Où, après avoir dit que la loi doit « faire SENS », l’auteur s’interroge sur ce qui est susceptible de faire sens : l’« idéologie » ?… les « valeurs » ? … le « bon sens » ? …
LE PARLOIR DE LA NATION / Errance 13
Faire SENS …99 « Une loi ne peut pas tout.» …100L’apologie du « bon sens » …102 Vers une réhabilitation de l’« idéologie » ? …104
[résumé]
Faire SENS
Pour que « cela » « tienne », pour que « cela » « continue à » tenir, pour que la démocratie soit – et demeure – « notre horizon d’attente »[1], il faut que la loi « fasse SENS ».[…]
« Faire SENS » … cela peut avoir plusieurs sens !
En premier lieu, cela signifie que le texte de la loi doit être « clair, net, précis, compréhensible par tous » … « bref et efficace, simple et lisible ». […]
En second lieu, cela veut dire que le texte doit « aller » dans un certain sens. Il doit avoir une finalité, un objectif ?. Une loi « vise à » , « tend à ». C’est ce qu’exprime la métaphore du « chemin ». Les députés utilisent aussi différentes métaphores liées à la navigation maritime ( tel un marin expérimenté, le député doit « trouver le cap juste » … et le « garder » !)
En troisième lieu – et c’est sur ce point que nous allons nous attarder – le SENS, c’est ce qui « anime » le texte, ce qui lui « donne vie ». C’est ce qui fait que le texte ne va pas rester « lettre morte » et qu’il va «porter des fruits».
[…]
« Une loi ne peut pas tout.»
J’ai déjà dit l’Assemblée « comme une [gigantesque] messagerie ». C’est le lieu, le temps, où parviennent, pêle-mêle, une multitude de « messages » en provenance de toutes les régions, de tous les catégories de la population. […] M ais le débat, c’est aussi, en sens inverse, le lieu d’où partent des « messages » en direction de celui qui était à l’origine de la demande et qui va être impliqué dans d’application de la loi votée ( qu’il ait souhaité ou non ladite loi ). Souvent, tout se passe comme si la loi elle-même était « message », « signe », « signal » avant d’être production de droit. ( « Cette loi est un signal fort en direction des Français. » )
Plus précisément, pour que la loi produise un effet – c’est-à-dire pour que la situation du plus grand nombre soit meilleure après qu’avant le vote de la loi – il faut, à tout prix, que le TIERS « comprenne » le pourquoi et le comment de cette loi.
[…]
« Le peuple» – le TIERS – est capable de « comprendre ». à condition qu’on lui explique, que l’on fasse preuve, à son égard, de « pédagogie ». Il faut, disent les députés, « convaincre », « gagner la bataille de l’opinion publique ». […]
Mais une loi, fût-elle « simple, claire, intelligible » … « compréhensible » ( et effectivement « comprise » par le citoyen ), fût-elle « applicable » ( et consciencieusement appliquée ) … fût-elle « équilibrée » ( et fortement arrimée en son « point DELTA » ) … fût-elle à « dimension humaine » … en d’autres termes, fut-elle une « bonne loi » – une loi ne saurait se suffire à elle-même : « Une loi ne peut pas tout. » […]
Ainsi le TIERS est –il appelé à « mobiliser » toutes ses « énergies », à se « responsabiliser », à « faire preuve d’initiative ». Non seulement, il faut que le corps social « comprenne », mais il faut qu’il « adhère » à la loi, qu’il la « partage », qu’il la « fasse sienne ». Et même qu’il « accepte » de « changer » sa façon de voir, son comportement.
[…]
L’objectif est ambitieux. Alors, une question se pose : qu’est-ce qui est susceptible de provoquer une telle mobilisation ? Autrement dit, qu’est-ce qui est susceptible de « faire SENS » ?
L’apologie du « bon sens »
Si vous posiez cette question à votre député, il y a de fortes chances pour qu’il réponde ( qu’il soit de droite ou de gauche ) : c’est le « bon sens » … qui fait SENS !. […]
Dans le discours du député, cette image du « bon sens » est incarnée par le paysan . Mais aussi par le chasseur […]
Barthes disait que le « bon sens » est « une vérité qui s’arrête sur l’ordre arbitraire de celui qui le parle ». Les députés, eux, disent : le « bon sens » s’arrête où commence l’idéologie. […]
Haro donc sur l’« idéologie »! […]
Il s’en suit d’interminables parties de « yoyo » qui, certes, contribuent à l’animation du débat, mais qui, comme le dit un député, ne font pas beaucoup « avancer le « schmilblick« » et qui, en tout cas, ne sont pas particulièrement porteuses de SENS.
Trouverons-nous un terrain plus porteur avec les « valeurs » ? […]
Seulement, dès que l’on tente de préciser de quelle(s) valeur(s) il s’agit, le consensus vole en éclat : « Nous n’avons pas les mêmes valeurs! »
Et cela d’autant plus qu’il ne suffit pas d’affirmer – de réaffirmer – ces valeurs pour qu’elles fassent effectivement SENS :
Vers une réhabilitation de l’« idéologie » ?
À ce stade, force est de constater que notre quête du SENS – ou plus précisément, notre recherche d’un ( ou de plusieurs ) fondement(s) au SENS – n’est pas particulièrement féconde. Parlant du « bon sens »,( « Ah, l’idéologie du bon sens ! » ), un député – de l’opposition – tente d’inverser le cours du débat : « Si le bon sens régnait dans notre pays, on aurait besoin de beaucoup moins de lois. Mais heureusement, la loi est là pour que le bon sens soit le même pour tous. »
D’autres vont cependant tenter de réhabiliter l’idéologie : « Ce combat est idéologique au bon sens du terme. Il permettra de redonner des repères à nos concitoyens les plus égarés. [c’est un député de droite qui parle.] … « L’idéologie, c’est la force des idées. Nous sommes ici pour faire vivre ces idées. » [là, c’est un député de gauche qui parle].
Mais l’observation des débats nous amène vite à déchanter. Même le triptyque fondateur « liberté, égalité, fraternité » ne résiste pas à l’épreuve des débats ; bien plus, le sens de chacune des composantes fait l’objet de débat(s) – sans parler des débats relatifs à l’articulation, à la hiérarchisation, de ces principes. Il faut reconnaître que les premiers Constituants n’ont pas choisi pour leurs successeurs la voie de la facilité. En effet, juxtaposer en une seule et même formule trois idées aussi riches et complexes que sont la liberté, l’égalité et la fraternité, cela entraîne nécessairement des expérimentations ( donc « essais et erreurs »), puisqu’il s’agit, à propos de chaque problème particulier, de trouver le(s) meilleur(s) moyen(s) ( ou le(s) moins mauvais ) de faire cohabiter ces trois principes, à défaut de pouvoir les concilier. Cela, en tout cas, ouvre des espaces quasi infinis pour les débats parlementaires.
[1] J’emprunte l’expression à Gérard Noiriel (in Le Monde diplomatique/ octobre 2007) ; l’expression exacte est : « la démocratie, notre unique horizon d’attente ».
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