20/le « groupe – Assemblée » , un groupe en représentation


Où il est dit que le « groupe-Assemblée » est une mise en scène, une figure et en même temps une garantie du « vivre ensemble ».

LE PARLOIR DE LA NATION / Errance 20

La dimension collective du mandat …163
L’apprentissage du « vivre ensemble » par les députés …164
Ce que n’est pas le « groupe-Assemblée » …165
Une assemblée « de chair et d’os » …167 Qui se ressemble s’assemble …168
L’Assemblée, « Café du commerce » ? …171
Pourquoi faut-il que cela soit dit … et publié ? …173 Les deux visages de L’Assemblée …174
L’Assemblée, un groupe en « représentation » …176

[résumé]

La dimension collective du mandat

Il convient de partir du fait que, seul, le député n’est rien. La seule souveraineté, c’est celle du Peuple. Cette souveraineté s’exerce par l’intermédiaire « des » représentants que le Peuple s’est choisis. Mais c’est l’Assemblée elle-même qui a la qualité de représentant, et non le député. […]

C’est « ensemble » – en tant que représentant collectif (on dit « la » « représentation nationale ») – que nos représentants sont amenés à ( ont le devoir de)  dire et faire la nation. Ensemble, ils sont la nation. Ils sont  la « nation assemblée ».

Les débats ne sont pas que des lieux – des temps – d’affrontement. Ce sont aussi des lieux, des temps où s’opère la fusion des intérêts,  la réconciliation de volontés atomisées, juxtaposées, instables : le député est celui qui dit la nécessité du lien, il est celui qui assure le lien, celui qui tient reliés les fils … pour que le courant puisse passer. Les débats sont des lieux, des temps où le « corps social » – multiple et hétérogène – se fait « nation » unie et solidaire. 

Le « vivre ensemble » des députés

Non seulement les députés mettent  en scène la diversité des attentes de leurs mandants ; non seulement ils donnent forme à cette « volonté générale » sans laquelle il ne saurait y avoir de « vivre ensemble ». Mais ils font eux-mêmes l’expérience du « vivre ensemble » … et ce n’est pas là chose facile.

[…]

Tout  le monde a en tête les affrontements, les disputes, les interminables parties de yoyos qui rythment la vie de l’Assemblée. Mais si l’Assemblée n’était que cela, comment tiendrait-elle ? Comme tout groupe, le « groupe-Assemblée » ne peut pas exister uniquement sur le mode du conflit ; il a besoin d’espaces communs, de convivialité, de solidarités partagées.

[…]

Ce que n’est pas le « groupe-Assemblée »

Quand les députés se mettent en peine de dire à quoi ressemble ce groupe bien particulier que j’appelle j’ai appelé « groupe-Assemblée », ils le font souvent par la négative. […]

«  ICI »…  « dans cette Assemblée » … « dans cet hémicycle » … « On n’est pas au cirque !» … « On n’est pas au marché » … « On n’est pas à l’armée » …  «On n’est pas à l’école maternelle ! » « On n’est pas au séminaire !»

«  ICI, ce n’est pas » … mais « çà y ressemble » un peu,  quand même !

Car tout au long du Compte rendu

…  ce sont gens de spectacle, comédiens, bateleurs … … ce sont gens d’armes, gens de la guerre (« Je vous laisse le choix des armes ») … ce sont gens des stades, gens des affrontements à la fois virils et « bon enfant », ( « la majorité avait la balle en main … ») …  ce sont gens d’église, novices, chanoines, évêques et simples croyants mêlés dans une cérémonie – une messe ? – qui n’en finit pas de finir … … ce sont gens d’école, tour à tour pédagogues chevronnés (« La répétition est l’art de la pédagogie.») et garnements portés au chahut (« On se croirait dans un préau d’école !») …

Une assemblée « de chair et d’os »

Les députés sont des « hérauts » (puisqu’ils parlent « en notre nom ») . Sont-ils des « héros » ? à priori, non. Mais il ne faut pas oublier – qu’il s’agisse des récits bibliques ou des récits mythiques – les « héros » sont souvent présentés comme des individus « en chair et en os », empêtrés dans les bizarreries de la vie quotidienne

Eh bien ! quand on lit le Compte rendu intégral, il apparaît que nos députés ( hommes et femmes confondus) parlent aussi de ce qui fait le quotidien de tout un chacun.

Comme vous, comme moi,. ils racontent –  ils se racontent –  … … des histoires de téléphone portable … des histoires de députés qui s’y connaissent en  Internet …

Comme vous, comme moi,. ils racontent –  ils se racontent …  des histoires de député(e)s qui trouvent qu’il fait froid  dans l’hémicycle … des histoires de fin de matinée difficile … de digestion somnolente et  de députés qui ronflent (« Monsieur N., nous sommes à la Chambre. »)
… des histoires de député-e-s souffrant (-e-s) qui se font remplacer    et d’autres qui viennent siéger même s’ils sont mal en point … comme ce député qui prend la parole avec un bandeau sur l’œil (« à la Moshe Dayan ! »)

Comme vous, comme moi,. ils racontent –  ils se racontent –  …

… des histoires de députés qui se vantent  de faire des heures supplémentaires … et même de travailler cent heures par semaine  … et d’autres qui se plaignent d’être  « les O.S  de l’Assemblée nationale».

