Où il est dit qu’il y a une contradiction à vouloir à la fois faire une loi « durable » – inscrite dans le temps long – et répondre aux exigences de l’« ici et maintenant ».
LE PARLOIR DE LA NATION / Errance 11
L’« aujourd’hui » du débat …83 L’invention du « demain » (une loi « durable ») …84
Le député : un « diseur », un « faiseur » de temps …85
La « valse à mille temps » … 86 Le vocabulaire du « destin » et de la « fatalité » …87
[résumé]
L’« aujourd’hui » du débat.
La représentation ne s’inscrit pas seulement dans un espace-lieu , mais aussi dans un espace-temps. Le débat, c’est l’« ici » et l’« aujourd’hui » de l’Assemblée ( et, nous le verrons, de la nation ) De même que l’espace-lieu s’articule entre un échelon local et un échelon national, l’espace-temps intègre à la fois l’« immédiateté » ( l’« époque » ), et le « temps long » ( ce « dépôt vivant », qui « enracine » et qui « éclaire » ) : « L’Assemblée nationale est à la fois en prise avec l’époque, avec l’immédiateté, et très enracinée dans le temps long, celui qui éclaire, ce dépôt vivant où nous puisons pour réformer et construire l’avenir. »
L’« aujourd’hui » du débat, c’est d’abord un constat. ( « Aujourd’hui … les jeunes vivent dans un monde virtuel.») […]
Mais le député ne saurait se résoudre à n’être qu’un besogneux diseur de quotidien. L’« aujourd’hui » du débat, c’est aussi une exigence, un projet (« Aujourd’hui … Il est urgent de …») […]
L’« aujourd’hui » du débat, c’est le « demain » du citoyen … et de nos enfants. ( « Nous n’avons pas le droit aujourd’hui, face à l’histoire, face à nos enfants qui liront ces débats dans vingt ans …. » )
L’invention du « demain »
(plaidoyer pour une loi « durable »)
Tel un chercheur, un pionnier, le député « invente » notre lendemain : « Nous faisons aujourd’hui une œuvre utile, une œuvre de pédagogie, une œuvre de dessin de l’avenir. ». Et, puisque de son vote « dépend pour beaucoup l’avenir et le visage de la France que nous léguerons à nos enfants », il ne saurait s’agir d’un dessin éphémère. « Lorsqu’on fait la loi », il faut la faire « avec la conviction qu’on le fait pour longtemps ». Il s’agit, en quelque sorte de faire une loi pour le « temps long » … une loi « au long temps » : « Lorsque l’on fait la loi, il faut la faire durable. ».
« Inventer l’avenir », c’est … faire du « durable » .
Mais quand la présence du TIERS se fait des plus « pressantes » … quand que la loi votée est – trop souvent – une loi dictée par les … quand l’urgence est érigée en mode d’intervention quasi … alors il convient de prendre au sérieux le député qui, pour tempérer les ardeurs de son collègue en mal de réforme(s) s’exclame : « Comme il est difficile d’inventer l’avenir ! » … et encore plus, de faire du « durable » … quand, le député est « ballotté au gré des vagues provoquées par le suffrage universel. « Fruit d’un moment donné de l’expression populaire », il ne sait pas si demain, le « sort des urnes » lui sera favorable (« Une majorité ça va, ça vient ! »)
Le député : un « diseur », un « faiseur » de temps
Et pourtant, si l’on veut faire du « durable », – et il le faut – il faut du temps. Or le temps est, pour le député, une denrée rare et incertaine. Comment faire du durable avec de l’incertain ?
Tel est l’un des paradoxes mis en évidence dans/ par le débat. En conséquence de quoi, il ne faut pas s’étonner que la référence au temps soit omniprésente dans le discours des députés. […] Comme une obsession.
Le député se présente à nous comme un « diseur » de temps.
Du temps qu’il fait, du jour et de la nuit ( « Avant votre arrivée, c’était la nuit ! Depuis, le soleil brille !»),. de la pluie et du beau temps ( « Après la pluie vient le beau temps ! ») , des quatre saisons (« Après l’hiver viendra le printemps ! » )
… du temps qui nous fait, du temps qui nous a fait … le temps de l’Histoire …
… le temps de la mémoire ( L’hémicycle n’est-il pas « théâtre de tant de débats qui restent gravés dans la mémoire collective de notre peuple » ? )
Le député se présente aussi à nous … comme un « faiseur » de temps . ( Ce qui est une autre façon de parler du temps qu’« il » fait … lui, le député ! ) Mais ce temps – le temps qu’il dit, le temps qu’il fait – apparait comme un temps éclaté, un temps hybride.
Ce temps, on pourrait le dire, à la façon de Jacques Brel, comme une valse.
La « valse à mille temps »
« Une valse à trois temps » … « Aujourd’hui » … « Demain » « Après-demain »
« Une valse à quatre temps » ? … parce qu’entre-temps, l’entrepas de la danse, l’entrepas de l’alternance va entraîner les danseurs dans un tourbillon sans fin … « dans l’Assemblée que le vote rafraîchit au printemps » …
« Une valse à vingt ans » ? … parce qu’il y a vingt ans … « 1981 » …
« Une valse à cent ans » ? … parce que « çà s’entend » à chaque séance … Jaurès… Jules Ferry … Paul Bert … Victor Duruy …
« Une valse à mille ans » … ? parce que c’était le temps des « féodalités » et du peuple asservi … … « Valse à mille temps » … parce que la démocratie a « mis le temps » pour nous atteindre, pour nous rejoindre
Ainsi – de la petite lumière rouge qui clignote et qui marque la fin de son intervention à l’hommage rendu aux grands noms de la République qui l’ont précédé sur les bancs de l’hémicycle , en passant par l’attente anxieuse des prochaines échéances électorales – ainsi se dit, ainsi se vit, ainsi se valse le temps du député. Et il aura « mille trois cent trente fois le temps » de « bâtir un roman » … le roman de la démocratie.
Le vocabulaire du « destin » et de la « fatalité »
Mais ce « roman » n’a rien d’un roman à l’eau de rose ni d’un « long fleuve tranquille ». La transcription qui en est faite le Compte rendu intégral nous fait pénétrer dans une sorte d’univers magique où la lutte contre le « destin », contre la « fatalité », se nourrit d’amertume et de désillusions à force de discours et de tâches éternellement recommencées.
Il est souvent question d’une « spirale », d’un « cycle vicieux », d’un « cercle générateur de violence » […]
Il est dit qu’il faut … « en finir » – « à tout jamais » … « définitivement » avec … […]
Il est dit qu’il faut combattre le « terrible sentiment de fatalisme ». […]
Il est question d’un « serpent de mer » … du « monstre du Loch Ness » …ou encore (à propos de l’insécurité) d’une « hydre aux têtes toujours renaissantes ». ( En plus réjouissant – mais l’idée est la même – il est fait allusion aux Shadocks ! ) […]
Les députés n’ont de cesse d’inscrire leurs débats dans une perspective historique, tant il est vrai que « cette Assemblée a une histoire ». Tel débat « ramène à une histoire » ( « qui restera tragique pour notre pays » ) … tel autre « est l’aboutissement d’une histoire ». Et gare à ceux qui veulent « faire tourner la roue de l’histoire à l’envers » !
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