Janvier 2003. Débat sur la sécurité
« L’insécurité, c’est … »
« – C.Taubira (Mme). Ceux pour qui l’insécurité constitue une préoccupation, pas même un risque, peuvent assurément se contenter d’un discours musclé et viril qui prône une restriction des libertés qu’ils ne risquent guère de subir. Mais ceux qui sont effectivement exposés à l’insécurité savent que des statistiques qui additionnent des homicides et des vols de vélos ne témoignent ni de leur détresse, ni de leur courage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe PS et du groupe CR / « groupe des député-e-s communistes et républicains « )
– G.Léonard[UMP]. Ils ont pourtant voté pour nous !
– C.Taubira (Mme). L’insécurité, c’est surtout cette crainte diffuse qui mine la confiance. C’est la peur chevillée au corps de ceux qui, pour raison professionnelle, regagnent tardivement leur domicile dans des quartiers mal éclairés où l’espace public a été déserté par les services culturels, les services éducatifs, les services sociaux,…
– M.Terrot [UMP]. C’est le bilan de vingt ans de socialisme !
– J.Besson [UMP]. En effet, et quel bilan !
– C.Taubira (Mme)…. les transports en commun, souvent remplacés par des associations fort dévouées.
L’insécurité, c’est l’épouvante de la jeune fille qui découvre que son corps peut être utilisé contre elle dans un acte de violence individuel ou collectif qui la bouleversera à vie.
– C.Estrosi, rapporteur. C’est vrai !
– C.Taubira (Mme). C’est le drame silencieux de la femme qui subit les violences domestiques, souvent en présence de ses enfants. C’est l’effroi de la personne âgée ou handicapée qui sursaute au moindre bruit, sachant que la solitude ou le handicap peuvent être des alliés des agresseurs.
– G.Léonard [UMP]. Il faut le dire !
– C.Taubira (Mme). L’insécurité, outre ces angoisses, se tapit aussi dans ces incidents exaspérants à force d’être routiniers. C’est cette terrifiante impression d’être abandonné, livré aux risques de toutes sortes. C’est la morosité, la lassitude, le découragement face aux préjugés, face au sentiment que certaines affaires méritent plus de célérité que d’autres, plus ou moins de sévérité selon la qualité de la victime. C’est l’intuition que certains lieux et certains publics sont davantage exposés aux risques de dérapage et que certaines mesures sont taillées sur mesure…
En effet, la criminalité d’affaires bénéficie encore très largement d’impunité, de même que le crime organisé qui démontre l’impuissance transfrontalière de l’institution judiciaire,…
– B.Roman. Tout à fait !
– C.Taubira (Mme)…. de même que la corruption qui gangrène la société, le trafic de drogue, à l’échelle des gros bonnets et des laboratoires, le blanchiment de l’argent qui aspire la société vers une culture de l’illicite. Il faut aussi parler des violences policières et de leur engrenage, c’est-à-dire la délinquance de l’élite, qui ne suscitent pas autant de diligence. Monsieur le ministre, vous restaurez la lutte des classes ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe PS et sur les bancs du groupeCR.)
– G.Léonard. Et la gauche applaudit ce réquisitoire, c’est incroyable ! »
« Les mots peuvent être guerriers »
– C.Taubira (Mme). Les mots peuvent être guerriers, vous savez, ils peuvent parfois induire des attitudes qui accouchent d’actes meurtriers ! Globaliser, stigmatiser des catégories de population, comme les jeunes, les mineurs, les prostitué(e)s, les étrangers, les gens du voyage, instaure une présomption de culpabilité !
Annoncer la création d’une réserve dans la police, c’est insinuer une probabilité de guerre civile. (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF.)
Rétablir des centres fermés à la demande pressante de ceux qui savent que leurs enfants ne courent quasiment aucun risque de s’y retrouver, c’est lancer des signaux de défiance à l’égard de ceux auxquels on doit une sévérité fraternelle.
– M.Terrot. A l’égard des casseurs ? »
– C.Taubira (Mme). Alors, si nous devons effectivement nous soucier d’actes en faveur des victimes, nous devons privilégier la confiance, la réparation, la médiation, le combat contre toutes les formes de criminalité, y compris celles qui produisent massivement l’insécurité sociale.
Nous devons lutter contre la délinquance des élites et des puissants, autant que contre celle des petits malfrats. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe PS et du groupe CR.)
Oui à l’autorité ! celle qui punit, mais qui d’abord protège les plus vulnérables avant les nantis.
Sinon vous donnez foi et consistance à cette injonction de Shakespeare dans Henri IV : « Si nous vivons, nous vivons pour marcher sur la tête des puissants, parce que les puissants ne travaillent qu’à marcher sur nos vies. « » (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe PS et du groupe CR.)
Réponse ( fort peu coutoise ! ) de N.Sarkozy
« – Le ministre. Mme Taubira, avec le talent que chacun lui connaît, a fait un discours sans doute plus adapté à la situation d’il y a quelques décennies qu’à celle de 2002. Je n’ai pas compris ce que venait faire la lutte des classes dans son intervention. (« Très bien ! « » sur plusieurs bancs du groupe UMP.).
– J.P.Brard. Quel manque de galanterie !
– Le ministre. [..] Nous n’avons pas à accepter la caricature. Et je dis à Mme Taubira, dont je respecte profondément les idées, que nous ne sommes pas des esclavagistes ni des racistes, que nous ne pratiquons pas l’amalgame.
Nous voulons conduire une politique de sécurité républicaine et, là encore, je trouve parfaitement déplacé qu’on vienne faire un petit numéro à la tribune sur le dos de la misère et du malheur des gens qui, eux, vivent l’insécurité tous les jours. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF. – Protestations sur les bancs du groupe PS.)
– S.Royal (Mme). Oh !
– J.P.Blazy. C’est du mépris, cela !
– Le ministre. C’est trop facile ! Je suppose d’ailleurs que lorsque Mme Taubira est confrontée, dans son département, à la misère et aux agressions, son discours est moins brillant mais plus concret et plus proche de la réalité.
– J.C. Lenoir. Très bien !
– Le ministre. En tout cas, ses remarques ne m’impressionnent nullement.
– Y.Bur. Nous non plus !
– Le ministre. Elles sont trop déconnectées de la réalité et je n’y ai répondu que par courtoisie.
– J.C. Lenoir. Très bien !
– J.P.Blazy. Quelle courtoisie ! »
Texte intégral de l’intervention de C.Taubira http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2001-2002-extra/20021007.asp#PG1 réponse du ministre http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2001-2002-extra/20021008.asp#PG1