débat sur la justice
(« adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité »
2ème séance du 21 mai 2003
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Je propose de distinguer deux types d’infractions commises en bande organisée, selon leur degré de gravité. Cela permettra de réserver la mise en œuvre de certaines des règles de procédure que j’évoquerai dans un instant aux formes les plus graves de criminalité organisée.
Feront partie de la première catégorie des crimes ou des délits commis à l’encontre de personnes : traite des êtres humains, trafic de stupéfiants, proxénétisme ou assassinat en bande organisée.
Une seconde catégorie regroupera des infractions de moindre gravité, aggravées par la circonstance d’avoir été commises en bande organisée : entrera dans cette catégorie le vol en bande organisée, par exemple.
Je propose d’ailleurs d’étendre la liste des infractions pouvant être aggravées par la circonstance de commission en bande organisée.
[ …]
M. André Vallini. En effet, n’étant pas juridiquement définie, la notion de « criminalité organisée » relève davantage d’une approche criminologique ou sociologique que d’une définition juridique. Si ce concept s’appuie sur la gravité des faits, la référence à des critères subjectifs revient en fait à instaurer des infractions « à géométrie variable », ce qui serait susceptible de porter atteinte au principe de légalité des délits et des peines fixé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et constituerait donc un facteur important d’insécurité juridique.
Il en va de même pour la notion de « délit en bande organisée » : faute d’une définition juridique précise, c’est en fait une nouvelle procédure de droit commun que vous allez mettre en place puisque la lecture du futur article 706-99 montre que cette procédure prétendument exceptionnelle s’appliquera en fait chaque fois qu’il y aura apparence de bande organisée, la nullité de la procédure pour mauvaise qualification étant en outre, et c’est très grave, expressément exclue par votre texte, ce qui est totalement inacceptable.
Il est donc indispensable, à nos yeux, de mieux définir la « bande organisée », qui doit être distinguée en particulier des qualifications de réunion, d’association de malfaiteurs et de complicité, toutes trois déjà visées par le code pénal.
[ …]
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. A cette interrogation sur l’opportunité de votre dispositif, succède une première et grave inquiétude relative à l’absence de définition précise de la bande organisée. Pour l’heure, l’article 132-71 du code pénal se borne à énoncer que : « Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions. »
Cette définition est largement insuffisante, d’autant que, monsieur le rapporteur, elle est littéralement identique à la définition de l’association de malfaiteurs donnée par l’article 450-1 du code pénal : « Constitue une association de malfaiteurs, tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis de dix ans d’emprisonnement. »
Même définition pour la bande organisée et pour l’association de malfaiteurs, d’où les observations que nous avons formulées ce matin en commission.
Cette imprécision et cette identité de définition pouvaient se comprendre dès lors que la notion de bande organisée constituait simplement une circonstance aggravante laissée à l’appréciation de la juridiction. Elles deviennent beaucoup moins compréhensibles lorsque la notion est présentée comme l’objet principal de la loi. Et elles deviennent franchement inacceptables lorsque cette notion sert de justification à l’engagement d’une procédure dérogatoire au droit commun pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement, qui bouleverse les droits de la défense.
Un texte de loi n’est pas un article de presse. Il ne suffit pas, pour éclairer l’intention du législateur, de proclamer vouloir « s’attaquer aux formes de criminalité organisée qui par nature portent l’atteinte la plus grave aux intérêts sociaux les plus importants » – objectif affiché dans l’étude d’impact que votre ministère a présentée, monsieur le ministre. Il ne suffit pas non plus d’invoquer « les réseaux criminels agissant généralement à l’échelle internationale » – compte rendu du conseil des ministres du 9 avril – ou « les réseaux mafieux particulièrement violents et dangereux », selon les termes d’un communiqué de presse du 9 avril pour définir et limiter le champ de la notion de bande organisée.
En l’état, cette notion est tellement vague qu’elle est susceptible de recouvrir un grand nombre de situations, y compris celles qui, à vos yeux, j’en suis convaincu, n’en relèveront pas – je pense par exemple à l’action des associations syndicales. En fait, dès lors qu’un prévenu sera suspecté d’avoir bénéficié de la complicité d’une personne, un procureur aura la possibilité d’utiliser les pouvoirs exorbitants offerts par la procédure dérogatoire mise en place par votre projet de loi.
Avocats, magistrats, policiers, tous vous ont alerté sur les dangers d’un tel flou juridique et sur la violation du principe constitutionnel de la légalité des peines.