Comme vous, comme moi,. ils racontent –  ils se racontent –  …

… des histoires  d’anniversaire  … et autres heureux évènements (« Je tiens à féliciter papy G.  pour la naissance de la petite Loane. »)

… et bien sûr ! … des histoires de buvette … et  de coups à boire (« Chiche ! Je parie une bouteille de clairette/ Oui, chiche !») …

Qui se ressemble s’assemble

Il apparaît aussi que l’Assemblée constituent un groupe où les individus s’inventent des connivences et font jouer des réseaux transversaux  qui n’ont rien à voir avec les appartenances politiques des uns et des autres et qui, tout autant que les jeux de yoyos, jeux de rôles et autres affrontements, agitent ( pour le meilleur ou pour le pire ) les bancs de l’hémicycle et donnent  du piment, de la couleur, de la gouaille aux débats. L’Assemblée, ce n’est pas seulement  un lieu où se confrontent des forces politiques, où se débattent les petites et les grandes affaires de la nation ; c’est aussi une petite société traversée de multiples réseaux plus ou moins visibles, plus ou moins inattendus. En-deçà du discours programmé,  au-delà de la compétition revendiquée, d’autres logiques sont à l’œuvre : des affinités apparaissent, des solidarités se développent. Que voulez-vous, à l’Assemblée comme ailleurs , qui se ressemble s’assemble !

Rappelons-nous ces histoires qui « fleurent bon le terroir », qu’il s’agisse d’époisses, de truffes ( mais, au fait, laquelle est la meilleure, celle de Tricastin, de  Richerenche  ou de Lalbenque ? ) ou du floc de Gascogne ( qui n’a rien à envier aux vins doux naturels ni même au calvados !) … « Cela crée des solidarités ! (Sourires.) »

Et, en  matière de solidarité(s), il n’y a pas plus normand … qu’un autre normand ! (« Monsieur le ministre, dans notre Normandie natale … »)

La chasse fournit également un bon exemple de ces solidarités. […]

Le sport, lui aussi sert de point  de ralliement (« Voilà au moins un point sur lequel nous sommes d’accord !/  Le rugby aussi nous rapproche.»)

La profession exercée par les députés avant leur élection constitue souvent un point de ralliement et d’ancrage de solidarités transpartisanes.  (« Il est bon de se retrouver entre juristes de temps à autre, cela fait du bien ! [Sourires.]») …

Il est aussi des solidarités liées à l’âge
Si, en un instant donné – et pour la durée d’un échange – l’hémicycle se partage entre  ceux qui  ont des « soucis capillaires » et les autres …

… à d’autres moments, la ligne de partage sera … et ceux  qui s’intéressent à Marguerite Yourcenar  …  entre ceux qui préfèrent le Lino Ventura des « Tontons flingueurs » (« Touche pas au grisbi ! « ) … et ceux qui préfèrent le « cinéma d’auteur » (« Vous vous rappelez peut-être, mes chers collègues, ce beau film japonais, la Balade de Narayama, de Kurosawa./ L’auteur de ce film n’est pas Kurosawa mais Imamura. » […]

L’Assemblée, « Café du commerce » ?

Malgré les dénégations des uns et des autres, il apparaît souvent que l’Assemblée ressemble au « Café du commerce » !. […]

« Ça s’arrose, monsieur B. ! / C’est déjà fait ! » … «  Monsieur G.  va gagner le tiercé ! / Je prends  les paris. » … « Chiche, je parie une bouteille de clairette. /  C’est du dopage ! » …
« Le disque est rayé ! / Qui a remis un euro dans la machine ? » …
« J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer : Lens est mené 1 à  0 ! » …  « Si c’est dans le journal, c’est que c’est vrai ! »…

[…]

« Ici » … « dans cette Assemblée » … « dans cet hémicycle » … « dans cette maison » … on s’interpelle avec tous les noms d’oiseaux possibles ! …
« Rastaquouère ! » … « Bonimenteur ! » … « Mégalo ! » …  « Qu’est-ce que c’est que ce crétin ? »  […]

« Ici » … « dans cette Assemblée » … « dans cet hémicycle » … « dans cette maison » … parfois on se lâche et on s’évertue à parler « popu » …
« Arrêtez vos conneries ! » … « Mais quel menteur, ce mec !  » …« Mieux vaut entendre ça que d’être sourd ! » … « Et ta sœur ! » […]

« Ici »» … « dans cette Assemblée » … « dans cet hémicycle » … « dans cette maison » … on en entend « des vertes et des pas mûres » ! …

[…]

… et parfois « çà dépasse les bornes » …
Par exemple …  quand un député (tout à fait quelqu’un de bien) se permet de dire à l’une de ses collègues qu’elle « n’a pas les culottes propres » (« Madame R., les leçons d’éthique élémentaire nous apprennent que pour donner des leçons de morale, il faut avoir les culottes propres : vous ne les avez pas ! ») […]

Pourquoi faut-il que cela soit dit … et publié ?

