est de dire l’« ici et maintenant » de la nation …

LE PARLOIR DE LA NATION / Errance 10

La « dimension humaine » du débat (« On n’est pas des épiciers ! ») … 73
Le député en son pays (« Je tiens à dire d’où je parle. ») …76
Le « sacro-saint terrain » … 78
Donner CHAIR et VIE à la loi …80

[résumé]

La « dimension humaine » du débat
(« On n’est pas des épiciers ! »)

Il ne suffit pas de dire : « Il est ICI, le peuple souverain ! » pour qu’il en soit réellement ainsi. Le « peuple souverain » – que j’appelle ici «  le TIERS » -, il faut le faire exister, lui donner CHAIR, lui donner VIE. « Représenter » cela veut dire : rendre présent ». Faire en sorte que ce TIERS soit présent au débat quoique physiquement absent.

Les députés disent souvent :   « Voilà la réalité à laquelle sont confrontés les gens . » ou «  Ce qui m’intéresse [nous intéresse],  ce sont les gens. ». Et c’est ainsi qu’au fil des mille et mille pages du Compte rendu intégral se présentent à nous des « gens » – une multitude de « gens ».

[…]

Il n’est pas une catégorie de « gens », qui, à un moment ou un autre, ne soit convoquée au débat. C’est ce qui donne , disent les députés, une « dimension humaine » au débat ( et à la loi ). « On n’est pas des épiciers !» dit l’un d’eux …  Il faut, dit un autre député, « remettre l’homme au cœur » des débats ». […]

Il est des débats qui se prêtent plus que d’autres au dévoilement de cette « humanité ardente et voilée » dont parle de Gaulle ( lequel ne fut pourtant pas un défenseur acharné du Parlement !)
Le débat sur la bioéthique, par exemple ( puisqu’« ici » – en ce temps, en ce lieu -, « on parle de vie et de mort ».)

Cette « dimension humaine » irrigue peu ou prou l’ensemble des débats. Quoi de plus normal, puisque la loi est une œuvre humaine, faite par des hommes, pour des hommes. Elle a besoin, certes, de rigueur, de précision ; mais il lui  faut aussi du « cœur », de l’« émotion », de la « passion ».  Il faut donner à la loi de la couleur, de la chaleur, de l’« étoffe ». Bref, de la VIE, de la CHAIR

C’est le cas, par exemple, lorsque les députés font appel à leur histoire personnelle et/ ou familiale. « Je tiens à dire d’où je parle. » dira  un député d’outremer .

« Je tiens à dire d’où je parle. »

Le « pays » d’où « il » parle, le député, c’est ce pays auquel il a été « enlevé », duquel il a été « séparé », « coupé » – car tels sont les différents sens du verbe latin « deputare » .

De ce « pays » , le député partage …  le parler … le tempérament … l’histoire … […]

En d’autres termes, le député « se nourrit de » de ce « pays ».

Et c’est ainsi que la loi, au fil des débats, se charge de matériaux en tous genres puisés dans les fins fonds du « terrain ». Lors donc, il ne s’agira plus d’une loi abstraite, mais d’une loi « extraite » ( comme le charbon ! ) . Une loi concrète,  « ancrée dans  les réalités du terrain et dans le quotidien » […]

Une loi  « charnelle », dira un député .

[Ainsi] « Représentation » va de pair avec  « incarnation » . […]

Parce qu’une fois dite, une fois faite, une fois votée, la loi se présente à nous comme  une parole figée, définitive, nécessaire – nécessairement juste, désespérément vraie – il faut, en-deçà, en amont, -avant que ne se produise la fixation, la glaciation,  une intervention qui lui donne de la couleur, de la chaleur, de l’étoffe. Il faut habiller la règle de droit, de sorte qu’elle ne vienne pas nous choquer de par sa nudité. Il faut enraciner la norme dans le concret, dans le divers, le particulier, le coloré. Le TIERS ne reconnaîtra comme sienne la loi votée que si ladite loi lui dit quelque chose de lui-même, que si, par un biais ou par un autre, elle lui ressemble.

Le « sacro-saint terrain »

Le support de cet « ancrage » , de cette « incarnation », c’est le « terrain » – le  « sacro-saint terrain » dira un député, en plaisantant. […]

Le « terrain », c’est en quelque sorte un label, une appellation d’origine contrôlée. Il en est du député  comme du « bon vin ». Dans une autre législature [1981-1986], un député ne disait-il pas : « On fait une bonne loi comme on fait du bon vin. »

 […]

Le député, « c’est comme »  le paysan . […]

« Faire produire à la terre ce qu’elle [a] de meilleur » … Tel est l’idéal que le député partage avec le paysan : fécondité de la terre, fécondité de la loi. Et, tel le paysan, les yeux rivés sur le temps qu’il fait et surtout sur celui qu’il va faire, plié sous le joug d’une météo fatidique et soumis aux caprices d’un temps incertain, le député s’arc-boute pour ne pas subir, puisant  aux sources de la tradition et inventant de nouvelles modernités.

Donner CHAIR, donner VIE.

La loi, [c’est comme] un corps vivant. Un corps qui s’adapte, qui évolue, qui régresse, qui progresse.

[Aussi peut-on dire] le débat comme une « incarnation » : un temps, un lieu où « les gens » – « les citoyens », « les électeurs » ( et même ceux qui ne le sont pas ) – se constituent en tant que TIERS et deviennent, à ce titre, « partie prenante » à la loi.

Donner CHAIR, donner VIE à la loi : une seule et même démarche. Si, « représenter », c’est « rendre présent », on pourrait dire aussi que « re-présenter », c’est « présenter à nouveau » et, par là-même, « rendre actuel ». Pour que l’« incarnation » se révèle « féconde », il importe que le TIERS ne soit pas une entité générique, hors du temps. Ce doit être un ensemble vivant. […]

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