C’est pourquoi nous proposerons à l’Assemblée d’adopter une définition précise de la bande organisée. Il convient en effet de reconnaître qu’il n’y a pas nécessairement bande organisée lorsqu’il y a plusieurs coauteurs, un auteur et des complices, une réunion, ou même une association de malfaiteurs. Seule une organisation structurée, pérenne et sciemment établie doit justifier la mobilisation exceptionnelle, que nous voulons et encourageons, des policiers et des magistrats de plusieurs juridictions et la mise en œuvre de procédures exceptionnelles.
[ …]
M. Noël Mamère. Votre loi montre que l’extension de la procédure dérogatoire à la notion de criminalité organisée, de bande organisée, dont nous avons d’ailleurs vainement cherché dans le texte une définition précise, donne le champ libre aux services de police pour choisir la qualification des infractions sur lesquelles ils enquêtent. Le résultat est connu d’avance : la police préférera utiliser le nouveau cadre mis à sa disposition, qui est évidemment moins contraignant pour la recherche des preuves.
Dans son avis rendu le 27 mars 2003, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a exprimé la vive inquiétude que lui inspire un projet qui crée une procédure dérogatoire au droit commun et accroît la complexité de la procédure pénale. Cette conception, qui relève d’une approche criminologique et non d’une définition juridique, est susceptible de permettre de graves détournements de procédure.
Mais, allez-vous me dire, cette commission consultative n’est qu’une bande organisée de « droits-de-l’hommistes » qui ne respectent pas les exigences sécuritaires de votre collègue de l’intérieur. Exigences qui passent par l’extension de la notion de perquisition, par les visites domiciliaires, par l’infiltration, par le doublement de la durée de l’enquête de flagrance qui est portée de huit jours à quinze jours et qui donne aux seuls policiers de grands pouvoirs de perquisition et d’investigation pour toutes les infractions. Tous ces nouveaux pouvoirs sont censés être contrôlés par les procureurs de la République et par les juges des libertés, mais l’activité actuelle de ceux-ci démontre qu’ils ne sont qu’un alibi judiciaire, sans réel contrôle de l’action policière.
[ …]
M. le président. MM. Blazy, Vallini, Lambert, Le Bouillonnec et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 380, ainsi libellé :
« Avant l’article 1er, insérer l’article suivant :
« L’article 132-71 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 132-71. – Constitue une bande organisée au sens de la loi un groupement de personnes qui participent sciemment à une structure ou une entreprise pérenne conçue, pour une durée déterminée ou indéterminée, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou plusieurs infractions. »
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous abordons la discussion des articles par un amendement qui revêt à nos yeux une grande importance puisqu’il s’agit – comme l’ont demandé plusieurs orateurs – de définir la bande organisée. Dans la question préalable, j’ai souligné que la définition de la bande organisée, telle qu’elle figure dans l’article 132-71 du code pénal, est insuffisante. L’article stipule en effet que « constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions ». Cette définition est d’autant plus insuffisante qu’elle est identique à celle de l’association de malfaiteurs, à l’article 450-1 du même code.
Compte tenu de l’importance de la qualification de bande organisée, dont nous avons compris qu’elle conditionnerait, d’une part, l’usage d’une procédure et, d’autre part, d’incriminations particulières, il nous semble très important que la notion soit parfaitement définie. Ainsi proposons-nous cette rédaction : « groupement de personnes qui participent sciemment » – le terme « sciemment » exprimant la volonté d’engager un processus d’organisation – « à une structure ou une entreprise pérenne » – ce qui sous-entend la durée – « conçue, pour une durée déterminée ou indéterminée, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou plusieurs infractions ».
Nous pensons ainsi caractériser la bande organisée mieux qu’elle ne l’était dans une prescription antérieure dont, je le rappelle, le seul objet était de créer une circonstance aggravante.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Avis défavorable. La bande organisée est parfaitement définie par l’article 132-71 du code pénal. De plus, cette définition, qui existe depuis plusieurs années, est parfaitement adaptée et reconnue par la jurisprudence, et nous paraît donc suffisamment précise.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le garde des sceaux. Même avis. Il est inutile de modifier cette définition que, comme vient de le dire le rapporteur, la jurisprudence a nourrie et éclairée.
Cela ne pourrait qu’entraîner un flou qui irait à l’encontre de l’objectif qui vient de nous être proposé.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 380.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Compte rendu intégral
http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2002-2003/20030213.asp#PG0
[RETOUR Accueil_PAGES ]