Désolé, ami lecteur, je vais devoir arrêter … Je te sens perplexe. D’un côté, sans doute, trouves-tu l’exercice assez « rigolo » ; mais, d’un autre côté, tu te dis : « On ne les paie pas pour cela ! » Une « petite vacherie » par-ci, une « petite vacherie » par là. (« c’est la loi du genre ! ».. et l’on risque de sombrer dans le trivial,  le poissard, voire l’obscène (au sens premier du mot : « ce qui ne devrait pas être montré sur la scène » … et encore moins dans les J.O. Débats !).

Mais justement, pourquoi cela est-il écrit, reproduit, publié ? Pourquoi ces paroles – « nos paroles » –« qui ne sont pas toujours immortelles », dira un député lucide – sont-elles « quand même » « définitivement gravées dans le marbre du Journal Officiel » ? Quel rapport tout cela a-t-il avec la geste démocratique ?

Il y a là une énigme. Et c’est justement cette énigme qui est au point de départ de ce travail. […]

Il n’est pas d’autre organisme  qui prenne ainsi le risque de publier l’intégralité de la parole qu’il engendre – qui l’engendre. Avec toutes les scories, tous les écarts, tous les évènements probables et  improbables qui font partie des échanges habituels mais qui, dans un autre contexte,  ne figureraient pas dans les comptes rendus. […]

Les deux visages de L’Assemblée 

Côté jardin, la confrontation systématique – camp contre camp, idées contre idées, programme contre programme, mots contre mots -, les désaccords, les conflits, les affrontements, la mise en avant de ce qui divise, de ce qui oppose, la recherche effrénée du rapport de forces, la lutte, la rivalité érigées en principes de débat, les dialogues de sourds, le mutisme méprisant, la provocation … côté cour … l’envie d’aller au fond du problème, sans nier les divergences, mais aussi sans refuser les convergences faciles …

Côté jardin, les arguties de procédure, les  blocages, les empêchements en tous genres (au risque du ridicule, de la bêtise, du non-sens, de l’absurde) … côté cour … la discussion, le dialogue, l’échange d’arguments  … ou, à tout le moins, la « demande de débat » … la « volonté de faire vivre la démocratie parlementaire » …

[…]

L’Assemblée, un groupe en « représentation »

Ainsi, le débat d’Assemblée nous donne à voir nos limites, nos désespérances, mais aussi nos capacités, notre pouvoir de faire que les rapports de force ne soient pas éternellement ce qu’ils sont. Ce faisant, ce disant, le débat d’Assemblée construit une communauté. Il la rend « présente » – « ici et maintenant ». Il la fait « nouvelle » – Il la « re-nouvelle ». Il y a là un « travail » – à la fois symbolique et pratique – absolument incontournable. Et qui ne peut être fait dans aucun autre lieu, dans aucun autre temps.

L’Assemblée, un groupe comme les autres ? … Pas tout à fait, car il s’agit d’un groupe « en représentation ». […]

La geste parlementaire – telle que la reproduit le Compte rendu intégral – est la mise en scène d’un apprentissage. En participant au débat, les députés expérimentent – en notre nom, à notre place – les contraintes et les bienfaits du « vivre ensemble. Tels les chevaliers du Val sans retour, ils essaient le (les) chemin(s) qui va (qui vont) du possible à l’impossible (et pourquoi pas aussi en sens inverse ?). Et nous, nous participons « à » cette expérience. (On peut aussi dire que nous participons « de » cette expérience – car, de l’issue des débats, dépendent de nombreux aspects de notre vie personnelle et collective.) Le Compte rendu nous donne la possibilité de vivre en direct, comme si nous étions présents dans l’hémicycle [1]– cette aventure de la loi en train de se dire, de se faire, cette quête d’un consensus, d’un « sens commun » à la fois impossible et nécessaire.

[…]

Disant cela, je ne dis pas que l’Assemblée est le tout de la politique. Je ne dis pas que l’Assemblée d’aujourd’hui est « exemplaire ». Je dis que la tâche qui est la sienne – et dont elle s’acquitte, vaille que vaille, cahin-caha, avec des jours « sans » et des jours où les députés ont le sentiment de jouer pleinement leur rôle («  Nous avons fait un beau débat » … disent-ils alors, avec fierté)  – est une tâche de première nécessité. Sous peine d’ériger en mode d’être permanent les ruptures de LIEN et de SENS que le « 21 avril » a mises en évidence.

[1]  Pour ma part, je n‘ai jamais assisté à la séance dans les tribunes de l’hémicycle. J’ai préféré m’immerger dans  la « mise en texte » réalisée par les rédacteurs des débats (à qui je tiens à rendre hommage).

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