Où l’on s’interroge sur la (les) façon(s) de faire exister ce corps solidaire qu’est la nation et quand il est dit que, seul, le débat peut permettre de construire un véritable « sens commun » .
LE PARLOIR DE LA NATION / Errance 19
L’« appel à consensus », un classique de l’Assemblée …151
L’exemple du débat sur les retraites (2003) …152
« Les débats ne sont jamais stériles. » …155
À quoi servent les débats ? (Faisons le point.) …157
Les deux formes du consensus …158 « Du choc des idées jaillit la vérité. »160
[résumé]
L’« appel à consensus », un classique de l’Assemblée
[…] « Nous sommes tous ici des élus de la République.» … « Il n’y a ici que des députés de la nation. »…
Et puisque la nation, nous l’avons vu, est « l’union d’un peuple autour des principes indéfectibles de liberté, d’égalité et de fraternité », il importe […] de « dépasser les frontières partisanes », de « transcender les clivages partisans » […]
En vertu de quoi les appels à consensus se multiplient
( « Seul un large consensus nous permettra de … » … « Les polémiques politiciennes n’ont pas leur place lorsqu’il s’agit de … »)
Le « consensus » – c’est-à-dire l’unité de l’Assemblée des représentants – comme figure, garantie, outil de l’unité de la nation ! : tel est ce que tentent de mettre en évidence ces « appels à consensus ».
Mais qu’en est-il dans le déroulement concret des débats ?
L’exemple du débat sur les retraites (2003)
Prenons l’exemple du débat sur les retraites de 2003. Ce dernier démarre, lui aussi, par des appels au consensus, au rassemblement ou, à tout le moins, des appels au débat. ( « [c’est le ministre en charge du dossier qui parle] , cette réforme devrait nous rassembler. » […]
Mais au cours des séances suivantes, majorité et opposition vont se livrer – à l’envi – à divers « jeux de rôle » qui sont autant de « classiques » de l’Assemblée.
[Jeu de rôle 1] : l’opposition se livre à des manœuvres de retardement ; la majorité l’accuse de faire de l’obstruction.
[Jeu de rôle 2] : pour contrer l’obstruction, les députés de la majorité s’abstiennent d’intervenir dans le débat ; les députés de l’opposition les accusent de refuser le débat … et les traitent de « godillots ».
[Jeu de rôle 3 ]: l’opposition critique, au fond, le projet de la majorité ; la majorité dit que l’opposition n’a rien compris, qu’elle fait des « procès d’intention » … et qu’elle est de « mauvaise foi ».
[Jeu de rôle 4]: l’opposition se risque à faire des propositions, la majorité les rejette systématiquement … puis affirme que l’opposition n’a rien à proposer.
[Jeu de rôle 5]: ne pouvant faire passer ses amendements, l’opposition multiplie les questions ;elle accuse la majorité de ne pas y répondre; la majorité soutient que c’est l’opposition qui n’écoute pas les réponses qui lui sont faites … parce qu’elles ne lui conviennent pas.
[…]
Toujours en est-il que … 156 heures … et 57 minutes (!) … plus tard …l’Assemblée parviendra quand même à « digérer » les plus de 8.000 amendements ayant fait l’objet d’un débat.
L’heure est au bilan … et quelle n’est pas notre surprise de voir ladite Assemblée se féliciter d’aboir eu un « beau » et « bon » débat (« argument contre argument ») … « un vrai débat parlementaire » ( « qui fait honneur à notre institution ».
« Contrairement à ce qui était la règle depuis bientôt vingt ans, nous avons su écouter » … « discuter du fond du problème » … « décider » (« quels qu’aient pu être les obstacles à cette réforme. » […]
« Au cours de ces longues semaines, nous avons pu montrer qu’on pouvait s’opposer en s’estimant, on pouvait discuter en se respectant, et c’est cela, la démocratie parlementaire » [le président de l’Assemblée]. (Applaudissements sur tous les bancs.)
« Les débats ne sont jamais stériles. »
« Applaudissements sur tous les bancs ! » Je sens le lecteur sceptique : comment est-il possible que les mêmes acteurs puissent, au cours d’un même débat, se livrer à des jeux et affrontements violents et répétitifs et terminer par un bilan aussi élogieux ?Hypocrisie ? Inconscience ?
De fait, il faut avoir la « foi du charbonnier » ( pauvre charbonnier, lui que l’on présente le plus souvent comme un mécréant !) pour oser dire – comme l’a fait le président de l’Assemblée, à l’issue d’une séance des plus houleuses: « Monsieur B., les débats à l’Assemblée nationale ne sont jamais stériles. » […]
Est « stérile » – nous dit le dictionnaire, « ce qui est exempt de tout germe , de toute perturbation, de tout élément pathogène »
Diantre ! compte tenu de ce qui précède, il paraît difficile d’affirmer qu’il n’y a pas d’éléments pathogènes dans le débat !
[…]
Il nous faudra donc nous attacher au deuxième sens du terme. Est « stérile » ce qui ne débouche sur rien, qui ne produit rien » … autrement dit ce qui est improductif, inculte, infécond, infertile, inutile, inefficace », infructueux », etc. Donc , si l’on en croit le dictionnaire … et les propos du président -, les débats de l’Assemblée sont toujours (?) fructueux, efficace, utiles, fertiles, féconds, productifs.
Oh ! paradoxe, quand tu nous tiens ( une fois de plus ) !
A quoi servent les débats de l’Assemblée nationale ? Faisons le point
Débattre, avons-nous vu, … c’est donner CORPS à la loi, faire le tri dans les revendications multiples et contradictoires du TIERS, en extraire ( à la façon d’un alambic !) […]
C’est donner FORME à la loi, la « façonner » (« « Vingt fois, sur le métier, remettez votre ouvrage !« »). […]
C’est donner FORCE à la loi, faire en sorte que l’ABSENT soit « quand même » partie prenante à la loi […]
C’est donner VIE à la loi, faire en sorte que l’« ici » et le « maintenant » de la loi s’inscrive dans la durée – dans le « durable » […]
C’est donner CHAIR à la loi, habiller la règle de droit ( lui donner de la couleur, de la chaleur, de l’étoffe), l’enraciner dans le concret, dans le divers, le particulier, le coloré. […]
C’est donner SENS à la loi, faire et refaire sans cesse le chemin qui va de l’idéal au réel. […]
C’est faire du LIEN, transformer le lien « atomisé » ( qui se forme et se manifeste dans l’isoloir ) en un lien civique, collectif, commun , solidaire ; c’est s’attaquer à la « grande œuvre » (celle de « l’organisation fraternelle ») qui va faire de ces citoyens épars des citoyens « conduits au même but, rattachés à la même idée, et vivant du même cœur ».
C’est faire de l’UN.
Les deux formes du consensus
À cela j’ajouterai que « faire de l’UN », c’est produire un « SENS commun ».
Non pas un simple « bon sens » à l’ardéchoise.
Non pas un sens « négatif » – un « ni… ni… » […]
Non pas une simple évocation des « fondamentaux » – les « principes », les « valeurs » […]
Non pas un « no man’s land » entre belligérants, une terre pacifiée qui ne serait plus terre d’homme et de combat.
Non pas ce que j’appellerai un « consensus ab initio » et qui est tout à la fois « consensus d’évidence » et « consensus d’évitement ». […]
Au « consensus ab initio », posé dès le départ, comme une évidence , j’opposerai un « consensus ad finem » , qui est un consensus de débat, de confrontation, de tension – « à seule fin » de tenter de résoudre les problèmes qui se posent au corps des citoyens et de créer des conditions favorables au « vivre ensemble ».
« Du choc des idées jaillit la vérité. »
Alors, si cette façon de penser le débat est la bonne – c’est-à-dire si elle correspond à la fois à la réalité ( en partie du moins ) et au projet démocratique – alors, n’en déplaise au Premier ministre de l’époque, débattre, ce n’est pas dire ce que chacun « a sur le cœur » ( « pour la forme » !) Ce n’est pas « un rite » ou « l’exécutoire aux épanchements […] d’un certain nombre d’entre nous ». Ce n’est pas non plus – et je reprends là des expressions employées par un autre président de l’Assemblée , le « prix à payer », le « mal nécessaire ».
L’Assemblée n’est pas un lieu de convenance, un lieu où l’on fait salon, où « tous ceux qui le souhaitent [peuvent] s’exprimer », où « les arguments des uns [sont] opposés à ceux des autres ». Comme ça, histoire de causer … et de passer le temps !
Débattre, c’est reconnaître qu’« il y a une majorité et une opposition, réunies pour rechercher le point d’intersection qui constitue l’intérêt général » … que « personne n’a la science infuse » …que « « Du choc des idées jaillit la vérité. « » («« Si je te donne un œuf et que tu me donnes un œuf, nous avons chacun un œuf. Mais si je te donne une idée, et que tu me donnes une idée, nous avons chacun en tête deux idées. « ») […]
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